« Qui suis-je »

Le défenseur central germano-danois de Lokeren profite de chaque instant pour faire le point sur son existence.

« Je n’ai pas de voiture, pas de télé, juste un vieux GSM. Je vais essayer de vivre le plus longtemps possible sans voiture car je n’en vois pas l’utilité « , lance ce jeune homme de 20 ans qui, depuis le mois de décembre, fait son trou dans l’équipe de Peter Maes. Vêtu de façon très simple (une chemise sans marque, un jeans, un bonnet noir qui masque mal un piercing à l’oreille), il nous rejoint dans la salle des joueurs de Lokeren.  » J’habite au centre-ville, je peux venir au stade à pied. J’aime me déplacer de la sorte, même s’il y a aussi des inconvénients. J’ai ainsi manqué un concert de Sigur Ros à Forest-National et le match PSG-Marseille parce que je n’étais pas rentré suffisamment tôt en train.  »

Scholz est un rebelle, un anticonformiste qui, avant de réussir dans le football, chercha son bonheur dans un tout autre environnement.  » J’en avais marre de cette vie de footballeur. Tu as beaucoup de temps libre mais aucune liberté. Je voulais partir à l’aventure. Moi, je m’adapte partout. Je vis très simplement, pas besoin de luxe.  »

La mascotte de Vejle

Alexander Scholz :  » Je ne suis pas arrivé dans le monde du football par hasard. Je suis l’aîné d’une famille de trois enfants et mon père, Kent, m’a mis un ballon dans les pieds dès l’âge de deux ans. Il est allemand, et ma mère aussi. Mais notre famille est originaire d’une ville portuaire du nord, à forte minorité danoise. Mon père était défenseur à Flensburg 08, le club local. Puis, à l’âge de 20 ans, il a été transféré à Vejle, le club de Preben Larsen. Il y a joué 140 matches. Moi, j’étais la mascotte de l’équipe. Je suivais tous les entraînements et toutes les rencontres. J’allais presque chaque jour dans le vestiaire. J’ai donc compris très tôt ce qu’être professionnel signifiait.  »

 » J’étais né pour être footballeur. D’autant que mon oncle et mes cousins jouaient aussi. Mais je n’ai jamais eu d’idole, même si j’ai beaucoup de respect pour Carles Puyol, qui a démontré que la défense était aussi un art. C’est un gagneur, comme moi. Je suis avant tout là pour éviter les buts mais la victoire apporte du plaisir. Puyol est aussi le seul véritable capitaine de Barcelone, une forte personnalité. J’essaye de m’en inspirer. J’ai toujours été quelqu’un de responsable. A Daugaard, on m’a immédiatement confié le brassard et on a voulu que je tire les penalties ainsi que les coups-francs, même si ma technique n’était pas des meilleures.  »

 » A la maison, on ne m’a jamais poussé à devenir pro à tout prix. J’étais un bon élève mais pas le meilleur de la classe. L’économie et le management des ventes ne me passionnaient pas outre mesure. Si je n’étais pas devenu footballeur, j’aurais étudié la philosophie à l’université. J’ai été appelé en équipe nationale danoise et, à 18 ans, j’ai dû choisir ma nationalité. J’ai opté pour le Danemark car c’est là que je suis né et que j’ai grandi.  »

 » Pour moi, tout est allé trop vite. Je trouvais que ma vie était monotone et je voulais voir autre chose. Lors d’un match international en Grèce, j’avais profité d’un moment de loisir pour aller marcher seul. Je voulais en savoir plus sur la culture et l’histoire des Grecs mais je n’ai pas eu cette chance car le voyage était trop court. Au printemps 2011, j’ai voulu retrouver ma liberté. J’en avais marre de voir toujours les mêmes personnes, de jouer contre les mêmes clubs et de devoir toujours gagner. Je voulais découvrir autre chose, faire d’autres expériences.  »

A Saint-Jacques de Compostelle

 » Après mes examens, j’ai pris la décision d’arrêter de jouer, même si personne ne me comprenait. Je suis parti pour l’Espagne et j’ai fait, seul, une partie des chemins de Saint-Jacques de Compostelle. Cela m’a procuré des sensations fantastiques, même si j’ai dû dormir une nuit à la belle étoile car les hôtels étaient complets. A un certain moment, j’ai eu peur mais à cet âge-là, on est naïf et on ne se pose pas de question. J’ai rencontré des tas de gens. Chacun avait son histoire et m’apprenait quelque chose. Le fait de devoir me débrouiller tout seul m’a beaucoup appris car, au Danemark, je n’étais pas très sociable. J’ai donc découvert une part de mon identité.  »

 » Lorsque je suis rentré, j’ai été appelé en équipe nationale des U20 et j’ai repris les entraînements avec Vejle mais je n’étais plus motivé et mes parents se faisaient du souci. J’ai pris mes distances avec eux et ce fut très dur. J’avais un contrat pro mais je n’allais plus à l’entraînement. Le club ne me payait donc plus et j’ai dû quitter mon appartement. On n’arrêtait pas de me relancer mais je ne voulais rien savoir. Je me suis donc isolé. Je me cherchais mais j’étais prisonnier. Avec ma copine de l’époque, nous avons décidé de découvrir l’Europe, sac au dos. Mais nous n’avions pas d’argent et j’ai donc dû trouver un job. Je suis allé voir un oncle et une tante en Allemagne. Ils m’ont logé gratuitement tandis que, pendant deux mois, j’ai placé des échafaudages pour une firme de construction. Je travaillais de 7 heures du matin à 7 heures du soir (il souffle). C’était tellement dur que, les premiers jours, dès que je rentrais, je m’endormais. Autre chose qu’une vie de joueur pro… D’autant que j’ai deux mains gauches et que, comme j’étais le plus jeune, c’est moi qui abattais le sale boulot. Et puis, on ne parlait que de bière, de femmes et de sexe.  »

 » J’ai alors travaillé un peu avec des enfants puis je suis reparti en voyage pour deux mois. Tout seul, car je suis un introverti. Personne ne peut m’influencer. J’étais attiré par la vie spirituelle en Inde. J’avais lu beaucoup de choses à ce sujet mais je n’imaginais pas que le choc serait si fort. Les premiers jours, je ne supportais pas la chaleur et l’humidité. J’ai beaucoup observé et j’ai compris ce qui était essentiel pour vivre et survivre. J’ai vu beaucoup de pauvres mais aussi des gens super-riches et très spéciaux. Une femme a voulu me faire croire qu’on pouvait parler aux arbres. J’avais justement rencontré un gars de Liverpool qui, comme moi, voyageait sac au dos. Nous avons bien rigolé.  »

De l’Himalaya à l’Islande

 » L’Inde ne m’a pas apporté des réponses à toutes mes questions mais j’avais besoin de changement. Là, je ne pensais plus du tout au football. J’étais libre, je prenais conscience. Mais à force de marcher, j’ai eu envie de rejouer au foot. Je ne pouvais pas rentrer à Vejle. Dans les montagnes indiennes, j’ai loué un ordinateur et j’ai négocié avec un club islandais via Skype. J’avais envie de jouer sur une île où les distances étaient très grandes. Isolé sur une île, quel bonheur ! J’aimais l’Islande pour sa nature et la mentalité des gens, qui font tout lentement. Au Danemark, j’étais un simple joueur, je ne me connaissais pas.

A Stjarnan, je pouvais devenir un homme. On avait confiance en moi car j’étais le premier étranger à qui on confiait un contrat de deux ans. J’étais semi-professionnel et, le matin je remplissais des congélateurs dans des grandes surfaces. Ce n’était pas très dur car mon boss était aussi dirigeant du club. Toutes les semaines, nous avions quelques jours de libre et j’en profitais pour aller marcher en montagne. J’adorais cette vie, c’était une sorte de compromis. J’avais perdu une partie de ma liberté mais j’étais relax. J’aime profiter de la vie mais je suis toujours à la recherche de moi-même et je ne changerai sans doute pas.  »

 » Quand je suis arrivé en Islande, en février, je n’étais plus nulle part sur le plan footballistique. Mais grâce aux entraînements et aux matches, j’ai retrouvé une place de titulaire pour le début du championnat, en mai. Je jouais dans l’entrejeu alors qu’au Danemark, j’avais toujours joué en défense centrale ou dépanné à l’arrière droit. J’ai été élu Joueur de l’Année, nous avons atteint la finale de la Coupe et j’ai inscrit 7 buts.  »

 » J’avais fait inclure dans mon contrat une clause qui me permettait de partir entre novembre et février, pendant la trêve. Je voulais partir en vacances en Amérique du Sud mais j’avais peur de perdre la forme. Mon manager a alors parlé avec Arnar Gretarsson et Runar Kristinsson, qui m’ont permis d’effectuer un stage à Lokeren. J’ai joué deux matches avec les Espoirs et j’ai signé jusqu’en 2015. J’ai retrouvé l’ambition et je suis moins impulsif qu’au début. Jouer au foot, c’est ce que je fais de mieux. Difficile de laisser tomber, dès lors. La saison prochaine, je devrai confirmer. Et puis, je me réhabitue à gagner de l’argent et j’ai besoin d’adrénaline.  »

PAR FRÉDÉRIC VANHEULE – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ KETELS

 » L’Inde ne m’a pas apporté de réponses. « 

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