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Radja Nainggolan, le ninja de la Métropole anversoise

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Parce que le Diable rouge a toujours été associé à son parcours italien, on connaît presque mieux ses années la Botte au pied que ses premières semelles usées sur le bitume de la Métropole. Voyage dans l’Anvers de l’homme qui taclait avec les talons.

Ici, Anvers en prend plein les poumons. Impressionnant espace vert de la ville posé à un peu moins de deux kilomètres du Bosuil, le Rivierenhof abrite encore les vestiges de grandeur du Tubantia Borgerhout, ancienne phalange de l’élite fondée en pleine Première Guerre mondiale, à une époque où les parcs servaient encore de refuge naturel à la plupart des clubs de football. La buvette, abandonnée, est surplombée par des tuyaux transparents qui lui donnent des airs de cage à hamsters, alors que les abords d’une pelouse en friche portent encore les vestiges bétonnés des tribunes. « Le club n’avait plus d’argent pour entretenir le stade, alors ils l’ont enlevé », explique Kenny Gomes, qui foulait les pelouses du Tubantia en même temps que Radja Nainggolan et sa soeur jumelle Riana au bout des années 90. Aujourd’hui en quatrième provinciale, le club peut afficher le Ninja comme un dernier vestige brillant de son riche passé.

Au club, on était au courant des difficultés qu’il avait connues dans sa jeunesse. Mais ce n’était pas tellement un sujet de conversation. » Zinho Chergui, son comparse au Beerschot

Quelques kilomètres plus au centre, après avoir vu les autoroutes s’enlacer, la Turnhoutsebaan emmène en plein coeur de Borgerhout, premier domicile anversois des Nainggolan. La chaussée, animée par un cinéma Roma presque prophétique pour la suite de la carrière de la fratrie, est longtemps arpentée par les parents de leurs coéquipiers qui les accueillent dans leur habitacle les jours de match. Radja et Riana dégustent le covoiturage à toutes les sauces, toujours à partir de l’ancienne maison communale. Leurs parents, on ne les voit jamais: le père Marianus est parti en Indonésie, laissant Lizy Bogaert assumer seule l’éducation des enfants et les finances du foyer. Elle cumule les boulots pour s’en sortir, et confie souvent à Manuel, enfant de son premier mariage, la mission de s’occuper de ses jumeaux.

Lizy se multiplie autant qu’elle le peut pour ses enfants, et devient l’héroïne d’un Radja qui grandit sans père. « Il n’était pas du genre à en parler beaucoup, mais je pense qu’il a un peu souffert du manque d’amour de son père », explique l’un des amis d’enfance du Ninja. « Avec le recul, tout ça a sans doute aidé à rendre son caractère plus fort. » Amara Cham, complice du début de l’adolescence, confirme la discrétion des affaires familiales: « Radja, c’était quelqu’un qui se confiait très peu. Il gardait tout ça pour lui. Je le voyais presque tous les jours pendant les vacances, et pourtant je n’ai jamais été au courant de sa situation familiale. »

Radja Nainggolan est de retour à Anvers, sa ville de toujours, celle qui n'a jamais quitté son esprit.
Radja Nainggolan est de retour à Anvers, sa ville de toujours, celle qui n’a jamais quitté son esprit.© BELGAIMAGE

À L’OMBRE DES BLOCS

Un déménagement amène la famille Nainggolan de l’autre côté de l’Escaut, dans le quartier de Linkeroever. Le coin délivre un paysage inattendu, affichant un contraste étonnant entre des maisons à l’anglaise bordant la chaussée et d’imposants blocs d’appartements. Les combis de police font des rondes, observant principalement des groupes de mouettes qui rappellent la proximité de la mer. Les feux bleus sont presque omniprésents dans un quartier dont la réputation s’est pourtant assagie au fil des ans.

« Aujourd’hui, c’est beaucoup plus beau qu’à notre époque », confirme Amara Cham. « Avant, il fallait vraiment faire attention quand tu passais au pied des blocs. Tu n’étais jamais à l’abri de te ramasser quelque chose qu’on te lançait depuis le 25e étage. » Le Chicagoblok cristallise cette atmosphère, avec ses appartements où les familles sont parfois entassées à une dizaine, les odeurs insoutenables dans les couloirs et les balcons miniatures qui servent souvent de séchoir de fortune. À l’époque, on en fait l’un des points chauds de la criminalité dans la Métropole. L’été, pourtant, ceux qui ont leur balcon du bon côté peuvent s’installer à la fenêtre pour regarder les meilleurs manieurs de ballon d’Anvers s’attrouper autour du Bloementuin, l’une des pleintjes les plus connues de la ville.

« Le plus dingue, c’était pendant les vacances. Il y avait vraiment du monde », rembobine Amara. « Il y avait deux équipes sur le terrain, et toutes les autres qui étaient sur le côté à attendre leur tour. Les règles étaient très simples: premier à trois, le perdant quitte le terrain. Et le but, c’était de passer le maximum de la journée entre les lignes. Perdre n’était vraiment pas une option. »

À ce petit jeu-là, le Ninja est évidemment un guerrier très prisé. Habitué aux combats rapprochés par ses expériences sur des terrains de futsal, où il affichait déjà sa grinta et son amour du tacle malgré le parquet. Prêt à s’écorcher les genoux pour récupérer le ballon, puis à surchauffer les cuisses pour faire trembler les filets, Radja devient vite l’un des joueurs réputés de Bloementuin, toujours flanqué de sa soeur Riana, l’une des rares filles à pouvoir participer aux duels surchauffés entre quartiers. C’est ici, à Linkeroever, que le milieu de terrain compile la majeure partie de ses souvenirs d’enfance anversoise. Il est ainsi devenu en 2016, au sommet de sa gloire internationale, le parrain des City Pirates, un club développé autour de projets sociaux qui aident les jeunes en difficulté. « À partir d’aujourd’hui, je suis un pirate comme vous », déclare-t-il alors à l’adresse des jeunes du club, les invitant à travailler dur pour tenter de reproduire sa trajectoire. « Le club est clairement engagé et fait de bonnes choses pour les jeunes. Linkeroever, c’est ma maison », ajoute le Ninja dans la Gazet van Antwerpen un an plus tard. « Le quartier a souvent une mauvaise réputation, mais avec des initiatives comme celle-là, on tord le cou à ce préjugé. »

Chez les Pirates, Radja Nainggolan s’affiche jusqu’à la façade. Un impressionnant tag à l’effigie de l’ancienne star de la Roma décore les murs jaune et bleu des locaux du club. Sans doute la preuve la plus tangible de l’attachement du Diable rouge à ses racines dans la Métropole, dans un quartier où il a lié la majeure partie de ses amitiés.

LES ANNÉES GERMINAL

Au tournant du millénaire, le GBA met la main sur le talent du Ninja. Presque une évidence, tant le défunt Germinal bâtit sa réputation sur une formation qui fait la part belle aux jeunes de la ville, dont une bonne partie sont issus de l’immigration. « Au club, on était au courant des difficultés qu’il avait connues dans sa jeunesse. Mais ce n’était pas tellement un sujet de conversation parce que la plupart des gars qui jouaient au GBA à l’époque étaient dans le même cas », se souvient Zinho Chergui, devenu proche de Radja malgré une catégorie d’âge d’écart lors des années en mauve.

Sur les terrains, le Ninja s’époumone, fait la guerre aux adversaires et donne sa vie dans chaque duel.

Hiérarchie tacite des voyages adolescents, la répartition des places dans le bus est alors très claire, pour des trajets aux quatre coins du pays qui se font généralement par deux équipes. Les plus jeunes devant, les plus grands au fond. Toutes les deux semaines, pourtant, Radja prend place dans les dernières rangées, même quand il est dans la plus jeune des catégories. « Il donnait déjà l’impression d’être dur, d’être aguerri. Il savait des choses que les gars de son âge ne savaient pas », explique Chergui.

Sur les terrains, cette façon d’avoir le combat écrit sur le visage se matérialise. Le Ninja s’époumone, fait la guerre aux adversaires et donne sa vie dans chaque duel. Des qualités qui finiront par le sortir d’Anvers pour l’envoyer en Italie, au hasard d’un match de jeunes entre Mouscron et le GBA. Sur le bord du terrain, l’agent Alessandro Beltrami est séduit par le profil du Ninja, et lui offre son passeport pour la Botte sous forme d’un premier transfert vers Piacenza, début d’une trajectoire qui l’emmènera jusqu’aux sommets du Calcio.

Radja Nainggolan déjà à l'aise à l'entraînement, entouré de ses équipiers de l'Antwerp.
Radja Nainggolan déjà à l’aise à l’entraînement, entouré de ses équipiers de l’Antwerp.© BELGAIMAGE

RETOUR EN MÉTROPOLE

Un peu plus de quinze ans plus tard, Beltrami n’est pas laissé de côté à l’heure d’organiser le voyage de retour vers la Métropole. L’agent est toujours très proche de Radja, étant même le parrain de sa fille, et s’est très logiquement retrouvé impliqué dans un deal mené par Jesse De Preter, l’avocat et représentant de Roberto Martínez.

Il y a une quinzaine de jours, De Preter avait soumis le nom de Nainggolan quand un club des Émirats lui a donné un mandat pour trouver un milieu de terrain libre de contrat. Si les Émiratis ont décliné la proposition, l’agent avait déjà évoqué l’idée à l’oreille d’un Radja qu’il connaissait depuis sa première période à Cagliari, lors de laquelle il l’avait aidé pour des questions de droits à l’image. Quand De Preter a reçu, quelques jours plus tard, un mandat d’un Antwerp également en quête d’un milieu de terrain et désireux de se renforcer suite à un difficile zéro sur six initial, le nom de Nainggolan s’est naturellement imposé.

« Dès les premières conversations en visio-conférence, j’ai compris qu’un retour dans sa ville ne laissait pas Radja indifférent, même s’il avait évidemment ses conditions financières », explique De Preter. Des requêtes approuvées par un Paul Gheysens toujours prêt à délier les cordons de la bourse pour assouvir sa soif de succès, et facilitées par le fait que l’Inter ait accepté une résiliation de contrat à l’amiable avec le Ninja en payant une partie de sa dernière année de contrat. Sans ce geste des Nerazzurri, un retour de Radja sur le sol belge cet été aurait été une utopie.

Revenu dans sa ville de toujours, celle qui n’a jamais quitté son esprit au point que ses proches parlent aujourd’hui de lui comme « un Italien fier de ses racines anversoises et un vrai ambassadeur mondial de sa ville », le Ninja se produira désormais un peu plus au nord que ces pelouses du Tubantia qui ont accueilli ses premiers exploits sur crampons. Sous les autres couleurs de la Métropole, celles du rival du défunt Germinal, mais aussi celles de la nouvelle grande puissance du football national. Parce que s’il aime l’idée de revenir à la maison, Radja reste un enfant des pleintjes. Un guerrier qui monte sur un terrain pour y rester le plus longtemps possible. Et surtout, pour gagner à la fin.

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