Qui va à Anderlecht?

Bruno Govers

Anderlecht est-il le plus francophone des clubs néerlandophones ou le plus néerlandophone des clubs francophones?

Y a-t-il un club plus représentatif de la réalité linguistique belge que le RSCA?

Cette question, nous nous la sommes posée pour la toute première fois au beau milieu des années 70, frappé par le contraste entre un effectif à dominante néerlandophone (certains collègues hollandais avaient même affublé ANDERlecht du surnom NEDERlecht en raison de la présence massive de joueurs de ce pays au Sporting : Jan Ruiter, Leen Barth, Arie Haan, Peter Ressel, Ronny Van Poucke, Nico de Bree, Johnny Dusbaba, Robby Rensenbrink et on en passe) et un public à majorité francophone. Constat qui se vérifiait notamment dans les chants, puisque c’était l’époque où le refrain Allons les Mauves fusait de tous les gradins, sans oublier le non moins célèbre Anderlecht en finale, ce sera le plus beau jour de ma vie en hommage aux trois participations de rang des Sportingmen en apothéose de la Coupe des Coupes.

Aujourd’hui, ces couplets-là paraissent bel et bien avoir vécu. Il est vrai qu’Anderlecht n’a plus été présent au stade ultime d’une épreuve européenne depuis 1990 et qu’il est donc normal que cette dernière antienne soit tombée en désuétude. Le fameux Allons les Mauves, nous ne l’avons plus entendu qu’une seule fois ces dernières années : lors de la fête du vingt-cinquième titre, l’année passée, quand le manager Michel Verschueren ressortit ce vieux tube, que seuls les anciens reprirent en choeur. La nouvelle vague, elle, ne jurait que par d’autres hymnes à la gloire du club et de ses joueurs. Comme Iedereeen is bang van Anderlecht et We worden kampioen, entre autres. Des chants néerlandophones destinés, ce coup-ci, à un noyau où les éléments francophones sont mieux représentés qu’avant, comme en attestent les présences des Bertrand Crasson, Olivier Doll, Emmanuel Pirard, Walter Baseggio, Aruna Dindane, Alin Stoica, Elos Ekakia, etc.) Toujours la même bivalence francophone-néerlandophone, en quelque sorte, mais inversée au fil des ans!

Si, en ce qui concerne le groupe des joueurs, les statistiques sont évidentes à ce sujet, la fluctuation au niveau des composantes de l’assistance est plus difficilement comparable. Il y a un quart de siècle, en effet, l’administration du RSCA ne disposait que de données relatives à ses quelque 8.000 abonnés. Et cet échantillon-là n’était guère représentatif sur un public qui atteignait le chiffre de 38.000 lors des grands matches. A présent, cette donnée a changé, puisque les jours de matches, le stade Constant Vanden Stock, dont la capacité a été réduite à 28.000 places, est occupé aux deux tiers par des abonnés : 17.549 exactement cette année. Grâce à la fan card, le service billetterie des Mauve et Blanc a également une idée plus précise de l’identité des 6.000 personnes qui, en moyenne (elle était de 23.931 unités cette saison, sans les invités) sont venus grossir les rangs des fidèles en 2000-2001. Et ces chiffres démontrent bel et bien une plus grande présence des sympathisants néerlandophones.

Responsable du service abonnements et de la billetterie du RSCA, Marc Torsin lève un coin du voile en la matière : « Sur les 17.549 fidèles que compte notre club, 20% viennent de Wallonie et 18% du Brabant Wallon, soit un total de 38% », observe-t-il. « Une autre tranche de 7% est originaire de Bruxelles et de son agglomération. Le reste, à savoir 55% provient de la région néerlandophone : 12% pour le Brabant Flamand, ainsi qu’un même pourcentage pour les deux Flandres et le Limbourg et 19% pour la seule province d’Anvers. Ces dernières années, notre taux de pénétration ne cesse d’ailleurs de grandir là-bas, alors qu’il est plus stable dans les autres régions. Cette croissance est probablement due à plusieurs facteurs : tout d’abord, il faut bien avouer que le football dans la Métropole est rentré dans le rang ces dernières années. Au moment où l’Antwerp tenait le haut du pavé en Coupe d’Europe, tous les Sinjoren voulaient être associés au Great Old. Mais dès l’instant où le plus vieux club du pays a perdu de sa superbe, bon nombre de ces suiveurs s’en sont subitement distanciés. Dans la mesure où l’Anversois, plus que tout autre Belge sans doute, désire être associé au succès, il était somme toute logique qu’en l’absence d’un club-phare dans sa propre ville, il opte pour Anderlecht. Il est d’ailleurs frappant de constater à quel point les Anversois se sont rués sur les mini-abonnements que le Sporting a proposés dans le cadre de la Ligue des Champions cette saison. Pour cette compétition, leur présence a grimpé de 19 à 25%, soit un quart du stade. C’est énorme, évidemment ».

Signe de l’engouement du Sporting, ces 3.000 abonnés anversois en championnat et 5.000 en Ligue des Champions, représentent un nombre de fidèles supérieur à ceux de l’Antwerp et du Germinal Beerschot Anvers réunis. Mais ailleurs aussi, les chiffres sont éloquents. Comme au Limbourg, avec ses 12%, alors que la province verte est quand même représentée au plus haut niveau par un club qui draine les foules : le Racing Genk.

« Malgré la percée de ce club au firmament du football belge, le public limbourgeois est resté d’une fidélité à toute épreuve envers nous », confie Marc Torsin. « En Belgique, c’est probablement la masse la plus dingue de foot car outre les milliers d’abonnés au stade du Phénix, bon nombre de Limbourgeois convergent aussi, régulièrement, vers Sclessin. Dans un même ordre d’idées, nous avons conservé, au fil des ans, les mêmes irréductibles en Flandres. Non seulement à Gand mais aussi à Bruges, en dépit de la rivalité avec le Club local. D’une manière générale, les fluctuations, d’une année à l’autre, sont plus grandes dans la région wallonne que dans la partie nord du pays. En raison des problèmes qu’a connus Clabecq voici quelques années, il y a eu une désaffection là-bas. Et le même phénomène fut perceptible dans le Centre avec Boël. Il a toutefois suffi que le problème des Forges soit solutionné pour que les anciens reviennent ».

Ce qui peut paraître plus étonnant, dans les données précitées, c’est la faible représentativité des Bruxellois. Mais Marc Torsin nuance : « A ces 7% d’abonnés s’ajoutent un nombre appréciable de sympathisants de la capitale qui acquittent tout simplement leur droit d’entrée. A cette occasion, les proportions sont de 65% de Bruxellois pour 35% de non-Bruxellois. Et dans cette frange-là, les francophones sont plus nombreux que les néerlandophones. Surtout quand l’opposition est, de surcroît, francophone. Dans ce cas, les gens aiment montrer qu’ils sont supérieurs à ceux de Charleroi, de Liège ou de Mouscron. Même si ce ne fut pas le cas cette saison avec les Hurlus (il rit). De façon globale, les sympathisants des autres clubs de D1 rallieront plus aisément le Parc Astrid s’ils sont francophones que néerlandophones. Car les premiers viennent essentiellement pour vivre l’événement, alors que les autres, par hantise de la défaite, se gardent peut-être de faire le déplacement. Surtout quand ils viennent de loin, comme Lommel par exemple. Chez nous, par contre, les distances n’effraient pas quelques irréductibles. C’est ainsi que nous avons deux abonnés à Lille, un autre à Amsterdam et même un Londonien qui est présent à tous nos matches »!

La première version de la fan card avait permis à Anderlecht de comptabiliser 32.000 fidèles, chacun d’entre eux pouvant procurer un ticket d’entrée à trois autres personnes. Ce chiffre étant désormais ramené à un, le service billetterie des Mauves prévoit d’en écouler 50.000 à présent, si pas davantage. En l’espace de trois jours, 1.393 personnes avaient déjà effectué cette démarche, au beau milieu de la semaine passée. « Il n’est pas impossible du tout que nous crevions ce plafond, dans la mesure où, en Ligue des Champions, nous avons quand même accueilli un public légèrement différent cette année », observe Marc Torsin. « En réalité, à l’occasion de ces rencontres, nous avons abrité la moitié seulement de notre assistance traditionnelle. La nouvelle clientèle a été fonction de l’événement, puisque l’équipe a été appelée à se mesurer tour à tour à des ténors européens comme Manchester United, la Lazio Rome ou le Real Madrid. Dans la mesure où des adversaires peut-être tout aussi prestigieux nous attendront la saison prochaine, la plupart voudront sans doute prendre les devants. D’autant plus que la formule des mini-abonnements avait facilement trouvé preneurs. Sans doute n’en ira-t-il pas différemment dans quelques mois. Dans un même registre, je m’attends d’ailleurs à ce que le nombre d’abonnés grimpe en flèche, lui aussi, une fois encore. L’année passée, nous étions passés de 13.568 à 17.549 unités. Selon toute vraisemblance, nous devrions frôler les 20.000 dans un proche avenir ».

Mais comment donc Marc Torsin explique-t-il qu’à l’époque glorieuse des Robby Rensenbrink et autre Juan Lozano, le RSCA n’écoulait qu’une huitaine de milliers d’abonnements et que sa moyenne était de moins de vingt mille personnes alors qu’avec des noms moins ronflants, ce même Sporting bat tous les records d’affluence à présent?

« Tout d’abord, compte tenu de la modernisation du stade, le confort s’est accru. Pour l’équivalent de 500 francs belges, les gens sont bien installés chez nous. Au concert, il n’est pas rare de devoir débouser le triple de ce montant et de rester debout. En outre, le football n’a sans doute jamais été aussi in qu’aujourd’hui. Et tout le monde veut y être associé. J’ai cru comprendre qu’à Arsenal, un abonnement coûte plus, aujourd’hui, qu’une même formule pour l’Opéra de Londres. C’était impensable il y a vingt ans, mais considéré comme tout à fait normal aujourd’hui. Signe des temps, tout simplement. Et nous le vérifions aussi. Qu’on le veuille ou non, le Parc Astrid est devenu un endroit branché ».

Bruno Govers

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