Qui a le meilleur coach ?

On a rencontré Ron Jans et John van den Brom à Liège et à Neerpede.

F élicitations pour ta nomination au Standard. Et à très bientôt, mais sur les terrains belges cette fois ! En lisant ce sms (en hollandais natuurlijk) de John van den Brom, mardi dernier, Ron Jans, entraîneur à peine nommé au Standard, se doutait que l’arrivée de son collègue, à Anderlecht, était imminente…

Escomptiez-vous donner une nouvelle orientation à votre carrière cet été ?

John van den Brom : Pas vraiment. Mon engagement avait été automatiquement prolongé jusqu’au 30 juin 2014 suite à la qualification européenne du club, et je comptais l’honorer. L’intérêt d’Anderlecht a toutefois changé le topo. Le président de Vitesse, Merab Jordania, y voyait subitement l’occasion de se débarrasser de moi tout en palpant 400.000 euros. A vrai dire, cette clause dans mon contrat l’ennuyait : contrairement à d’autres dirigeants, il n’était pas partisan de mon maintien. Grand ami de Roman Abramovitch, il n’a jamais supporté que je snobe des footballeurs que Chelsea nous avait prêtés ces derniers mois, à l’image de Patrick van Aanholt ou encore Ulises Davila. Il aurait aimé également que je réserve un meilleur sort à ses compatriotes géorgiens Valeri Qazaishvili et Gio Chanturia. Mais à quoi bon, dans la mesure où aucun d’entre eux ne faisait partie de mes priorités.

Ron Jans : Après dix années passées dans le nord des Pays-Bas, je voulais vivre autre chose. J’avais déjà connu le même cas de figure lors de ma période active comme joueur. Au bout de huit saisons au plus haut niveau, j’étais allé au Japon. Cette fois-ci, je n’avais pas à c£ur de m’exiler à l’autre bout du monde, même s’il me plairait, un jour, de tenter la grande aventure aux Etats-Unis ou en Australie, par exemple. Mais avec trois fils âgés respectivement de 25, 23 et 20 ans, encore aux études en Hollande, je ne désirais pas trop m’éloigner non plus. L’Allemagne ou la Belgique étaient, dès lors, des points de chute idéaux. Liège, c’est peut-être l’étranger, mais je ne suis qu’à trois heures de route des miens.

Fidélité

Deux clubs en deux ans pour l’un, autant en dix saisons pour l’autre : vous n’avez pas la même conception du mot stabilité ?

Van den Brom : J’ai passé douze années à Vitesse, entrecoupées de deux ans à l’Ajax et une saison à Istanbulspor. C’est une preuve de constance, non ? Et j’y serais toujours si l’homme fort du club n’avait pas décidé de m’indiquer la porte de sortie. Car Vitesse, c’est mon club. C’est d’ailleurs pourquoi, après une saison à l’ADO La Haye, j’ai répondu à l’appel de mon club formateur. Pour moi, c’était comme un retour à la maison. Sans Jordania, je m’y serais inscrit dans la durée. Quoi que certains en disent, je ne suis pas un jobhopper. (NDLR, qui saute de job en job).

Jans : Si j’ai eu la chance de travailler huit ans au FC Groningen, c’est en raison de la spécificité de ce club. Les dirigeants y sont quasiment immuables. Et les coaches aussi, puisque bon nombre de collègues, tels Hans Westerhof et Jan van Dijk y sont restés chaque fois trois ans au minimum. Ce qui change, là-bas, à intervalles très réguliers, ce sont les joueurs. Ce brassage continuel explique pourquoi un coach peut résolument y viser le long terme. Comme à Manchester United ou Arsenal, où les joueurs passent, contrairement au manager qui, lui, reste.

Vous considérez-vous comme des purs produits de l’école néerlandaise ?

Van den Brom : Il y a deux approches possibles : défensive ou offensive. De mes débuts comme joueur à Vitesse jusqu’à mes derniers pas à De Graafschap, j’ai toujours baigné dans ce climat positif. Je n’ai jamais connu que le 4-3-3 ou le 4-4-2. Idem comme entraîneur. Aussi, je me considère comme un digne représentant de cette école.

Jans : Je m’y reconnais également mais en matière de jeu, essentiellement. Je suis un homme du Nord, au discours plus soft que les représentants des autres provinces. Bon nombre de Néerlandais sont perçus, à tort ou à raison, comme arrogants. Ce n’est pas mon style. Je ne suis pas du tout une grande gueule. Mais je sais me faire respecter. Et au besoin je n’hésite jamais à remettre à leur place ceux qui me cherchent.

Piques

Aad De Mos, ex-coach des Mauves et des Rouches, n’a pas été tendre avec vous ?

Van den Brom : Je ne me formalise pas de ce que dit Aad de Mos. En tant qu’ex-coach de Vitesse lui-même, il s’est toujours plu à dénigrer mon travail là-bas. Dans ces conditions, vu son passé à Anderlecht et au Standard, je ne suis pas surpris de son attitude. Il prend toujours un malin plaisir à saquer tout le monde dans ses commentaires. Je me demande s’il est encore crédible et si les gens le prennent toujours au sérieux. Quand il dit que mon équipe en est une de contre, je me pose la question de savoir s’il a bien vu nos matches.

Jans : Moi, je suis allé un jour au clash avec Louis van Gaal à la fin d’une rencontre face à l’AZ pour des raisons identiques. Nous avions été bien payés en réalisant un nul (1-1) et, lors de la conférence de presse, il m’avait invectivé en disant : – Tu es très fort dans l’énumération des occases. Ce à quoi je lui avais répliqué que lui l’était dans le mépris des collègues. Chacun est libre d’exprimer son opinion, mais une certaine collégialité doit rester de mise.

Aucun de vous n’avait bossé dans un grand club avant d’aboutir ici. Un handicap ?

Jans : Si un grand club est pour vous l’Ajax, le PSV ou Feyenoord, c’est vrai qu’ils ne figurent pas sur ma carte de visite. Mais ces dernières années, d’autres noms sont apparus aux premières loges en Hollande. Je songe au FC Twente, à l’AZ Alkmaar et même à Heerenveen, revenu dans le top 5 cette saison après deux années de moindre facture. Mine de rien, ce club draine 26.000 fans en moyenne à chacun de ses matches à l’Abe Lenstra Stadion et son budget de fonctionnement est supérieur à celui du Standard. Ce n’est quand même pas mal. D’autre part, si je l’avais voulu, le nom du FC Cologne aurait pu figurer sur mon curriculum vitae. Alors qu’il me restait un an de contrat à Groningen, les Allemands s’étaient informés sur mon compte, via le manager Sören Lerby. Je lui avais dit que c’était non négociable pour moi, car je ne voulais pas être considéré comme un déserteur. Le club de Bundesliga avait toutefois insisté, en demandant que je me tourne vers ma direction pour connaître les conditions d’un départ anticipé. Quand j’ai posé la question à Hans Nijland, le directeur général du club, celui-ci m’a répondu : -No way. Je suis donc resté à Groningen et, à la limite, j’étais soulagé. Car la loyauté, cela compte pour moi.

Van den Brom : Chaque entraîneur doit faire, à un moment donné, le pas vers un grand club. Aad de Mos est passé par là lui aussi. Ma progression a été très méthodique, puisque j’ai commencé par la jeune classe amstellodamoise avant de tenter ma chance en D2 à l’AGOVV Apeldoorn, pour aboutir ensuite parmi la D1 hollandaise. Vitesse n’a peut-être pas la même cote que les trois grands que sont l’Ajax, le PSV et Feyenoord. Mais il ne faut quand même pas perdre de vue que, jusqu’au début du nouveau millénaire, ce club s’est invariablement classé dans la foulée immédiate de ce trio. Et si je l’ai amené en Europe cette saison, c’est que la qualité y était.

Systèmes

Joueurs, vous avez tenté l’aventure à l’étranger. En quoi vous a-t-elle marqué ?

Van den Brom : En Turquie, j’ai réalisé que le football pouvait se décliner d’une tout autre manière qu’aux Pays-Bas. En tant qu’expatrié, j’ai pu me constituer un petit bas de laine. Même si j’ai dû batailler ferme pour obtenir mes sous, via une procédure engagée auprès de l’UEFA. C’est pourquoi mon séjour s’est limité à un an.

Jans : Le Japon, c’était une découverte à tous niveaux. Même si je savais que je ne m’y éterniserais pas, j’ai voulu apprendre la langue. Les quelques rudiments que j’y ai appris m’ont d’ailleurs encore servi lors du match retour contre Vitesse, voici quelques semaines à peine. Car dans l’équipe de John figurait un certain Mike Havenaar, plus connu au Japon sous le nom de Maiku Hafuna. Il s’agit là, tout simplement, du fils, naturalisé japonais entre-temps, de Dido Havenaar, qui fut mon coéquipier à Mazda. Venu tenter sa chance en Europe, il était estomaqué qu’un Hollandais se tire d’affaire en japonais. Communiquer, c’est très important à mes yeux. Et, quoique je le dise moi-même, j’ai le don des langues. C’est pourquoi je vais me mettre au français après avoir appris déjà l’anglais, l’allemand, le japonais et le… frison à Heerenveen.

Vous allez être confronté en Belgique à un jeu plus calculateur. Chez nous, le 4-3-3 épouse plutôt les contours d’un 4-2-3-1.

Jans : Il suffit de chipoter un peu pour obtenir un 4-3-2-1 qui est plus proche de la réalité hollandaise. Car on y opère souvent aussi avec une pointe et deux ailiers en léger décrochage. Sur papier, un système ne veut pas dire grand-chose. Tout dépend de son animation. D’après ce que j’ai pu voir sur des DVD du Standard, cette équipe m’a tout de même paru plus performante avec deux joueurs devant, style Mémé Tchité et Gohi Bi Cyriac, qu’avec un seul élément aux avant-postes.

Van den Brom : J’ai d’autant moins peur d’une transition abrupte qu’Anderlecht a toujours eu une tradition de football offensif. Par rapport à Vitesse, tout porte à croire que je serai même beaucoup plus gâté car peu de clubs peuvent se prévaloir d’attaquants comme Dieumerci Mbokani, Matias Suarez et Milan Jovanovic.

Encore faut-il que tous restent et qu’ils soient opérationnels ?

Van den Brom : La nouvelle réglementation de l’UEFA permet désormais à un joueur de disputer les qualifications avec un club et la phase des groupes de la Ligue des Champions ou de l’Europa League avec un autre. C’est une disposition qui doit logiquement permettre à Anderlecht de conserver ses joueurs jusqu’à la fin du tour préliminaire, fin août. A ce moment-là, il sera toujours temps de se retourner pour certains d’entre eux. Même si j’ai envie de bosser avec le même noyau que celui d’Ariel Jacobs.

Jans : A cette époque de l’année, c’est toujours la bouteille à l’encre concernant l’effectif qu’un coach aura sous ses ordres. Ce n’est pas propre à la Belgique. En Hollande, il n’en allait pas autrement. Moi aussi, dans l’absolu, j’aimerais garder tout le monde et adjoindre quelques renforts : je ne connais aucune équipe capable de progresser tout en se déforçant.

Jeunes

Un dénominateur commun chez vous, c’est la faculté de faire mûrir des jeunes ?

Van den Brom : L’équipe idéale a trois composantes : des jeunes, des joueurs en pleine maturité et des chevronnés. Ces derniers, en raison de leur expérience précisément, sont arrivés au maximum de leurs capacités. On ne peut plus les faire progresser. Les gars âgés de 25 à 28 ans, eux, peuvent encore s’améliorer. Mais ceux qui sont les plus à même de bonifier, ce sont évidemment les jeunes. Si je fais décoller l’un ou l’autre d’entre eux, je sais que la qualité globale ira crescendo aussi.

Jans : Mes plus grandes satisfactions, je les ai vécues avec les jeunes. Les derniers en date auront été Jeffrey Gouweleeuw, Luciano Narsingh et Oussama Assaidi à Heerenveen. Il y a deux ans, ils étaient encore d’illustres inconnus. A présent, les deux derniers sont internationaux.

Quand avez-vous marqué pour la première fois des points aux yeux de vos nouveaux employeurs ?

Van den Brom : Je pense que la production de Dmitry Bulykin à l’ADO a été, de manière indirecte, une bonne publicité. Le Russe était superflu dans le noyau anderlechtois en 2010 mais je pensais pouvoir l’utiliser. Je me disais qu’avec deux ailiers de débordement à ses côtés, il devait avoir des qualités en tant que finisseur. Et je ne m’étais pas trompé car il a planté 21 buts grâce à ses deux pourvoyeurs attitrés sur les flancs, Frantisek Kubik et Wesley Verhoek.

Jans : Il semble que j’ai épaté Jean-François de Sart à l’occasion de notre match à NEC. Ce jour-là, nous avions livré une première mi-temps calamiteuse et étions menés 2-0 au repos. Après la pause, je suis passé d’une occupation en 4-3-3 à un 3-4-3 en faisant monter mon défenseur central, Gouweleeuw, d’un cran. Servi à la fois dans le dos et depuis les couloirs, Bas Dost s’en était donné à c£ur joie en réalisant un hat-trick. J’avais eu la main heureuse car des interventions de ce type ne fonctionnent évidemment pas à chaque match. Le métier d’entraîneur serait trop facile…

Grandeur et enfer

A partir de quand considéreriez-vous votre mission réussie dans les mois à venir ?

Van den Brom : Si Anderlecht se qualifie pour les poules de la Ligue des Champions et que je refais le même coup en fin de saison, je n’aurai pas à me plaindre de cette première saison.

Jans : Le Standard aura déjà accompli un premier pas en avant en décrochant une qualification européenne en 2012-2013. Je serais déçu de ne pas y arriver.

Les coaches hollandais ne réussissent guère au Standard. En revanche, ils ont souvent été performants à Anderlecht.

Jans : Ce ne sera jamais qu’un défi de plus pour moi.

Van den Brom : Je trouverais dommage de ne pas perpétuer cette tradition.

Quels sont les premiers mots français qui vous viennent à l’esprit en songeant aux équipes que vous allez diriger sous peu ?

Van den Brom : La langue néerlandaise compte un certain nombre de mots français comme grandeur et flamboyant. J’ai à c£ur qu’Anderlecht retrouve son statut d’antan, quand il accumulait les titres grâce à un excellent football.

Jans : Ce qui m’interpelle, c’est l’ enfer. L’enfer de Sclessin, c’est une notion qui m’était déjà parvenue aux oreilles alors que je travaillais au fin fond de la Hollande. Un deuxième concept, c’est l’ inconnu. Car je m’engage tout de même dans l’inconnu et, surtout, je passe pour un inconnu auprès du public belge, et de Sclessin en particulier. Ce statut-là, j’espère ne pas le garder trop longtemps. Je veux gagner en notoriété grâce à mon travail au Standard.

PAR BRUNO GOVERS ET STÉPHANE VANDEVELDE

 » Je ne suis pas une grande gueule.  » (Ron Jans)

 » Aad de Mos s’est toujours plu à dénigrer mon travail  » (John van den Brom)

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