Questions urgentes

Voici les raisons qui pourraient pousser le coach des Zèbres à rester et celles qui pourraient l’inciter à partir.

Dans un mois, Jacky Mathijssen (43 ans) fêtera le troisième anniversaire de son arrivée à Charleroi. Il sera en fin de contrat au bout de cette saison. Rempilera-t-il ? Lui-même n’en sait rien, ou en tout cas, il fait mine de se poser la question. Il affirme qu’il pourrait rester en cas de qualification pour l’UEFA, voire pour l’Intertoto. Et s’il souhaite prolonger, la direction le gardera.

Pourquoi rester ?

Trilogie gagnante

Après avoir réussi son premier pari carolo (sauver l’équipe lors des 3 dernières journées de la saison 2003-2004), Mathijssen a permis au Sporting de vivre trois saisons d’affilée sans jamais être mêlé à la lutte pour le maintien. Il faut remonter au début des années 90 pour trouver trace d’une telle trilogie gagnante. Il a prouvé qu’il avait la carapace nécessaire pour travailler dans un club difficile où de grands personnages comme Enzo Scifo et Robert Waseige se sont cassé les dents. De tous temps ou presque, Charleroi a été un matricule compliqué pour un entraîneur mais Mathijssen a trouvé les remèdes, il a ses repères au Mambourg, on a l’impression que rien ni personne ne pourra l’y déstabiliser s’il rempile.

Patron sportif

On se souvient de l’époque où Abbas Bayat imposait à Scifo, alors entraîneur, d’aligner l’un ou l’autre joueur iranien. Le trop brave Scifo avait alors obtempéré et titularisé certains de ces unijambistes. Depuis l’arrivée de Mathijssen, on n’a jamais eu l’impression qu’il se laissait dicter des choix sportifs. Ce n’est pas dans la nature du personnage. On le sent prêt à donner un coup de griffe à ses patrons si ceux-ci essaient d’interférer. Il l’a montré dans les dernières secondes du match contre Anderlecht, quand le président descendu dans la zone neutre l’a traité d’incompétent. Mathijssen l’a remballé avec un regard et des mots qui en disent long sur sa détermination à rester seul maître à bord. On n’a jamais su exactement ce qu’il avait dit à Bayat mais il ne lui a pas demandé des nouvelles de la famille.

Héros des tribunes

Mathijssen entretient une relation très saine avec les supporters de Charleroi. Jamais de banderoles démesurées en son honneur mais jamais non plus de cris anti-Jacky quand l’équipe patine. Lorsque le Sporting a joué de très mauvais matches à domicile, les joueurs en ont parfois pris pour leur grade mais le coach n’a jamais été visé. Georges Leekens en a entendu des vertes et des pas mûres quand il entraînait les Zèbres (on se souvient d’une gigantesque banderole sur laquelle était écrit – Casse-toi), Waseige et Scifo aussi. Mathijssen a toujours été épargné et applaudi, sans trop de débordements. Son nom est scandé à l’occasion, l’appréciation du public est sobre mais sincère. L’homme, qui n’aime pas spécialement les spots, doit apprécier. On devine aussi qu’il a accumulé un crédit énorme et que même une saison plus moyenne ne suffirait pas à briser son image auprès du peuple de Charleroi.

Mentalité régionale

Le fait d’avoir autrefois porté le maillot de Charleroi a-t-il aidé Mathijssen à se fondre directement dans le creuset carolo ? On connaît cette mentalité particulière. Les gens de cette terre sont chauds, limite latins, entiers, toujours prêts à s’emballer, à porter aux nues comme à descendre en flammes. L’entraîneur est constamment resté zen, on n’a jamais senti qu’il venait d’un coin de Belgique situé 130 km plus loin où les raisonnements des gens peuvent être très différents, où le sérieux et l’efficacité (à la sauce de la Hollande toute proche) prennent souvent le pas sur la pure passion. Mathijssen se sent bien dans la ville de Charleroi, il n’est pas du tout dépaysé quand il fait une incursion sur le boulevard Tirou ou sur la place Charles II, et il apprécie qu’on ne l’importune pas à chaque coin de rue. Son intégration a été aussi parfaite et immédiate que celle des Liégeois Jean-Michel Saive, Giovanni Bozzi ou Waseige.

Staff fidèle

Au contraire de plusieurs entraîneurs de D1, Mathijssen ne ressent aucune menace directe dans son staff sportif. Son premier T2, Dante Brogno, s’est déjà essayé au job de T1 au Sporting. Aucune des deux parties n’en garde un souvenir inoubliable et on imagine mal les Bayat offrir une seconde chance à Brogno dans le costume de l’entraîneur principal. L’autre adjoint, Thierry Siquet, a encore tout à apprendre du métier d’entraîneur, et s’il a des ambitions à ce niveau, ce n’est pas à court terme. Si Brogno et Siquet sont confirmés pour la saison prochaine et que Mathijssen signe un nouveau contrat, il aura la garantie de ne pas être menacé par un de ses seconds au moindre passage à vide.

Groupe uni

Quels que soient les mouvements à Charleroi lors de la prochaine période des transferts, les joueurs qui resteront n’auront rien contre une prolongation de leur collaboration avec Mathijssen. Le coach partage un point commun avec des confrères comme Albert Cartier ou Ariel Jacobs : partout où ils sont passés comme entraîneurs, ils ont eu la quasi-totalité du groupe derrière eux, réservistes comme titulaires. De plus, les barons de l’équipe actuelle sont des pro-Mathijssen à 200 %. Quand on connaît l’influence morale de certains capitaines de D1, c’est rassurant pour lui.

Médias francophones

Dans la presse wallonne aussi, Mathijssen a une cote d’enfer. On le laisse bosser, on ne lui cherche pas de crosses, on s’abstient même de l’attaquer quand les résultats ou la manière ne répondent pas à l’attente. Bref, on lui fout une paix royale. Cette presse se fixe sur les incohérences et les débordements de la direction, c’est tout profit pour l’entraîneur. Même ses multiples exclusions de zone neutre sont peu commentées ou critiquées. Pour le même comportement, beaucoup d’autres coaches en prendraient pour leur grade dans les médias.

Tout son temps

A 43 ans et après seulement 6 saisons dans le métier d’entraîneur, Mathijssen a encore tout le temps pour se faire une place au soleil, pour chercher à briller dans un club du top. Faire son écolage dans un club moyen est bénéfique pour lui. S’il finit par se planter à Charleroi, on lui offrira sans aucun doute la chance de rebondir ailleurs. Alors qu’un échec dans un tout grand club peut briser un destin d’entraîneur. Par exemple, Emilio Ferrera risque de ne plus avoir d’équipe de D1 la saison prochaine car son flop au Club Bruges pèsera plus lourd dans la balance que ce qu’il a presté dans des petits clubs comme le Lierse ou le Brussels. Et rien ne dit que Cedomir Janevski sera encore entraîneur de D1 dans quelques mois s’il ne parvient pas à renverser très vite la tendance au Club.

Allemagne ? Pays-Bas ?

Mathijssen sait qu’il n’entraînera pas Chelsea ou le Real Madrid en 2007-2008. Il n’a même aucune garantie de recevoir une offre d’un club au niveau plus élevé que Charleroi. On le cite à l’occasion à gauche et à droite mais rien ne semble concret. Il vise l’Allemagne mais a-t-il déjà la carrure et la réputation pour être nommé à la tête d’une grande équipe de ce pays ? Il peut oublier. Il parle aussi des Pays-Bas. Mais si c’est pour se retrouver dans le ventre mou du championnat hollandais, dans un club dont il aurait tout à découvrir, il a peut-être intérêt à poursuivre son £uvre à Charleroi où il est déjà chez lui.

Pourquoi partir ?

Bilan nickel

Si Mathijssen quitte Charleroi en fin de saison, sa carte de visite renseignera éternellement un bilan très positif avec ce club : le sauvetage arraché en 270 minutes dès son arrivée, ensuite cinquième en 2004-2005, onzième en 2005-2006 et sans doute le premier tiers du classement cette année. Avec un matériel joueurs qui n’avait rien d’exceptionnel sur le papier. Il a accueilli plusieurs canassons (ou en tout cas des anonymes pour le public belge) pour en faire des champions qui se sont ensuite retrouvés plus haut que le Sporting. Vu la réalité financière actuelle du club, il n’est pas assuré de pouvoir refaire le même coup une quatrième saison de suite.

Dangereux d’attendre

Mathijssen prend un risque s’il attend le verdict final du championnat pour décider de rester ou non à Charleroi. Les bons sièges se négocient déjà depuis plusieurs semaines. Frankie Vercauteren a prolongé à Anderlecht, Hugo Broos vient de le faire à Genk. Actuellement, Bruges a un problème d’entraîneur. Janevski retournera probablement dans l’ombre d’ici quelques semaines. Or, on sait que les dirigeants du Club sont sous le charme de Mathijssen. Mais ils ne peuvent pas se permettre d’attendre le 15 mai pour choisir un nouveau coach. S’il attend de savoir si le Sporting sera qualifié pour l’UEFA ou l’Intertoto, le Limbourgeois risque de voir Bruges lui filer sous le nez. Voire d’autres clubs (belges ou étrangers) d’un niveau plus élevé que Charleroi qui seraient à la recherche d’un nouvel entraîneur.

Noyau pillé

Depuis l’arrivée de Mathijssen, on a vécu deux fois par an au rythme de la grande braderie à Charleroi. Il a vu partir notamment Grégory Dufer, Miklos Lendvai, Victor Ikpeba, Ibrahim Kargbo, Laurent Macquet, Toni Brogno, François Sterchele, Nasredine Kraouche, Loris Reina, Bertrand Laquait, Cyril Théréau, SébastienChabaud, Dante Santos Bonfim,… Dans quelques semaines, on risque fort d’acter les départs de Majid Oulmers, Badou Kéré et Fabien Camus. Vu les emprunts à rembourser, la saignée devrait se poursuivre. Il arrive forcément un moment où les miracles s’arrêtent. Les transferts de l’été dernier et de janvier 2007 indiquent peut-être un premier renversement de tendance. Si Tim Smolders fait fort, si Patrice Luzi et Cristian Leiva se débrouillent sans toutefois briller, il y a essentiellement des échecs : Dennis Souza de Guedes, Hemza Mihoubi, Brice Jovial, Jérémy Perbet. En cas de départs importants mal compensés, c’est la réputation de Mathijssen qui pourrait s’abîmer. On oublierait vite qu’il aurait eu un noyau de qualité trop moyenne lors de sa quatrième saison au Mambourg.

Exclusions du banc

Mouscron-Charleroi en 2004, Charleroi-Lierse et Genk-Charleroi en 2005, G. Beerschot-Charleroi en 2006, Lierse-Charleroi en 2007 : Mathijssen en est à 5 exclusions depuis qu’il entraîne le Sporting. Il pourrait se louer un kot sur le plateau du Heysel pour limiter ses déplacements entre ses comparutions à l’Union Belge. Tous ces renvois dans la tribune n’étaient pas justifiés mais il subit le même traitement de défaveur qu’un joueur qui a pris quelques cartons rouges en peu de temps puis ne peut plus rien se permettre, sous peine de nouvelle expulsion. Sa réputation est faite auprès du corps arbitral. On l’a vu voler dehors pour des comportements que n’importe quel autre entraîneur de notre D1 peut s’autoriser sans même faire sourciller l’arbitre. Rien ne changera, du moins dans l’immédiat, s’il reste à Charleroi. Idem s’il signe dans un autre club belge. Il devra passer la frontière pour repartir avec une ardoise vierge.

Presse flamande

Il y a eu des matches où le Sporting pratiquait un football horrible, avec la seule ambition d’arracher l’un ou l’autre petit point. Cette saison, il est rare que les Zèbres soient vraiment anti-football. Mais il a suffi de ces rencontres esthétiquement désastreuses pour que la presse flamande taille un costard à Mathijssen. Depuis, il porte une mauvaise étiquette sur ses terres. Il n’y est pas insensible et ses relations avec les médias du nord du pays sont parfois électriques, surtout s’il est interrogé juste après les matches. S’il reste à Charleroi, rien ne changera. Le Sporting était autrefois considéré comme un club familial et sympathique dans toute la Belgique. Depuis deux ou trois ans, ce n’est plus le cas en Flandre non plus : les responsabilités sont partagées entre les débordements de la direction et l’image négative que véhicule cette ville à cause de problèmes et de scandales qui n’ont rien à voir avec le football. Il faudra que Mathijssen parte entraîner ailleurs pour se refaire une virginité.

Effet d’usure

Trois années d’affilée dans un club, c’est beaucoup. L’histoire le prouve. Quelle équipe de notre D1, à part Westerlo, réussit des collaborations dans le long terme ? Un club a besoin de nouvelles têtes et un coach doit relever de nouveaux défis. La méthode Mathijssen fonctionne bien à Charleroi depuis mai 2004 : qui peut garantir qu’elle continuera à être efficace pendant un ou deux ans de plus ? En outre, on peut considérer qu’il a plus ou moins fait le tour de la question dans ce club, qu’il l’a porté à son plafond et a acquis suffisamment de planches pour tenter sa chance plus haut.

Trophée

103 ans d’existence, une éternité en D1 et toujours pas le moindre trophée : le Sporting de Charleroi est un cas. Est-il écrit qu’il ne gagnera jamais rien ? Westerlo et La Louvière, par exemple, se sont vite approprié une Coupe de Belgique après avoir rejoint la première division. Si les Zèbres veulent gagner quelque chose dans les années à venir, ils ne pourront se focaliser que sur cette Coupe. Tout ce qu’il y a de plus aléatoire. Le titre n’est pas (encore ?) dans leurs cordes. S’il veut avoir une chance raisonnable de remporter un trophée à court ou moyen terme, Mathijssen doit partir.

Siège éjectable

Quand il nous a accordé une interview juste après son arrivée à Charleroi, Mathijssen a dit :  » Je sais que moi aussi, je risque d’être viré un jour « . C’était peu de temps après le C4 déposé dans la boîte de Waseige. Depuis l’été 2000 et la prise de pouvoir des Bayat, plusieurs entraîneurs ont été poussés vers la sortie : Manu Ferrera (qui avait sauvé le club avant de prendre un excellent départ dans le championnat suivant), Scifo (il est parti officiellement de son plein gré mais la cohabitation était devenue impossible), Etienne Delangre (qui a rencontré une poisse dont la direction n’a pas tenu compte), Dante Brogno (il a été conservé comme T2 mais cette rétrogradation n’était qu’un limogeage déguisé), Waseige. Dans chacun de ces cas, quelques mauvais résultats en peu de temps ont suffi pour que le président actionne le siège éjectable. Si Mathijssen rempile et rate son départ en 2007-2008, il est peu probable qu’on tienne compte de ses états de service. Si les Bayat étaient de grands sentimentaux, ça se saurait.

par pierre danvoye – photos: belga

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