Qui mérite une ola ?

Dans le prolongement de son livre, Dans les secrets du Tour de France, Guimard s’efforce de rester lui-même.

En ce mois de juin, Cyrille Guimard est sorti de son relatif anonymat en publiant aux éditions Grasset Dans les secrets du Tour de France. Fort de ses convictions, le Petit Napoléon des pelotons n’y va pas de main morte quand il s’agit d’exprimer ses idées. Si vous avez lu notre hors-série paru ce 14 juin, vous avez eu droit en exclusivité à quelques extraits décoiffants : rassurez-vous, tout le reste est du même tonneau. Rien à voir avec la promotion de ces films où les meilleurs moments sont repris dans la bande annonce et où, pour le reste, il n’y a rien à voir.

Après avoir été viré par Cofidis en 1997 suite à une condamnation pour faillite en tant que PDG d’une société qui construisait des cadres de vélo, Guimard est devenu consultant. Sur RMC et Sports Plus, il s’efforce de rester lui-même et de susciter un vrai débat.

Pourquoi a-t-il attendu aussi longtemps, soit 32 ans après Un vélo dans la tête paru aux éditions Solar, pour publier ce livre ?

Cyrille Guimard : C’est clair que j’ai eu plusieurs propositions depuis tout ce temps mais la raison principale est que je ne voulais plus être un acteur de la compétition. J’estimais que mon activité de directeur sportif n’était pas compatible avec un tel ouvrage. Si je ne l’ai pas fait un peu plus tôt, c’est aussi parce que j’ai eu une sorte de blocage. Je suis membre du jury du Prix Antoine Blondin, qui récompense un ouvrage original sur le sport, et qui est remis dans le cadre des Journées du Livre et du Vin de Saumur. Je reçois donc un certain nombre de bouquins dont j’ai du mal à dépasser la 40e page. On n’y apprend rien. Si je suis sans doute trop critique quand l’histoire a lieu dans le monde du cyclisme que je connais bien, je n’accroche pas souvent même quand je lis un récit dans le monde du football, où je n’ai jamais été acteur. Je ne voulais donc pas faire un bouquin bateau. Le livre dont vous parlez, je ne dirais pas qu’il n’y avait pas d’informations intéressantes dedans mais je ne voulais pas faire la même chose.

Aujourd’hui, vous travaillez beaucoup plus avec les jeunes. Quel est votre rapport avec eux ?

Il faut tenir compte de l’évolution de la société. Le système éducatif et tous les rapports entre les personnes ont changé. Je fais partie d’une génération de gens besogneux qui sont confrontés à une génération zappette. Tout comme quand, ils regardent la télévision, les jeunes changent souvent de programme. Dans les écoles de cyclisme, on ne fait donc pas que du vélo. La notion d’ordre a aussi évolué : il faut qu’un jeune soit d’accord de faire quelque chose. La notion de plaisir est aussi différente. Ce n’est pas le propre du vélo : l’autre jour, j’ai entendu une jeune judokate, éliminée au premier tour, terminer l’explication de sa défaite par -Mais qu’est-ce que je me suis fait plaisir et j’ai pris de l’expérience. J’ai sursauté : elle se fait balader et elle n’est pas triste. Et en plus, quelle expérience a-t-elle bien pu acquérir en une minute où elle n’a rien vu venir ? Sa copine qui n’a pas été sélectionnée doit l’avoir mal pris. Pour revenir au vélo, voilà une expérience récente que j’ai vécue sur le vélodrome de Roubaix. On a décidé de terminer la séance par 10 tours avec relais et tout d’un coup, alors qu’il reste deux tours, deux coureurs arrêtent : -On a soif ! Difficile à comprendre. Ils auraient quand même pu patienter deux minutes. Bref, nous ne jouons pas dans le même film.

Evans manque de rayonnement

Dans le livre, vous faites une sorte de ligne du temps avec les champions qui vous ont fait vibrer tellement ils faisaient corps avec leur machine. Est-ce que Cadel Evans (35 ans) peut entrer dans cette catégorie ?

Il n’a plus l’âge de faire rêver. Il faut arriver très tôt pour faire rêver : gagner le Tour avant 23 ans. Quand on voit son parcours, son professionnalisme et sa présence, c’est sans aucun doute quelqu’un à prendre en exemple. A un jeune, qui veut gagner le Tour de France, on peut lui conseiller de copier Evans. Mais il manque de rayonnement. Si tout est beau et bien huilé, c’est également terre à terre, pas clinquant. Il ne va pas y avoir d’un seul coup tous les passionnés de vélo qui vont faire la ola pour lui.

Qui pourrait donc faire vibrer le grand public ?

Andy Schleck mais il doit se dépêcher. Il a déjà 27 ans et pour vraiment lancer une légende, il faut gagner le Tour dès sa première participation comme Merckx ou Fignon. Andy a un look jeune et est bien en phase avec la jeunesse d’aujourd’hui. Alors qu’un Evans donne l’impression de faire partie de ces gens besogneux qui vont à l’usine, Andy Schleck donne l’impression d’aller à un concert de rock. Rien à voir avec son frère qui fait vieille France. Sans compter que Frank a de petits moyens pour le niveau supérieur. Il doit beaucoup travailler pour être au niveau. Andy n’a pas la même constance à l’entraînement.

Pourtant, avant que le forfait d’Andy ne soit acté, son manager Johan Bruyneel a tenu des propos peu sympas à l’égard des deux frères et songeait à écarter Frank de la sélection.

Sur le fond, Bruyneel a raison. Ils se comportent comme des jumeaux alors qu’ils ne le sont pas et n’arrêtent pas de répéter qu’à deux ils sont plus forts, ce qui n’est pas vrai non plus. Cela génère deux problèmes : le premier c’est qu’en cas d’échec, on dilue les responsabilités. Le second est que je me demande si Andy aime le vélo. Est-ce qu’il l’aime au point de le faire comme Merckx ? Je suis catégorique : non ! Il n’est pas animé d’une vraie passion à la Marc Madiot. Avec Andy, Bruyneel court le risque de s’entendre dire : – Puisque vous me gonflez, je vais à la pêche. Il a un gros moteur qu’il n’a pas exploité à 100 %. A l’image d’un Lucien Van Impe, il a peut-être atteint son niveau de satisfaction. Il se dit – Je fais ce que j’ai envie de faire au moment où j’ai envie de le faire. Cela ne m’aurait pas étonné qu’il annonce à Bruyneel : -Je ne prends pas le départ du Tour, je pars 15 jours en Corse reconnaître les étapes de l’année prochaine !

Comme Virenque, Contador est devenu une victime

La centaine de kilomètres contre la montre au programme dans ce Tour constituait un handicap pour lui.

Sans doute mais c’est l’année dernière qu’il a laissé passer sa chance : il n’y avait pas de prologue, pas de contre-la-montre par équipes. Il lui a fallu 8 jours pour qu’il commence à marcher. On a dû patienter jusqu’aux Alpes pour voir son premier grand numéro : donc 18 jours pour arriver en condition. Cela s’appelle gâcher son talent. Quand on l’a, pourquoi ne pas l’utiliser ? Pour le moment, il n’y a pas de vraie star.

A son retour de suspension, Alberto Contador peut-il le devenir ?

Sur les tours, il avait tout : aisance et efficacité en montagne. Mais étaient-elles naturelles ? Contador a été suspendu par le TAS alors qu’il ne s’était déjà sorti que de justesse de l’affaire Puerto. Voici deux ans, on a dévoilé des données sur une prestation jugée surhumaine lors de la 15e étape du Tour mais on n’a jamais été très clair sur la méthode utilisée pour obtenir ces résultats. C’était très aléatoire d’autant qu’aujourd’hui les moyens informatiques vous permettent de voir la progression du coureur sur tout le parcours. On connaît à tout instant, les watts dépensés, la vitesse acquise et même les périodes où on ne pédale pas. Le manque d’image de Contador s’explique par le fait qu’il ne parle que l’espagnol et encore l’espagnol. A l’heure actuelle, c’est devenu impensable tant le cyclisme a pris une ampleur dans le monde entier.

Pour vous, cela joue plus contre lui que sa suspension pour dopage ?

Dès que vous être pris, vous êtes victimisé. Il y a 20 ans, on vous considérait comme un voyou ; aujourd’hui, vous êtes une victime, on parle de vous et vous devenez une star. Il y a toujours une équipe qui vous propose un contrat trois ou quatre fois supérieur à celui que vous aviez. Prenez le cas de Richard Virenque, qui n’a pas reçu un telle augmentation. Je n’ai pas lu tous les dossiers mais il nie le système de dopage voulu par les coureurs et juste avant le procès il reconnaît y avoir participé. Et plus tard, les chaînes télé qui l’ont massacré ont toutes voulu l’avoir comme consultant.

PAR NICOLAS RIBAUDO – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Andy Schleck donne l’impression d’aller à un concert de rock. Rien à voir avec son frère qui fait vieille France.

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