Quitter LE BANC

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

L’AC Milan constitue désormais de l’histoire ancienne pour le nouveau défenseur sénégalais des Rouches.

Tout indique que le transfert du défenseur central sénégalais Mohamed Adama Sarr (21 ans) au Standard a été réalisé dans le but d’offrir des alternatives à Dominique D’Onofrio en cas de blessure ou suspension de l’un des titulaires. IvicaDragutinovic est toujours là, Ogushi Onyewu a prolongé son contrat, Mathieu Beda a débarqué de St-Trond : rude concurrence pour le jeune Africain. Ses statistiques personnelles (voir encadré) illustrent d’ailleurs qu’il n’est pas encore prêt pour jouer un rôle en vue dans la défense d’une équipe qui visera le podium du championnat 2005-2006. Découverte.

 » Je suis né et j’ai grandi à Dakar « , explique Mohamed Adama Sarr.  » Chez nous, la vie n’était pas rose tous les jours. Mon père est un petit menuisier et ma mère est femme de ménage : il fallait s’en tirer avec environ 200 euros par mois et nous étions cinq enfants. Dans ces cas-là, tout est bon pour se faire un petit supplément. A la maison, on comptait sur moi : je jouais au foot dans la rue et on faisait des petits paris. Il m’arrivait de revenir avec du riz ou d’autres choses à nous mettre sous la dent quand j’avais gagné. Je n’ai jamais joué dans un club au Sénégal. Mes parents n’en avaient pas envie car ce sport était souvent synonyme de violence. Ils préféraient que je me concentre sur mes études et je me contentais de tournois inter quartiers. Un jour, un pote m’a proposé de jouer un tournoi officiel. Mes parents ont accepté du bout des lèvres et j’ai été élu meilleur joueur. Ce fut mon véritable départ. Un manager européen m’a alors proposé de passer un test à Trévise, dont l’équipe Première jouait en Série B italienne. Après deux jours d’essai, on me proposait un contrat. J’avais 16 ans : mon aventure en Europe commençait « .

A Trévise, le jeune Sarr n’a jamais goûté à l’équipe Première. Il débuta chez les Juniors puis monta assez vite en Primavera.  » J’ai obtenu cette promotion après trois mois seulement. Ce fut encore un moment décisif dans mon parcours. Les équipes de D1 et de D2 de cette catégorie jouaient dans le même championnat et c’est comme ça que j’ai affronté l’AC Milan. J’ai laissé une bonne impression aux Milanais dans ce match et ils m’ont proposé de les renforcer au tournoi de Viareggio, un grand rendez-vous pour les -20. Nous avons gagné ce tournoi et j’ai été désigné à la fois meilleur défenseur et meilleur joueur. Les gens de Milan n’ont pas hésité : avant même la fin de la saison, ils ont proposé 2 millions d’euros à la direction de Trévise. L’offre a évidemment été acceptée et je me suis ainsi retrouvé dans un des plus grands clubs du monde. La Juventus, l’AS Rome et la Fiorentina m’avaient aussi repéré à Viareggio, mais tout s’était tellement bien passé avec Milan dans ce tournoi que je n’ai pas hésité à y signer « .

Fils spirituel de Fatih Terim

A Milan, Sarr est placé dans le noyau B :  » La Première affrontait régulièrement la Primavera à l’entraînement. C’est ce qui m’a permis de taper dans l’£il du coach, Fatih Terim. Il m’a pris sous son aile et, un mois à peine après la reprise des entraînements, il m’a appelé dans le noyau A. Terim représentait tout pour moi. Mais il a été viré à la fin du mois d’octobre et je me suis soudainement senti orphelin. Je me demandais vraiment ce que j’allais devenir, je me préparais psychologiquement à un retour dans le noyau B. Mais, à ma grande surprise, Carlo Ancelotti, le successeur de Terim, m’a maintenu dans le groupe. Il me faisait moins confiance que Terim mais je n’oublierai jamais que c’est avec lui que j’ai joué le tout premier match de ma vie en Série A. Milan vivait une saison compliquée et Ancelotti estimait qu’il ne pouvait pas s’en tirer avec des jeunes. Le plus souvent, je jouais avec la Primavera et j’étais appelé pour compléter le noyau A, sans jouer. Enfin bon, j’estimais que c’était déjà bien, à 18 ans, de côtoyer chaque jour des champions comme Paolo Maldini, AndriyShevchenko ou Demetrio Albertini. Je bossais, je me taisais et j’écoutais « .

A la fin de cette saison 2001-2002, la carrière de Sarr prend un nouveau virage. Terim, qui a repris Galatasaray, appelle son chouchou en Turquie :  » Quand il m’a téléphoné, il m’a dit : -Viens ici, tu vas adorer l’ambiance. Milan était d’accord de me prêter et je n’ai pas hésité. Tout s’est très bien passé pendant quelques semaines, en tout cas. J’étais titulaire, j’ai joué sept matches de championnat et trois matches de Ligue des Champions en début de saison. Je m’étais parfaitement intégré. Quand on a connu Dakar et ses grosses bagarres dans les stades, on n’a plus peur de la ferveur des supporters turcs. On me considérait comme le fils spirituel de l’entraîneur et le contact passait très bien avec le public « .

Ensuite, une sale blessure freine le Sénégalais.  » J’ai eu un problème aux adducteurs. Cela ne semblait pas si grave au départ, mais j’ai été très mal soigné. Terim mettait la pression sur les médecins pour qu’ils me retapent le plus vite possible. Les toubibs disaient que j’étais guéri, mais je souffrais toujours. C’était devenu une espèce de dialogue de sourds. J’ai alors appelé Milan pour demander si je pouvais retourner me soigner en Italie. J’y suis rentré en décembre et les deux clubs ont mis fin au prêt. Milan m’a directement prêté à Ancône, une équipe de D2, pour le deuxième tour. Mais j’ai continué à traîner ma blessure et je n’ai finalement pas joué un seul match officiel avec Ancône. Au moment où j’étais rétabli, l’équipe ne perdait plus rien et j’étais condamné à attendre mon tour. Il n’est jamais venu « .

Etape suivante : Bergame, autre club de Série B :  » Encore une saison difficile pour moi. J’avais une fameuse concurrence dans les pattes « . Ensuite, cap sur l’AS Vittoria, en D3 cette fois, pour le championnat 2004-2005.  » J’ai enfin trouvé du temps de jeu là-bas. J’ai disputé près de 30 matches. J’en garde le souvenir d’une excellente saison. J’appartenais toujours à Milan, je ne savais pas trop de quoi mon avenir serait fait « .

Rideau sur le championnat de Belgique

Jusqu’au coup de fil du Standard, très récemment.  » Ne me demandez surtout pas ce que je sais du championnat de Belgique et de ce club « , rigole Sarr.  » Vous savez, quand on est footballeur professionnel en Italie, on tire le rideau, on ne s’intéresse pas à ce qui se passe dans des pays comme la Belgique « .

Le parcours de Sarr n’est donc pas spécialement impressionnant. Même s’il a le privilège de son jeune âge, il va quand même devoir û enfin û confirmer qu’il a le niveau d’une équipe de D1. Huit matches joués en première division au cours des quatre dernières années, c’est on ne peut plus maigre.  » Je suis encore tout jeune, hein ! « , lance- t-il.  » J’étais totalement libre pour le Standard mais je n’ai qu’un an de contrat : je suis donc conscient que je dois très vite saisir ma chance. Je n’ai plus le droit à l’erreur. Aujourd’hui, je ne peux plus me considérer comme un joueur du grand AC Milan, je n’ai plus aucun lien officiel avec ce club. A moi de donner une nouvelle impulsion à ma carrière. Je cherche un peu de stabilité. Etre prêté à gauche, à droite puis au milieu, c’est ch… à la fin ! J’ai débarqué avec de solides ambitions. Je ne suis pas venu en touriste. Il y a des barons de l’équipe à ma place ? Pas de problème, je vais me battre. Je les respecte mais je ne les crains pas. J’ai eu la chance de travailler dans deux grands clubs européens, je veux profiter de cet acquis. Même si je n’ai presque pas joué avec Milan et Galatasaray, j’y ai appris plein de choses. J’ai bossé avec de très grands entraîneurs et des vedettes mondiales. Finalement, tout est peut-être allé trop vite pour moi. Je serais peut-être plus avancé aujourd’hui si j’avais construit ma carrière de façon plus graduelle. Mais bon, il faut être complètement fou pour refuser un contrat à Milan à 17 ans « .

Soucieux de s’imposer rapidement au Standard, Mohamed Adama Sarr vise aussi un retour en équipe nationale du Sénégal :  » Je suis capitaine de l’équipe des -23 ans et j’ai aussi goûté à l’équipe A. Je me suis même retrouvé aux portes de la Coupe du Monde 2002, mais le fait que je ne jouais pas à Milan m’a finalement été fatal. J’étais dans la présélection des 25 et j’ai sauté quand Bruno Metsu a dû éliminer deux joueurs. A l’époque, j’ai râlé sec parce que je ne comprenais pas qu’il retire deux jeunes pour garder deux gars de 34 ans. Je trouvais ça dégoûtant. Je suis aussi passé à côté d’un grand objectif avec les -23 : nous n’avons été éliminés que de justesse dans la course aux Jeux d’Athènes « . Deux déceptions qui confirment que la carrière du jeune arrière sénégalais doit encore démarrer !

Pierre Danvoye

 » Tout est peut-être allé TROP VITE « 

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