Qui influence Duchâtelet ?

Il est brillant businessman et homme politique averti, mais qu’en est-il de sa vision sportive ? S/F Mag a interrogé son réseau  » foot  » pour décrypter et mieux comprendre le président du Standard..

Dire que Roland Duchâtelet n’a pas eu beaucoup de temps afin de préparer la saison après l’acquisition du Standard le 23 juin 2011 est un euphémisme. L’homme d’affaires n’ignorait pas qu’on le jugerait tout de suite par rapport aux derniers résultats du clan D’Onofrio. Mais l’ancien sénateur est inscrit dans le long terme et mise clairement sur le centre de formation.

Réputé pour la qualité de son travail avec les jeunes, Jean-François de Sart est la pierre angulaire de la politique sportive de Duchâtelet. Le directeur technique a été proposé par le véritable homme fort du Standard, Pierre François dont l’étoile brille encore plus depuis qu’il a gagné le procès intenté par Dominique D’Onofrio pour rupture de contrat. Duchâtelet et François sont des gestionnaires qui savent que leurs connaissances footballistiques ont leurs limites. D’où leur besoin vital de techniciens comme le duo de Sart- José Riga, leur socle sportif.

 » Le foot et sa dimension politique  » (Pierre François, directeur général du Standard)

 » Monsieur Duchâtelet est homme passionné. Mais davantage que le jeu, il perçoit ce sport comme un phénomène de société qui peut être vecteur de réussite, de promotion sociale, un moyen d’éloigner les jeunes de la délinquance ou un outil de lutte contre le racisme. Il y a évidemment une dimension politique là-derrière. S’il aime intervenir dans les débats lors des réunions hebdomadaires avec l’entraîneur, le directeur technique et moi-même, il garde de la hauteur. Il lui arrive d’avoir logiquement des coups de c£ur pour un joueur mais il n’exigera jamais sa venue sans l’aval de notre cellule de scouting ou de notre DT. Sa passion ne prend pas le pas sur la raison.

La mise sur pied d’une Beneligue est l’un de ses objectifs, il l’a expliqué clairement lors d’un déplacement européen. Il est évident qu’à Liège, on aurait d’abord tendance à se tourner vers la France mais il semble qu’un rapprochement avec les Pays-Bas soit la meilleure solution et la plus probable. La création d’une Beneligue est l’unique moyen de bénéficier de droits télés plus importants, d’avoir un sponsoring plus large. Le Standard peut se féliciter d’avoir accédé aux huitièmes de finale de l’Europa League et d’avoir été le dernier club belge encore en lice sur la scène européenne mais on voudrait qu’atteindre un tel stade soit la norme et non un exploit. Monsieur Duchâtelet est quelqu’un d’ambitieux qui réfléchit aux solutions pour hisser le niveau sportif de son club et du football belge.

Le Standard reste le club belge qui attire le plus de monde. Toutefois, le dernier Standard-Anderlecht n’était pas sold-out, c’est significatif d’une formule qui ne convainc pas. La thématique des play-offs est un sujet délicat qu’il faudra revoir. Le foot est un spectacle et on se doit de satisfaire notre fidèle public. C’est pourquoi je crois que la venue à Sclessin de clubs comme l’AZ, Ajax ou le PSV pourrait être intéressante à différents niveaux. « 

 » Faire confiance aux jeunes  » (Jean-François de Sart, directeur technique du Standard)

 » Notre président a un gros vécu dans les hautes sphères du business international. A ce niveau-là, on a l’habitude d’analyser les événements, de juger les hommes, de déléguer, de penser et de préparer l’avenir. Il a une logique et elle passe avant l’émotion. Il y a donc réflexion à propos de toutes les facettes d’un problème avant la prise de décision. Tout est rationnel. Nous nous consultons et je m’occupe du volet sportif. Le Standard s’est fixé un cap et, pour la saison prochaine, nous suivons des pistes. C’était le cas aussi en hiver, même si des dossiers qui nous tenaient à c£ur n’ont finalement pas pu être bouclés. Nous partageons la même vision : le Standard doit faire confiance à ses jeunes. La formation est une préoccupation importante. Il ne faut pas oublier que le talent belge est cher. « 

 » C’est un avant-gardiste  » (José Riga, entraîneur du Standard)

 » Lors de nos différents entretiens, j’ai découvert quelqu’un très à l’écoute. Il analyse les situations avec calme et lucidité. Sa vision se situe à long voire moyen termes. C’est une personnalité du monde des affaires et on sent qu’il a une grosse envie de réussir dans le foot grâce au Standard. Il n’hésite pas à donner son avis mais il aime que ses idées soient partagées. Il ne va pas se jeter tête baissée s’il n’est pas suivi. C’est un avant-gardiste qui ne veut pas louper le bon wagon et dont les idées fourmillent. Je ne l’ai jamais senti en panique suite à des résultats moins favorables. « 

 » Le foot ne s’apprend pas dans les livres  » (Marc Wilmots, T2 des Diables)

 » J’ai connu Roland Duchâtelet lors de mon expérience de coach de Saint-Trond en 2004. Il était arrivé dans le foot un peu par hasard puisqu’il fut d’abord sponsor avant de se retrouver à la tête du club. Il n’avait aucune connaissance en matière de foot. Mais cela ne nous a pas empêchés d’entretenir de bons rapports. Sa façon de manager le club était polie, cordiale.

Le foot, c’était nouveau pour lui mais on sentait qu’il était désireux d’apprendre. Il s’est rapidement pris au jeu et posait beaucoup de questions du type : -Qu’est-ce que la défense en zone ?, etc. Le hic, c’est que le foot ne s’apprend pas dans les livres. C’est un monde à part, qui ne se dirige pas comme une entreprise.

C’était à prévoir que Duchâtelet allait connaître une première saison délicate. Saint-Trond, c’est pas le Standard où 25.000 personnes ont une exigence légitime. Et on ne remplace pas quelqu’un comme Lucianoen D’Onofrio aussi facilement. Il était depuis 25 ans dans le foot du top, Duchâtelet, lui, le découvre.

Duchâtelet doit bien délimiter ses compétences même si c’est lui qui paye. Je crois qu’il ne doit pas non plus trop intellectualiser le foot. J’estime par exemple que faire évoluer les Trudonnaires sur un terrain synthétique était un très mauvais choix. Saint-Trond n’a jamais été réputé pour son jeu technique mais pour son engagement. Avec ce type de pelouse, il a fallu engager de nouveaux joueurs qui ne correspondaient pas à l’identité du club. Et toucher l’identité d’un club ce n’est jamais bon. On l’a vu avec la descente des Canaris cette saison. « 

 » Un homme d’actes et non de mots  » (Luc Withofs, directeur général de Saint-Trond)

 » Chez bon nombre de dirigeants, les paroles sont souvent du vent. Roland Duchâtelet, lui, ne se contente pas de mots. Il passe aussi aux actes. La preuve par la modernisation du Stayen alors que partout ailleurs, à l’exception de Gand peut-être, les projets de rénovation voire de construction d’un nouveau stade restent lettre morte. Personnellement, j’avoue avoir sursauté en prenant connaissance des plans du président chez nous. Car un hôtel dans une tribune ou une pelouse 100 % synthétique, c’était du jamais vu. Mais l’ancien patron du club est manifestement un visionnaire. Dans sa conception, une infrastructure moderne, avec ses bâtiments et sa pelouse, doit dépasser le cadre du football. Les loges ou les seats, c’était peut-être bien mais il fallait voir plus loin. Il avait raison car les commerces implantés dans notre enceinte sont tous des succès.

Le choix d’une surface artificielle, lui, nous a peut-être joué un tour pendable. Mais là aussi, le big boss s’est voulu à la page. Comme les semi-synthétiques sont parfois synonymes de blessures, aux genoux surtout, il a voulu opter immédiatement pour une aire 100 % artificielle. Dans un premier temps, ce choix s’est peut-être retourné contre nous. Mais à la longue, je suis convaincu que nous serons gagnants. Partout, dans le pays, des administrations communales donnent leur feu vert pour l’aménagement de telles surfaces. Et je constate que la plupart des clubs du G5 ont au moins un synthétique dans leur complexe d’entraînement, histoire de pouvoir s’entraîner de tout temps. On l’oublie, mais Saint-Trond a souvent fait office de précurseur. Nous avons été les premiers à faire confiance à deux Congolais dans l’équipe, Raoul Lolinga et Lucien Ndala. Nous avons montré la voie à suivre aussi en matière de boarding et de publicité sur les maillots, grâce à un sponsor local, Looza. Dès lors, je suis persuadé que nous ferons des émules aussi avec la formule new-look de notre stade ainsi qu’avec notre gazon artificiel. Sur ce plan-là, l’ancien président aura laissé une trace indélébile chez les Canaris.  »

 » Il ne s’est jamais immiscé dans le sportif  » (Guido Brepoels, ex-coach de Saint-Trond)

 » La première fois que j’ai rencontré Roland Duchâtelet, j’ai eu peur : je me suis rendu compte d’emblée qu’il ne connaissait pas grand-chose. Je redoutais sa possible ingérence dans le domaine purement sportif mais il n’y a jamais eu le moindre problème à ce niveau. L’ancien président laissait le football aux footeux, lisez le staff technique, le directeur sportif et le manager, ainsi qu’aux joueurs. Son rayon d’action, c’étaient essentiellement les contrats et les projets. Avec lui, j’ai toujours eu carte blanche. Il m’interrogeait parfois sur le bien-fondé de telle ou telle décision mais ne la remettait jamais en question. Je ne l’ai jamais vu, non plus, prendre des mesures à la légère. Tout était toujours mûrement réfléchi.

J’avoue avoir craint le pire à une époque où l’équipe était restée sur un 0 sur 18. L’année précédente, nous avions réussi un tour de force en nous maintenant aisément. Ce qui n’était pas évident en tant que promu. Mais la deuxième saison avait été autrement plus compliquée, avec cette mauvaise passe, notamment, où nous n’avions engrangé aucun point en 6 rencontres. Je pensais mon heure venue mais à mon grand étonnement, il tint à me témoigner son soutien, arguant qu’en dépit des chiffres, nous étions manifestement en progrès. Ensuite, il eut exactement le même discours avec les joueurs, alors que ceux-ci pensaient subir ses foudres. Je ne l’ai jamais vu se fâcher. Au contraire, il veillait toujours à ce que le bon sens triomphe.

Réputé pour être âpre dans les négociations, je me souviens par exemple qu’il a fait une fleur à Dennis Odoi en l’autorisant à aller à Anderlecht. Or, le Sporting offrait moins que le Standard. Mais étant donné que c’était le rêve du joueur de retourner dans son club formateur, il n’en a pas fait une question d’argent. Cette noblesse, c’est lui tout craché.  »

PIERRE BILIC, THOMAS BRICMONT ET BRUNO GOVERS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

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