RACHETER CHARLEROI

La vente du Sporting n’est sans doute pas pour demain, mais il est intéressant de savoir comment ça pourrait se passer.

Saison pourrie, ambiance calfeutrée, identité abandonnée. Les supporters de Charleroi ont même rêvé d’une descente en D2 :  » Cela pousserait les dirigeants à vendre.  » Jamais une vente du club ne fut d’actualité mais certains imaginaient qu’une relégation dégoûterait la famille Bayat du RCSC, celui-ci ne leur rapportant plus rien… Cela dit, combien vaudrait le club ?

1. Il faut une bonne affaire

Aujourd’hui, le Sporting de Charleroi est un club sain.  » Le plus sain de l’élite « , clame Abbas Bayat, sans doute pour séduire les recruteurs potentiels. La situation est plus compliquée que cela. Si le Sporting a réalisé un bénéfice de deux à trois millions d’euros, les pertes cumulées sont encore de quatre millions d’euros. Une dette de l’ancienne gestion et qui ont a été couverte par deux emprunts. A ce rythme bénéficiaire, la dette risque d’être annulée dans cinq ans.

Alors, toujours aussi belle la mariée ?  » Oui « , nous explique un proche des comptes du Sporting.  » Le club réalise des bénéfices depuis plusieurs années. Ce n’est donc pas du tout une mauvaise affaire pour la famille Bayat. D’autant que le RCSC ne constitue pas leur principale activité. Or, une activité secondaire qui ne coûte rien et qui rapporte un ou deux millions par an, cela devient intéressant. Certes, ils ne vont pas faire fortune avec cette affaire et il faudrait un solide acheteur pour les inciter à vendre. Ils sont dans une position d’attente. Pas pressés de vendre : le club leur rapporte et plus il rapporte, plus il va falloir débourser pour l’acquérir. « 

Pour mieux comprendre, voyons le projet de reprise (l’affaire n’a pas été totalement réglée) du voisin de l’Olympic.  » Pour fixer le prix d’un club, il faut faire l’inventaire comme dans une entreprise « , nous explique Jean-Pierre Murari, à la tête d’ Euroservice, qui fut appelé à la rescousse par Aziz Alibhai pour trouver un repreneur. C’est finalement vers un groupe d’investisseurs regroupés autour de Peter Harrison et contacté par l’intermédiaire de Freddy Delanghe que se tourna Murari.  » En plus des fonds propres, de l’immobilier, des contrats, des installations et de l’aspect médiatique, le c£ur parle également. Beaucoup trop, car on n’ouvre alors pas les yeux sur la valeur réelle du club. Celui qui vend va surélever le prix et celui qui achète va le baisser. Le prix de vente évolue en fonction de nombreux paramètres. Par exemple, je suis sûr que si l’Olympic n’avait pas occupé la tête de la D3B au moment des négociations, elles n’auraient pas abouti. D’autant que le groupe d’investisseurs cherchaient davantage un club du nord du pays.  »

Au départ, Alibhai demandait 400.000 euros, Harrison n’étant disposé qu’à apporter 100.000 euros. Finalement, la reprise des parts se fit à un prix intermédiaire. Mais le repreneur s’engage à reprendre les dettes du club, soit 550.000 euros dans le cas de l’Olympic.  » Peter Harrison aurait pu racheter le club pour rien puisque cela lui coûtait déjà 550.000 euros,  » dit Murari.

Entre l’achat du club par Alibhai et la reprise, le prix de l’Olympic n’a pas évolué. Et ce qui a poussé l’homme d’affaires indien à revendre, ce sont les dettes.  » Si le budget est équilibré, il n’y a pas de raison de vendre « , affirme Murari.

Dans le cas de l’Olympic, la situation financière du club a poussé Alibhai à chercher un repreneur et l’a mis dans une position de faiblesse. Le rachat des parts est donc fixé à un bon prix et cela devient une bonne affaire, nonobstant les dettes.

2. Il faut un repreneur

 » Il n’y a pas d’acheteur spontané dans le monde du football « , renchérit Murari,  » sauf peut-être pour l’un ou l’autre fleuron du championnat britannique. Ce n’est que quand le club est placé en liquidation (et qu’il ne coûte plus rien) ou en difficulté financière que les repreneurs sortent du bois.  » A moins que le président se lasse de son jouet…

 » Je ne vois personne dans la région qui pourrait être intéressé « , explique Luc Frère, éphémère président de Charleroi lors du départ de Jean-Paul Spaute et présent lors des négociations de rachat du club à Abbas Bayat.

 » Les personnes qui auraient pu l’être ont été dégoûtées ou éloignées du club « , ajoute l’échevine des Sports de Charleroi, Ingrid Colicis. Contrairement à la période Van Cau, la politique actuelle de la ville ne consiste pas à trouver une solution de rechange aux Bayat. Même si le stade se vide et que les supporters ont manifesté leur ras-le-bol. Colicis :  » Pourquoi irais-je rajouter une complication là où il n’y en a pas ? Si les dirigeants actuels manifestaient leur envie de départ, la ville s’investirait en terme relationnel mais plus jamais en terme financier.  »

Il y a cinq ans, comme la ville s’était porté garante du prêt, Van Cau a eu peur que les Bayat partent et n’assument pas le remboursement de l’emprunt. Il avait donc mis sur pied un cercle d’investisseurs Charleroi Sport Invest, susceptible d’aider le club et de racheter les parts des Bayat en cas de départ, mais ce projet a fait long feu.

Le salut viendrait donc de l’extérieur uniquement.  » Il faudrait un tout gros mécène qui a une implantation économique à faire dans la région « , établit Luc Frère. Or, en pleine crise économique, Charleroi n’est pas la vitrine la plus alléchante.  » Qui va acheter un club sans stade ni équipe ? « 

3. Il faut un prix

Autre gros problème : fixer le prix. Il dépend un peu trop de la loi de l’offre et de la demande.  » C’est aussi le cas de certaines maisons « , explique Murari.  » Le prix de départ est fortement revu à la baisse en cas de vente forcée « . Et de nous montrer un exemple d’une maison dont le prix à neuf est de 257.000 euros mais qui en vente forcée redescend à 105.000 euros.

Pour le Sporting, il faut évidemment tenir compte du capital (3,5 millions d’euros), du fonds propre (en négatif de -804.000 euros), du bénéfice (de 2 à 3 millions d’euros), du fait que le club est en bénéfice depuis plusieurs années et que celui-ci ne cesse de croître, des pertes cumulées (4 millions d’euros) et du fait que ces pertes pourraient être totalement effacées dans cinq ans puisqu’elles s’élevaient encore à 11 millions en 2005.  » Certains pourraient fixer le prix à celui des dettes à rembourser « , argumente Murari. Le repreneur potentiel débourserait alors 4 millions, somme qui n’irait pas dans les poches des Bayat. C’est le scénario le moins probable.

Un autre scénario consisterait, pour fixer le prix de la reprise, à cumuler les dettes au capital estimé. Total : 7,5 millions d’euros. Les Bayat feraient alors une bonne affaire puisque leur club a encore des dettes et un emprunt à long terme.

D’après une source proche des comptes du club, les Bayat ne seraient pas disposés à vendre à moins de 5 ou 6 millions d’euros.  » Le bilan ne vaut rien pour un repreneur « , nous dit cette source pour qui la valeur du club ne repose aujourd’hui que sur sa notoriété et ses joueurs.

4. Il faut un vendeur

Mais les Bayat sont-ils prêts à vendre ? Officiellement non. Officieusement oui. Et depuis un certain temps déjà. Il y a quatre ans, Mogi Bayat, piégé par la BBC n’avait pas hésité à faire la publicité du Sporting auprès d’un certain… Peter Harrison. A l’époque, Mogi demandait 5 millions d’euros pour son club.

Mais ils ne se débarrasseront pas du club à la sauvette.  » Ce sont des businessmen. Ils ne vendront pas sans faire une plus- value « , dit Murari.

Pour cela, il convient de faire un bond de dix ans en arrière pour connaître le prix déboursé par la famille iranienne pour se porter acquéreur du Sporting.  » Le réviseur avait estimé le découvert à 165 millions de francs belges (soit environ 4 millions d’euros) « , affirme Luc Frère. A cela, Abbas Bayat a ajouté le remboursement des parts de Spaute, Gaston Colson et Luc Frère. Soit un peu plus de 120.000 euros. Le club a donc coûté moins de 5 millions d’euros.  » Mais une fois le prix connu, Abbas Bayat a demandé un prêt garanti de 200 millions de FB (soit 5 millions d’euros) « , ajoute Frère.

Le prêt couvrant la reprise, Bayat n’a pas déboursé un euro, avant la découverte de quelques cadavres dans le placard.  » Garantir l’emprunt du Sporting était extrêmement risqué pour une ville « , pense Colicis,  » Notre chance, c’est que les Bayat remboursent ! « 

Les Bayat ne vendront donc pas un club qui réalise des bénéfices à moins de 5 millions d’euros, prix qu’il a coûté. Reste alors la position à adopter : faut-il le vendre maintenant ou dans quelques années ?

 » Maintenant, le prix est certainement bridé par les dettes encore en cours « , dit Murari.  » D’un autre côté, peut-on être certain que le club va continuer à réaliser des bénéfices chaque année ? Ce ne sont ni les sponsors, ni les recettes guichet, ni la buvette, ni les droits télés qui vont équilibrer le budget. Pour qu’un club vive, il faut faire une plus-value importante et vendre au moins un joueur par année. Mais après la saison du Sporting, qui va attirer les acheteurs ? Personne.  » Les levées d’option éventuelles de Wolverhampton sur Geoffrey Mujangi Bia et Adlène Guédioura pourraient s’ériger en solution pour cette année.

Et quels seraient les avantages d’attendre quelques années avant de céder le club ?  » Si le club est sain et vaut 7,5 millions, pourquoi le vendre à moins de 5 millions ? « , continue Murari.  » Comme il réalise des bénéfices, attendre ne pose aucun problème aux Bayat. Par contre, on peut se dire que si le club ne lui rapporte que 2 %, il est peut-être préférable pour lui d’aller placer son argent à la banque. Cependant, agir de la sorte ne prend pas en compte l’aspect sentimental. « 

Attendre, c’est également prendre des risques.  » Le stade va être démonté et le club ne jouera pas dans un nouveau stade avant 2014 ou 2015 « , explique la source proche des comptes du club.  » Inévitablement, cette question du stade influence le prix. Le club va perdre de la valeur pendant quelques années… avant de voir celle-ci grimper en flèche lorsque les Zèbres occuperont leur nouveau stade. « 

 » Il faut également tenir compte du contexte économique général « , renchérit Luc Frère.  » Si les Bayat avaient su qu’une crise économique allait arriver, ils auraient cédé le club il y a deux ans. Sans oublier la situation du football belge. On a changé la formule du championnat et celle-ci ne satisfait pas. Va-t-on encore réduire le nombre de participants en D1 ? Toutes ces questions pèsent sur l’avenir à long terme de Charleroi en D1. Si on en arrive à une D1 à 14, Charleroi voit ses chances de faire partie de l’élite encore se réduire. Et cela influence le prix et fait reculer les investisseurs potentiels. « 

Une relégation sportive en D2 aurait également freiné le club même si, selon Murari  » un repreneur ne réfléchit pas tant par rapport à la division que par rapport à la santé financière globale « . La D2, c’est moins de rentrées (public, droits TV) et donc un tassement certain des bénéfices.

 » Abbas Bayat doit faire décoller le club pour le rendre vendable « , conclut Luc Frère.  » Or, il n’y arrive pas comme il pensait pouvoir y arriver et cela l’énerve de plus en plus. « 

par stéphane vande velde

Si le club est sain, pourquoi le vendre ?

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