QUITTE OU DOUBLE

Jacques Sys
Jacques Sys Jacques Sys, rédacteur en chef de Sport/Foot Magazine.

Les Flandriens ont présenté un projet qui doit mener à la construction d’une nouvelle arène. Ils sont à un tournant de leur histoire.

C’était un jour gris de décembre 2005. Michel D’Hooghe philosophait pour la première fois, dans un restaurant du vieux Bruges, au sujet d’un nouveau stade. Il pleuvait et ventait dehors, mais le feu ouvert crépitait dans l’auberge. D’Hooghe nous disait entre deux bouchées de carbonades flamandes que son Club Bruges était à l’étroit au Jan Breydelstadion, où toutes les ressources de revenus étaient exploitées.  » Abonnements, loges, espaces publicitaires, repas : on atteint la limite partout. On a d’ailleurs enregistré pour la dernière campagne automnale en Ligue des Champions un record : 5.000 demandes de repas pour 650 couverts disponibles !  »

Aujourd’hui, D’Hooghe parle d’un projet pour lequel il n’existe pas encore de plan définitif mais qui donne une idée de la direction dans laquelle les Bleu et Noir veulent aller : vers un nouveau temple du football comptant 40.000 places, sur le territoire de la commune de Loppem, à 400 m de la frontière avec Bruges Sint-Michiels. Le site encore rural devrait voir s’ériger de nouvelles accommodations d’ici 2010, à savoir un complexe de magasins et un parking de 8.000 places. Pour financer ces gros travaux, le Club compte appliquer une technique financière qui lui permettrait de ne pas débourser un euro de son budget sportif. Mais à peine lancé, le projet fait déjà l’objet de critiques, notamment dans la commune de Loppem où presque tous les habitants ont affiché leur opposition : Non au stade, oui à la raison. Sur le terrain destiné à accueillir le futur complexe, on peut lire : Mégaprojet, épargnez notre village. Un site internet (www.wittepioen.be) recueille les plaintes et a déjà enregistré 8.000 visites. D’Hooghe affirme de manière diplomatique et prudente que beaucoup d’eau devra encore couler sous les ponts avant que le nouveau stade ne soit opérationnel…

Ambiance…

Le Club se trouve à un carrefour de son histoire. L’équipe a pendant longtemps évolué au Klokke, un stade à l’anglaise où les joueurs sentaient littéralement le souffle du public dans la nuque. Les spectateurs étaient massés tellement près de la ligne de touche que le club devait tendre des cordes pour éviter que les supporters n’empiètent sur le terrain. Nulle part en Belgique on ne pouvait vivre une telle ambiance et le Klokke était un enfer pour l’équipe visiteuse. En 1976, le Club déménagea à l’ Olympiastadion, qui allait être rebaptisé Jan Breydelstadion à l’aube de l’EURO 2000. La capacité put ainsi être étendue de 18.000 à 30.000 places. L’ambiance parut au départ plus feutrée mais les souvenirs du Klokke s’estompèrent bien vite sous l’impulsion des formidables prestations livrées par l’équipe de Ernst Happel. Le Club entamait alors la plus riche période de son histoire.

Le nouveau stade devra pérenniser cette ambiance légendaire et c’est le défi : combiner une architecture moderne et une chaude ambiance. Ce n’est pas un hasard si plusieurs spécialistes du club ont visité récemment et visiteront encore plusieurs arènes en Europe. Le Club veut conserver son caractère populaire tout en commercialisant son produit en tant que marque. Cela mènera inévitablement à une hausse du budget. De combien ? Le Club Bruges travaille pour le moment avec 20 millions d’euros par an. Il y a quatre ans, les recettes du foot européen et des transferts sortants venaient encore compenser les pertes subies en compétition belge. A présent, la situation financière ne dépend plus de ces deux rentrées, mais les moyens n’ont pas augmenté. Pourtant, si le Club voulait encore jouer un rôle dans le concert européen, le budget actuel devrait être doublé. Dans un pays où les droits TV sont maigres (pour le Club Bruges, environ 3 millions d’euros par an), il faut d’autres recettes. La construction d’un nouveau stade fait dès lors partie des priorités.

Certains estiment démesuré l’objectif de 40.000 places. L’économiste Norbert Van Hove a déjà calculé que le Club devrait accueillir en moyenne 15.000 supporters de plus afin de pouvoir payer les frais opérationnels et d’entretien du stade, estimés entre 50 et 75 millions d’euros. Cela paraît inatteignable mais le nombre moyen de spectateurs lors des matches à domicile a presque doublé en 10 ans : de 14.005 en 96-97 à 25.365 la saison dernière !

Etre visionnaire

Aux Pays-Bas, les expériences des clubs de D1 montrent qu’un nouveau stade procure davantage de ressources. L’AZ Alkmaar, par exemple, joue cette saison dans un nouveau stade devant 17.000 personnes en moyenne, soit le double de la saison passée. Et des clubs comme Heerenveen (+ 35 %) et Groningue (+ 30 %) confirment la tendance, pour ne prendre que les exemples les plus récents d’entités ayant amélioré le confort. L’exemple européen le plus frappant se situe toutefois de l’autre côté du Rhin. En Allemagne, une moyenne de 38.191 personnes a assisté aux duels de Bundesliga l’an dernier, un record mondial absolu. Cinq ans auparavant, ce chiffre était encore de 28.421 spectateurs. Et l’augmentation s’est produite à un moment où de plus en plus de footballeurs allemands de top niveau quittaient la compétition domestique et où la qualité des matches diminuait.

Cela démontre que les gens ne vont pas seulement à une rencontre de football. Il est regrettable que le mouvement de modernisation intervienne aussi tard en Belgique. Lorsque George Kessler arriva à l’Antwerp au début des années 80, il proposa la construction d’un nouveau stade, sur le modèle de l’actuel ArenA d’Amsterdam mais avec une capacité de 32.000 places. Le projet aurait coûté 1,2 milliard de francs belges à l’époque (30 millions d’euros). Kessler, qui avait déjà fait ériger une nouvelle tribune dans son club précédent de PEC Zwolle avec l’aide de sponsors, avait calculé dans les moindres détails comment le club anversois aurait pu rentabiliser l’investissement. Rien qu’avec les tickets vendus pour de simples visites du stade, les recettes se seraient élevées à 1,25 million d’euros. L’Antwerp n’a pas osé le pari.

On peut d’ailleurs qualifier Kessler de visionnaire. En tant qu’entraîneur d’Anderlecht, il eut maille à partir avec Constant Vanden Stock en 1971, lorsqu’il proposa au président mauve la construction de loges. Vanden Stock fut rarement plus fâché qu’alors. Mais 12 ans plus tard, les loges étaient bel et bien présentes au Parc Astrid !

JACQUES SYS

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