Ramener Frank

« Le cyclisme n’a jamais été aussi populaire », affirme le patron de l’équipe Domo.

L’arrivée chez Domo de Frank Vandenbroucke, qui vous appelait son deuxième père, a fait pas mal de bruit.

Patrick Lefevere: Il n’était pas question de le laisser tomber. Frank m’a quitté à cause de l’argent. Il voulait aussi se libérer du joug de Mapei, qui avait trop de bons coureurs pour accepter que l’un d’eux soit le seul leader. Toutefois, être le seul leader engendre beaucoup de responsabilités et de stress. Alors qu’il avait gagné le Circuit Het Volk et Liège-Bastogne-Liège, on l’a accusé de pratiques douteuses, liées au fameux docteur Mabuse. Cofidis l’a mis sur la touche. Aucun membre de l’équipe ne l’a assisté pendant sa conférence de presse. Comme la presse moderne tue les gens sans procès, Frank a été touché mentalement. Il y a six mois, il était dans le trou. Il a accepté l’aide de plusieurs personnes et en admettant son problème, il était déjà à moitié guéri. J’ai suivi son évolution. A 27 ans, il ne peut être usé. Il connaîtra des hauts et des bas mais nous serons dans l’obligation de l’aider à revenir et lui devra demander de l’aide.

Frank voulait être leader mais votre philosophie, c’est « un pour tous, tous pour un ».

Si Frank redevient le coureur de 1999, si j’obtiens le sponsoring nécessaire et que j’ai toujours une équipe, nous pourrons courir le risque de l’aligner comme seul leader dans certaines courses. Je ne pense pas que ça ait une mauvaise influence sur l’ambiance. 22 de mes 25 coureurs sont en fin de contrat. En d’autres termes, j’ai une bonne marge de manoeuvre.

Museeuw songe au Mondial de Zolder

La pression sera forte. Qu’attend Vandenbroucke de ses premiers mois?

Ce qu’il veut? Gagner! Plus vite il y parviendra, meilleur ce sera pour son moral. Il était parmi les cinq meilleurs lors des tests de fin novembre. Evidemment, il a repris l’entraînement début octobre, alors que autres ont arrêté à la fin de ce même mois. Le Tour de la Méditerrannée, qu’il a toujours apprécié, sera son véritable début de saison.

Quant à la pression, je dois l’en préserver. Nous avons aussi Leon Van Bon, Richard Virenque, Axel Merckx, Romans Vainsteins et Johan Museeuw. Frank n’est pas le seul à être sous pression.

Vous insistez toujours sur l’importance de Johan Museeuw. Est-elle intacte ou devient-elle mythique?

Elle est sans doute un peu mythique mais ce n’est rien. Les autres coureurs restent fixés sur lui. Le mois d’août a été pénible. Le GP Rik Van Steenbergen a été très rapide et il a peiné. Si Museeuw sombre, l’équipe le suit. Johan a également une valeur publicitaire. Il ne laisse personne indifférent. Va-t-il gagner sa dixième course de Coupe du Monde? Combien de temps courra-t-il encore? Je ne sais pas pourquoi mais le Mondial de Zolder lui trotte dans la tête. Il reste sur un hiver enfin tranquille. Je lui fais confiance.

Le refus de Tom Steels

Après le Tour, décevant, de la saison passé, vous avez affirmé que certains coureurs auraient moins de liberté pendant l’hiver. Vous les avez surveillés?

Oui. Je compare les cyclistes à des enfants: chaque trimestre, ils reçoivent un bulletin. Il s’agit de tests physiques. Nous avons réparti les coureurs en catégories dès novembre. Chacun a reçu une lettre lui disant qu’il avait jusqu’à la première semaine de janvier pour perdre autant de kilos ou atteindre tel résultat aux prochains tests. Dès que je suis en possession de ceux-ci, je rectifie leur programme. Peut-être dirai-je à certains: tu peux rester chez toi.

Vous vouliez un grand sprinter. Vous ne l’avez pas et en plus, McEwen, le plus rapide, a rejoint Lotto.

J’ai essayé d’enrôler Tom Steels mais il devait prendre sa décision avant le Tour. Il n’a pas voulu attendre. Peut-être a-t-il obtenu un meilleur contrat chez Mapei grâce à moi, puisque j’ai fait monter les enchères. Ensuite, je me suis dit que Van Bon n’est pas lent, Van Heeswijk, Rodriguez et Vainsteins non plus. Et puis, combien de super sprinters y a-t-il? J’espérais que McEwen franchirait une étape supplémentaire chez nous. Il semblait parfois invincible dans des courses de troisième, quatrième ou cinquième catégories mais il n’a jamais répondu présent dans les grands événements.

Le départ de Mario De Clercq signifie-t-il que Domo ne veut plus d’équipe de cyclocross?

Je regrette son départ car c’est un garçon comme je les aime. Cependant, si l’UCI et la fédération belge n’abandonnent pas l’idée de courir la Coupe du Monde par pays, je n’alignerai plus d’équipe en cyclocross. Mais pour les sponsors, ce qui compte, c’est le Tour, les classiques, le Giro et la Vuelta. Les performances de Mario De Clercq apportent une certaine publicité mais quand on sait que le Crédit Agricole augmente sa valeur commerciale de 31,5 millions d’euros grâce au seul Tour, on a tout compris.

Liberté

Votre travail est très différent de celui que vous aviez chez Mapei?

Je suis plus libre. Chez Mapei, je partageais les responsabilités administratives et l’organisation. En plus, chez Mapei, on s’occupait très bien du marketing. Ici, nous avons moins de réunions. Il faut deux heures aux Italiens pour une décision qui nous prend une demi-heure. D’un côté, je suis moins stressé, de l’autre, je suis le principal responsable.

Squinzi, de chez Mapei, a insinué que vous n’aviez plus fait votre travail comme vous le deviez, lors de votre dernier semestre.

Ça me fait un peu mal. Je le connais et l’admire mais les grands patrons sont de mauvais perdants. Ils n’acceptent pas que quelqu’un parte sans avoir reçu son C4. Toni Rominger était comme son fils mais quand il a quitté Mapei, Squinzi ne lui a plus adressé la parole. Ce n’est pas mon cas.

Quelle est l’évolution du cyclisme?

La mondialisation est en bonne voie. Nous roulons en Australie et en Amérique, il y a le Tour du Burkina-Faso et le Qatar. Le sponsoring est à la traîne mais il semble qu’il reprendra dans le courant du second semestre 2002. Jamais le cyclisme n’a été aussi populaire. Il y a eu plus de monde sur le parcours du Tour que de spectateurs dans tous les stades français pendant une année. Le nombre d’heures de retransmission augmente partout…

Virenque aussi!

…mais le cyclisme reste le sport du doping par excellence.

Le dopage existe, pas seulement en cyclisme. Quand un footballeur est convaincu de dopage à la nandrolone, il rejoue trois semaines après parce que le produit se trouvait dans son dentifrice et le coureur est suspendu deux ans. Nous avons subi 2.600 contrôles chez les seuls pros. Le cyclisme n’a jamais été aussi propre.

Et vous engagez Richard Virenque jusqu’à la fin de la saison. Un fameux pari.

Un pari soigneusement pesé. Virenque n’était pas le seul, mais il a été sacrifié. Je sais qu’il a longtemps nié mais il a payé pour ses fautes mais du 15 août à la fin octobre, il a donné une réponse sportive à ses détracteurs. Il a déclaré, sans plus: -J’ai mangé mon pain noir. Je lui dis: -Chapeau ! Je sais ce qu’il nous a apporté, y compris par son esprit d’équipe. Virenque est un leader, même à l’entraînement. On a besoin de coureurs de sa trempe.

Roel Van den Broeck

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