Questions pour un ballon

Apparu dans les Public Schools anglaises, le sport-roi a débarqué dans notre pays il y a 150 ans. Mais a-t-il été importé par un collégien irlandais, en banlieue gantoise, à Melle, ou par un aristocrate écossais à Spa, la perle des Ardennes ? That’s the question.

Où a-t-on joué pour la première fois au foot en Belgique ? Avant de se pencher sur cette question, il est peut-être bon de signaler que les sports de ballon, au pied, se pratiquaient déjà dans notre pays, ainsi que dans d’autres nations sur le Vieux Continent, avant que les règles du jeu ne soient codifiées à Londres, lors d’une réunion de 12 clubs anglais à la Freemason’s Tavern en 1863. Sur notre sol, une de ces variantes, véritable ancêtre du football actuel, s’appelait la soule (v.cadre).

Melle, une simple légende ?

Dans toutes les publications historiques concernant notre sport-roi, tels Le Livre d’Or Jubilaire de l’URBSFA (1), Toute l’Histoire du Football Belge (2), Ons Land op Voetbalschoenen (3), 100 Ans de Football en Belgique (4) ou encore Kroniek van het Belgisch voetbal (5), les différents auteurs font état, chez nous, de la naissance du football, en tant que successeur de la soule, au Collège des Joséphites de Melle-lez-Gand en 1863. Selon leurs écrits, le jeu y aurait été introduit en 1863, par un jeune Irlandais originaire de Killarney : Cyrille Bernard Morrogh.

Le docteur Bruno Dubois, président de FOOT 100 (6), une association regroupant à la fois les statisticiens et les historiens du football belge, émet toutefois de très nettes réserves quant à leurs affirmations.  » Pour moi, c’est une légende  » observe- t-il.  » Mais, en tant que telle, elle a son fond de vérité, comme toutes les autres. Ce qui est sûr, c’est que le principal intéressé a bel et bien fréquenté cette institution car, recherches à l’appui, son nom est repris dans un recueil du début du siècle dernier intitulé  » Liste Générale des Elèves de Melle 1837-1902 « . On y découvre qu’il a fréquenté l’établissement de 1863 à 65. Mais de là à affirmer que c’est lui qui a introduit le football dans cette école et en Belgique, il y a une marge « .

 » A mes yeux, le rapprochement avec ledit Collège et avec son jeune pensionnaire est à mettre en rapport avec le passé de deux anciens noms pour le moins glorieux du football belge  » poursuit Dubois.  » Le premier est Emile Seeldrayers, père de Rodolphe-William Seeldrayers, membre-fondateur en 1895 de l’UBSSA, l’Union Belge des Sociétés de Sports Athlétiques, devenue par la suite l’URBSFA. Un homme qui reste aussi, à ce jour, le seul Belge à avoir dirigé la FIFA, puisqu’il en a été le président de 1954 à 55. Dans un livre intitulé Souvenirs d’un Ancien, celui qui se faisait appeler Bill raconte :  » Ce que je sais aussi, de science personnelle, c’est qu’en 1865, on jouait au football à Melle dans le collège des Joséphites. Mon père, qui en était élève, prit part à quelques parties, mais il fut dégoûté à la suite d’une charge d’une espèce de jeune géant irlandais qui l’avait littéralement assommé « .

 » Le deuxième personnage important est le Comte Joseph d’Oultremont, deuxième président de l’Union Belge de 1924 à 29  » renchérit notre interlocuteur. L’homme a la particularité d’avoir fait une partie de ses études au St-Augustin’s College de Ramsgate, dans le Comté de Kent, avant de compléter sa formation au Collège de Melle, qui était le pendant, au 19e siècle, de la Solvay Business School actuelle, formant des commerciaux et industriels de renom. De là son impact non seulement en Belgique mais dans l’Europe entière.

On sait qu’entre 1895 et 96, d’Oultremont fut capitaine de l’équipe de football de son école, en Angleterre, et qu’à Melle, il fonda le club de football local. Plus tard, il contribua à la création du FC Bressoux tout en défendant à Bruxelles les couleurs du Léopold Club. Comme le Comte était un intime de la famille Seeldrayers, et que tous deux pesaient de tout leur poids en matière de sports, la tentation a dû être grande qu’ils embellissent leur histoire en affirmant qu’ils avaient fréquenté, en leur temps, l’école qui pouvait être considérée comme le berceau du foot en Belgique. Et puisqu’il fallait trouver un Irlandais suivant les cours en 1863, année où le sport-roi fut réglementé, on est tout simplement tombé, dans les registres, sur le fameux Cyrille Bernard Morrogh qui était bel et bien là à cette époque.  »

Spa, une nouvelle source

L’histoire et la légende en seraient restées là si, il y a trois ans, Bruno Dubois n’était pas entré en possession d’une copie d’un document relatif à la constitution d’un Foot Ball Club Spa datant de 1863.

 » Un descendant de Sir Edward Hunter Blair ‘Bart’, gestionnaire du musée familial dans le château-manoir de Blairqhan, situé en Ayrshire, au sud-ouest de l’Ecosse, m’a envoyé ce fac-similé extraordinaire  » souligne-t-il.  » Il s’agit ni plus ni moins du plus ancien document attestant l’existence d’un club de football sur notre sol. Indépendamment du patron et des patronesses, on y retrouve les identités de quelques membres, honoraires ou non « .

 » Renseignements pris, le noble, fourth baronnet, était un gentilhomme, lieutenant de la Royal Navy, né en 1818 et pensionné de la Marine en 1849. Au début des années 60, à l’image de tant d’autres aristocrates, il a sans doute rallié Spa, ville thermale, à intervalles réguliers. Car la Perle des Ardennes, desservie par voie ferrée dès 1854, était une destination prisée des riches. Dès le 18e siècle, elle était le centre de villégiature des gens fortunés et des classes dirigeantes. Joseph II d’Autriche, les Tsars Alexandre III et Nicolas II, séjournaient régulièrement là-bas et, dès la seconde moitié du 19e siècle, les familles aisées y élisaient domicile, comme c’est le cas de nos jours à Monaco ou Megève. Et c’est précisément chez ces gens-là que le sport, et le football en particulier, s’est développé. Celui-ci était pratiqué au coeur d’un vélodrome qui compte parmi les plus anciens du pays. Si pas le plus ancien, tout simplement, même s’il a été démoli en 1903. Car le Zurenborg d’Anvers n’a été construit qu’en 1894 pour disparaître en 1910.  »

Pour Dubois, il ne fait aucun doute que le véritable centre de gravité du football belge se situe en province de Liège.  » Au 19e siècle, l’Angleterre est un Empire qui a des ressortissants dans tous les ports et dans toutes les villes industrielles  » observe-t-il.  » Il n’est donc pas surprenant que des citoyens de ce pays aient été à l’origine de la fondation du FC Antwerp, qui a gardé son appellation anglaise. Mais Spa, ville de détente, Liège et son bassin sidérurgique ainsi que Verviers et son industrie lainière étaient, à l’époque, des bastions anglais. D’ailleurs, dès le 18e siècle, la Cité Ardente avait son Collège des Jésuites anglais, devenu ensuite l’Académie anglaise après l’abolition de la Compagnie de Jésus en 1773.  »

Dans ces écoles, le ballon au pied était déjà présent aussi. On le sait grâce aux réminiscences de l’un de ses anciens élèves, le vicomte Joseph-Alexis Walsh. Dans ses Souvenirs de 50 ans (7), celui-ci écrit que lorsqu’un condisciple est venu annoncer à ses camarades l’exécution à Paris du roi Louis XVI le 21 janvier 1793  » nous étions fort animés à une partie de foot-ball, ballon lancé avec le pied « . Le Plan des Etudes de l’Académie, publié en 1776, précisait bien que :  » Pour donner aux élèves quelque relâche, comme aussi pour fortifier leur santé, on a soin de leur procurer les amusements et les exercices de corps les plus convenables : la promenade, le jeu de paume et aussi de ballon au pied.  »

Le départ des religieux anglais et de leurs élèves pour Stonyhurst, en Angleterre, en juillet 1794, provoqua l’interruption de ces parties de ballon au pied. Mais l’activité footballistique n’en repartit que de plus belle au 19e siècle à Liège et dans ses alentours.

 » Sur les 23 premiers matricules de l’Union Belge, il est frappant de remarquer que 8, soit le tiers, concernent des clubs de la province de Liège  » souligne Dubois.  » Il y a là le FC Liège (4), Verviers (8), Dolhain (9), Theux (14), le Standard (16), Seraing (17), Tilleur (21) et Bressoux (23). Et encore, entre les deux principaux fleurons de la Cité Ardente, Liège (4) et le Standard (16), on peut encore ajouter une dizaine de clubs liégeois qui n’ont pas su assurer leur pérennité comme le Momy de Kinkempois, le Stella du Val-Saint-Lambert, Liège Football Association, le Sporting Club Liégeois, etc… Nulle part ailleurs, en Belgique, la densité des clubs de football n’était aussi forte. Les exigences en matière d’équipements étaient d’ailleurs telles que bien avant les marques Adidas, Select ou Mitre, une firme de Theux se spécialisa dans la fabrication des ballons. Elle s’appelait Top et fournissait non seulement les clubs de la province mais aussi notre équipe nationale. Une preuve encore de l’importance de Liège sur le petit monde du football belge « …?

(1) -Le Livre d’Or Jubilaire de l’URBSFA, de Victor Boin, éditions Leclercq et De Haas, Bruxelles, 1945, p. 318.

(2) Toute l’Histoire du Football Belge, de Henry Guldemont, éditions Arts et Voyages, Gamma, 1978, p. 13.

(3) Ons Land op Voetbalschoenen, de Joris Jacobs, Leo Verhoeven et Ben Vandoorne, éditions Lannoo, 1978, p. 16.

(4) 100 Ans de Football en Belgique, de Bob Deps et Henry Guldemont, Vif Editions, 1995 p. 82.

(5) Kroniek van het Belgisch voetbal, de Jean Fraiponts et Dirk Willocx, éditions ASSOC, 2003, p. 7.

(6) FOOT 100 asbl, 13, allée des croisades, 6280 Gerpinnes. Président : Dr. Bruno Dubois. Tél : 071/21.59.10.

(7) Souvenirs de cinquante ans, de Joseph-Alexis Walsh, tome 1, Bruxelles, 1845.

(8) Dr D. Raeymaekers in :Annales de la Société d’Archéologie de Bruxelles, 1902, tome 16, pp. 38-42.

(9) Robert Hanon de Louvet, in :Histoire de la Ville de Jodoigne, éditions Nauwelaerts, 1996, tome 1, pp. 353 sqq.

(10) Jean-Jacques Gaziaux in : Echos de 75 ans de Football à Jodoigne, comité RAS Jodoigne, 1997 p. 7

(11) Jan Lindemans in : De Speelterreinen van onze voorouders, Eigen Schoon en de Brabander, n°28, pp. 49-57

(12) Ann Van Roey in : Volkssporten en toponymie : bijdrage tot de Vlaamse Volkssport Dossiers, mémoire de licence, KUL, 1986, p. 118.

PAR BRUNO GOVERS

La soule ou solle, ancêtre du football, se retrouve encore dans des noms de lieux. Comme Solbosch, par exemple.

Sur les 23 premiers matricules de l’Union Belge, pas moins de 8 concernent des clubs de la province de Liège.

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