Raciste, le Lierse ?

Côté face : des drapeaux flamands qui flottent en nombre et des adversaires qui se plaignent d’insultes racistes. Côté pile :16 nationalités dans le noyau et un président égyptien.

1 1 septembre 2010. Il ne reste que quelques minutes à jouer lors de Lierse-Gand (score final : 2-2) lorsque l’ailier belgo-marocain des Buffalos, Yassine El Ghanassy, est appelé à botter un coup franc devant la tribune debout. Il prend tout son temps pour s’exécuter, ce qui n’est pas du goût d’une partie du public massé derrière lui. Bouteilles en plastic, briquets et insultes s’abattent sur lui. Le mot macaque fuse des tribunes, au grand dam du joueur qui s’en plaint auprès de l’arbitre ChristofVirant, tout en lui remettant en mains propres l’un des objets versés en sa direction.

Le ref le confie au quatrième officiel tout en invitant le joueur à poursuivre simplement le match. Après coup, dans son rapport, il fait bel et bien mention du jet de projectiles sur l’aire de jeu mais pas des propos racistes envers le feu-follet gantois.  » Il ne m’a rien dit à ce sujet et je n’ai moi-même rien entendu de désobligeant « , se défend l’arbitre.

23 octobre 2010. Le match Lierse-Zulte Waregem (verdict : 0-0) touche quasiment à sa fin quand le joueur antillais des visiteurs, Rémi Maréval, doit jouer le ballon sur phase arrêtée devant le kop lierrois. Cette fois, ce ne sont pas des paroles mais des cris de singe qu’on lui lance à la tête. Outré, le latéral gauche s’en émeut chez le directeur de jeu, Christophe Delacour. Qui trouve la parade en sifflant sur-le-champ la fin de la rencontre.

Le Français ne l’entend pas de cette oreille et montre sa désapprobation au public, qui se mobilise évidemment de plus belle contre lui. Il faut l’intervention de plusieurs partenaires du joueur, finalement, pour qu’il regagne les vestiaires. A nouveau, il n’est fait aucune mention par le quatuor arbitral de ce fait divers pour le moins regrettable. Affaire classée pour le parquet fédéral, qui n’entreprend rien si les faits ne sont pas rapportés par voie officielle. Mais pas pour la Commission d’Ethique de l’Union belge, qui a sommé la direction lierroise de s’expliquer sur ces incidents déplorables.

 » J’ai été tour à tour joueur et membre de la direction  » explique le CEO du Lierse, Corneel De Ceulaer.  » Durant tout ce temps, nous avons toujours été ouvert à tout le monde. La preuve : notre président, Maged Samy est égyptien, et l’effectif compte seize nationalités différentes. Reste que nous ne sommes ni sourds ni aveugles par rapport aux problèmes qui se sont posés récemment dans notre stade et nous nous sommes efforcés entre-temps d’y remédier ( v. cadre). Nous essayons vaille que vaille de responsabiliser nos sympathisants. Pour en revenir à ces deux épisodes fâcheux, j’observerai quand même que le comportement de la plupart des gens fut impeccable jusqu’à quelques minutes à peine du coup de sifflet final. A ce moment-là, soucieux sans doute de ramener un point précieux de son déplacement chez nous, il y a eu gain de temps de la part de l’adversaire. De là cette hostilité en fin de rencontre. Jeter un gobelet n’est pas un acte raciste mais crier macaque est à bannir absolument, bien sûr. Je ne veux pas dédouaner les coupables mais je tiens à signaler tout de même que ces personnes ont probablement été excédées aussi par l’attitude de certains supporters gantois qui n’ont eu de cesse de scander les mots sushi, sushi chaque fois que notre gardien japonais Elji Kawashima s’emparait du ballon. Ce n’était pas spécialement sympa non plus.  »

Un club à forte identité flamande

Montré du doigt à deux reprises pour ses relents racistes durant le premier volet du championnat, le public lierrois traîne quelques casseroles en la matière.

 » On ne peut nier son identité flamande « , observe Johan Janssens, archiviste, historien et inconditionnel du club.  » Lors du dernier titre de champion en 1997, on pouvait d’ailleurs lire sur une banderole déployée à l’entrée du stade : Lierse, de trots van Vlaanderen (Lierse, la fierté de la Flandre). Ici, on a toujours aimé marquer son territoire par rapport à ceux issus d’ailleurs, qu’ils soient étrangers ou… belges. Les gens, ici, aiment non seulement charrier les Wallons mais également les Bruxellois. Ils veulent faire sentir qu’il faut composer avec eux. Ce n’est vraisemblablement pas un hasard si le dossier concernant la naturalisation du milieu de terrain espagnol d’Anderlecht, Juan Lozano, a été arrêté dans les années 80 par le sénateur lierrois Herman Vanderpoorten, grand fan des Jaune et Noir. On n’a pas l’habitude de s’en laisser compter et ça ne plaît pas toujours à tout le monde. Mais le Lierrois peut se montrer très chaleureux aussi envers ceux qui le servent. Des gars tels le Norvégien Kjetil Rekdal, le Brésilien Zefilho, ou le Néerlandais d’origine surinamienne, StanleyMenzo, ont été portés aux nues à la chaussée du Lisp. Mais c’est vrai que le public n’est pas toujours tendre avec l’opposant, qui en entend parfois des vertes et des pas mûres, effectivement. Mais n’est-ce pas le cas partout ? Certains s’offusquent de voir nos fans déployer leurs drapeaux à l’effigie du Lion des Flandres. Ce n’est pas nouveau. Il y a trente ans, il en allait déjà ainsi. Et nous ne sommes sûrement pas le seul club aux couleurs jaune et noir où le phénomène est perceptible. Il en est exactement de même à Berchem Sport et là, personne ne dit quoi que ce soit.  »

Johan Boskamp, qui a servi le Lierse aussi bien comme joueur que comme coach au cours des années 80, se souvient d’un public chaud et parfois dur pour l’adversaire :  » La première fois que j’ai été confronté aux fameux cris de singes, c’était lors du derby bruxellois, au Parc Astrid, en 1974-75. Les fans du Sporting s’en étaient alors pris à mon coéquipier molenbeekois Carlos Alinho, un gars d’origine cap-verdienne. Je n’en revenais pas, c’était franchement dégoûtant. Par la suite, ce genre de comportement s’est malheureusement étendu dans la plupart des stades. C’était d’autant plus nul que ces soi-disant supporters visaient le ou les joueurs de couleur d’en face alors que bien souvent on retrouvait des éléments de la même origine dans leur propre équipe… Au Lierse, hormis le Belge d’origine congolaise Paul Beloy Beloy, je n’ai jamais eu comme partenaire ou sous mes ordres un footballeur d’origine africaine. Je peux me tromper mais ça n’a jamais été monnaie courante là-bas « .

Peu de réussites africaines

A l’analyse, le Bos a entièrement raison. Car à l’exception du duo égyptien amené par le président Maged Samy ( Mohamed Abdel Wahed et Mohamed El Gabas) et des Camerounais Roudolphe M’Bele Douala et Joseph-Désiré Job actuellement, on peut compter sur les doigts des deux mains, ces 25 dernières années, les joueurs originaires d’Afrique qui ont évolué au Lisp. Il n’y a là, en effet, que les Nigérians John Etim Esin, Michaël Nnaji et Andrew Uwuigbe, les Ivoiriens Pascal Miézan, Adolphe Tohoua et Arouna Koné, le Marocain Issame Charaï et le Sénégalais Cheikh Gadiaga. Sans oublier le réputé gardien Stanley Menzo qui, lui, était d’origine surinamienne.

 » A l’époque où j’étais encore joueur, j’avais comme coéquipier un autre joueur qui venait de ce pays, Ludwig Zorgvliet  » observe Corneel De Ceulaer.  » En ce temps-là, c’était plutôt rare. On ne rencontrait alors que quelques rares joueurs congolais comme Léon Mokuna à Gand ou Raoul Lolinga à Saint-Trond. Alors que leur nombre s’est multiplié un peu partout et que d’autres vagues sont apparues, en provenance du Ghana, du Nigeria et de Côte d’Ivoire notamment, c’est vrai que chez nous l’injection s’est toujours faite au compte-gouttes. En cause, une adaptation qui se révèle chaque fois difficile. Pascal Miézan, par exemple, n’avait rien à envier à ses compatriotes qui débarquèrent à Beveren quinze ans plus tard. A cette nuance près que lui était seul alors que les autres formaient une véritable colonie au Freethiel. Et ce qui vaut pour ce garçon est d’application pour pas mal d’autres. Avec le recul, il faut bien avouer que les réussites n’ont pas été très nombreuses à ce niveau. A part Stanley Menzo et Arouna Koné, le reste s’est planté. Ils auraient peut-être connu un autre sort s’ils avaient joué dans un autre environnement. Comme une grande ville, style Bruxelles ou Anvers par exemple. Là-bas, ils auraient pu se fondre à l’aise dans la masse. Ici, dans cette petite cité qu’est Lierre, ils n’avaient pas cette opportunité. Le constat ne nous rebute pas. Au contraire, on essaie d’y remédier en veillant à ce que les joueurs ne se sentent plus isolés. C’est le cas de nos Egyptiens et de nos deux Camerounais « .

 » Malgré ces efforts, l’intégration reste compliquée « , dit Johan Janssens.  » Les chiffres ne trompent pas : aux dernières élections la N-VA et le Vlaams Belang ont cartonné en obtenant un total de 46 % des voix. Ils sont très pointilleux pour ce qui touche l’identité flamande mais ne vont jamais chercher noise aux étrangers qui travaillent ici. Un peu à la manière de ce qui s’est vérifié à Beveren, il y a quelques années, où on relevait à peu près les mêmes chiffres. Là-bas, le public avait ses joueurs Ivoiriens à la bonne mais n’hésitait pas au besoin à égratigner les étrangers qui se produisaient au Freethiel. Chez nous, la même tendance est perceptible aussi, sans doute. Mais dans une mesure nettement moindre. Je suis d’ailleurs convaincu qu’elle pourrait être réduite quasi à néant si les résultats suivaient. Car le public ne réagirait sûrement pas comme il l’a parfois fait cette année s’il n’était pas provoqué par le camp adverse, qu’il s’agisse de ses fans ou de ses joueurs. Et si d’aventure c’est un étranger qui le nargue, la moutarde lui monte plus facilement au nez. « 

PAR BRUNO GOVERS

 » Ici, on a toujours aimé marquer son territoire  » (Johan Janssens)

 » Traiter El Ghanassy de macaque est à bannir. Mais crier sushi à Kawashima n’est pas sympa non plus  » (Corneel De Ceulaer)

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