Quelque chose après la mort

Le capitaine des Mauves à coeur ouvert.

« Je suis issu d’une famille de trois enfants, j’ai un frère et une soeur », dit Glen De Boeck. « Une famille tout ce qu’il y a de plus normal. Ma mère était femme au foyer, mon père était enseignant et entraînait les jeunes de Boom. Pendant les vacances, il allait encore travailler pour nouer les deux bouts. Nous sommes des briquetiers, des travailleurs, des gens issus de familles nombreuses qui ne connaissent pas la richesse. Souvent, les femmes restent à la maison.

Mon père était sévère mais certainement pas autoritaire. Il avait du charisme, je ne l’ai jamais vu fâché. Il était très petit mais se faisait respecter, tant auprès du mouvement socialiste que dans l’enseignement. Il donnait cours en troisième année et beaucoup de gens venaient sonner chez nous pour lui demander si leur enfant pouvait venir dans sa classe.

Moi, je n’y étais pas mais il a été mon entraîneur pendant deux ans. Il était plus sévère avec moi qu’avec les autres. A un certain moment, j’ai même eu l’impression d’être un bon à rien. Mais d’un autre côté, cela m’a rendu plus fort. Le seul inconvénient de son métier d’enseignant, c’est qu’il savait directement quand je faisais une connerie à l’école. Cela m’a poursuivi jusqu’en sixième année secondaire car il connaissait tous mes professeurs.

J’étais un bon élève, pratiquement jamais puni. J’avais un certain sens des responsabilités et c’est normal: quand un père est bien considéré dans une communauté, ses enfants ne le détruisent pas facilement. Nous avons reçu une éducation relativement libre mais on nous a également appris certaines valeurs. Mon père insistait beaucoup sur le respect des autres: -Ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse. Quand on vit en société, il est indispensable que règnent le respect et la discipline.

Le football était au centre de mes préoccupations. Nous ne rations pas un match à la télévision ou à la radio. Je ne sais pas si mon père s’est vite rendu compte que j’étais assez doué. Je suis simplement né en rêvant de devenir footballeur professionnel. Je n’étais certainement pas le plus talentueux mais sûrement le plus assidu. Je n’ai jamais voulu consacrer trop de temps à l’école. Evidemment, le fils du prof ne pouvait pas être busé mais j’étais content avec des « satisfaisants ». J’ai eu un seul échec: en chimie, à la fin d’un semestre. J’ai rectifié le tir et, en juin, j’avais 90 %. On ne peut pas dire que je n’étais pas doué mais je ne travaillais pas beaucoup. Par la suite, j’ai entamé des études de marketing mais, en deuxième année, j’ai dû choisir entre cela et une carrière de professionnel à Malines. Le choix fut vite fait.

J’ai pris confiance en moi. Je n’avais pas eu une jeunesse difficile mais je souffrais beaucoup d’acné. J’étais rejeté de partout. Je ne me suis pas caché et je n’ai pas fait de déprime. Au contraire, j’en suis sorti plus fort. Je ne me défendais pas physiquement mais verbalement. J’avais toujours la réplique qu’il fallait. »

« J’ai toujours eu des principes »

« Mon rêve était de devenir pro mais j’ai aussi des principes. C’est pourquoi, à 16 ans, j’ai arrêté de jouer pendant un mois. Une décision radicale. Un de mes amis faisait du vélo et la course m’intéressait beaucoup. Je l’accompagnais donc autant que possible. A un certain moment, tous les noirs de Boom ont bénéficié d’un contrat pour jouer en Réserves. Cela ne ressemblait à rien, d’autant que moi, je jouais pour rien. Alors, pendant un mois, je ne me suis pas entraîné une seule fois.

Mon père a bien essayé de me faire revenir sur ma décision mais, voyant que cela ne marchait pas, nous nous sommes mis à la recherche d’un sponsor afin de lancer ma carrière de coureur cycliste car nous n’avions pas d’argent pour nous payer le matériel nécessaire. Mon père connaissait un comte à Gravenwezel et nous l’avons contacté, mais le jour où nous devions nous rendre chez lui, les gens de Boom m’ont proposé un contrat. J’étais fier d’avoir eu gain de cause et, comme je me voyais tout de même plus d’avenir en foot qu’en cyclisme, j’ai signé. Par la suite, tout est allé très vite, je suis rapidement passé en Réserves puis en équipe Première.

Tant à Boom qu’à Malines, j’avais un bon contact avec les anciens. Encore une fois, c’était une question de respect. Je les admirais et, après un certain temps, ils se sont mis à avoir confiance en moi également. Au cours des 18 premiers mois, j’ai toujours porté les valises, même si j’ai disputé 33 des 34 matches. Pour ma troisième saison, quand tous les anciens sont partis, je suis devenu capitaine. Ce n’était pas un héritage facile car le club payait avec beaucoup de retard et, à 22 ans, c’est moi qui étais chargé de régler tout cela.

Vanessa fut mon premier grand amour. Je n’avais pas le temps de m’occuper des filles car le football était au centre de toutes mes préoccupations. Le samedi, mes amis se retrouvaient dans le parc, à Boom. Moi, j’allais jouer au football. Je n’avais pas vraiment de copine. Un copain savait que j’étais amoureux d’une fille mais il m’avait précédé. Un mois ou deux plus tard, il m’a demandé de l’accompagner car il avait des vues sur une autre fille. Je me suis dit que c’était l’occasion de me venger et j’ai attiré son attention. Cela a marché puisque voilà 11 ans que nous sommes ensemble. Je connaissais bien son frère, Peter Thijs, qui a été le gardien de Boom.

Les joueurs de foot reçoivent beaucoup de courrier. Mais pas de photos. Vanessa ne le supporterait pas. Si Annick d’Asse envoie une lettre, elle se pose déjà des questions. Mais que voulez-vous que j’y fasse? A la Noël, j’ai reçu des tas de fleurs. Je reçois aussi régulièrement des SMS, tant d’hommes que de femmes. Vanessa n’y fait pas trop attention, elle sait que cela fait partie de ma vie.

J’aime qu’on s’intéresse à moi car cela veut dire qu’on apprécie mes prestations, mais je ne recherche pas la publicité. Jusqu’ici, c’est amusant, je signe toujours les autographes avec autant de plaisir qu’il y a dix ans. Mais si cela commençait à m’ennuyer… Je vais souvent dans les mêmes restaurants parce que j’y ai une bonne table. Signer un autographe au resto ne me dérange pas et, si la conversation dure un peu trop longtemps, je laisse un petit blanc. Vanessa dit que c’est ma meilleure réponse. Généralement, la situation se résout d’elle-même. »

« Je connais le prix de l’argent »

« On peut dire qu’aujourd’hui, je gagne bien ma vie. Et je suis très content que mes parents m’aient aidé à gérer mon argent. Ils m’ont appris la valeur d’un pain, d’une livre de beurre, d’un paquet de chips. A la maison, en manger pendant la semaine, c’était du luxe. Je ne pense pas que Vanessa se mette à comparer les prix lorsqu’elle fait ses courses au GB mais je ne vais pas commencer à jeter l’argent par la fenêtre. Je pourrais très bien m’offrir une Porsche -c’est mon rêve et j’en aurai peut-être une un jour- mais je ne suis pas exhibitionniste.

Peut-être est-ce mon éducation qui m’a rendu comme cela. Je me dis que je peux avoir des moments difficiles et que j’ai des responsabilités à l’égard de ma famille. Les car-jacking, surtout, me font peur. J’aime les beaux vêtements mais ils ne doivent pas nécessairement être chers. Vanessa était très bien habillée au Soulier d’Or mais je n’oserais même pas dire combien cela avait coûté, tant c’était bon marché.

Nous avons rapidement fait construire et nous avons investi beaucoup d’argent dans la maison. Un peu trop, même. A 23 ans, on ne connaît pas les prix en vigueur dans la construction. C’est pourquoi nous avons longtemps vécu sans escaliers, parce que nous n’avions pas d’argent pour les acheter. Nous dormions donc sur un matelas dans la cuisine. Ce sont des problèmes financiers relatifs et, aujourd’hui, nous en rions. Mais ce fut une bonne leçon.

Je ne joue pas en bourse, je ne me focalise pas suffisamment sur l’argent pour cela. Ma soeur me reproche souvent de le laisser dormir à la banque, de ne rien en faire, mais cela ne me tracasse pas tellement. Cinq ou sept pour cent d’intérêts, c’est la même chose… Je préfère m’occuper des enfants que lire les cours de la bourse.

Je suis également incapable de dépenser mon argent au casino. A La Manga, il y en avait un et j’aurais très bien pu y passer une soirée sans me tracasser si je perdais un peu d’argent. Mais je savais que, le lendemain, j’aurais mal au coeur. Ce n’est pas une question d’avarice mais une sorte de morale. Mes parents ont travaillé tellement dur que je ne peux pas me mettre à jeter l’argent par les fenêtres. Je dois à la vérité de dire que plusieurs équipiers sont allés presque chaque soir au casino et qu’il m’arrivait de les accompagner. Mais je restais au comptoir et je buvais une bière avec Marc Hendrikx.

Le dernier soir, nous avons joué parce qu’il n’y avait plus rien à faire à l’hôtel et que nous pouvions rester un peu plus tard. Marc et moi avons misé 25 euros chacun, ce qui nous a permis de jouer pendant presque trois heures. A la fin, il nous restait pratiquement la moitié de notre mise de départ. Pour moi, c’était suffisant. Je n’avais pas envie de me faire du souci le lendemain parce que j’avais perdu beaucoup. »

« Je suis très fataliste »

 » Baseggio a peur de l’avion, moi pas. Sur ce plan, je suis fataliste: quand le moment est venu, on ne peut plus rien y faire. C’est encore plus fort depuis la mort de JeanDockx. Je pense que tout est écrit. Jean avait tout pour vivre longtemps: il n’était pas trop gros, ne buvait pas trop d’alcool, ne fumait pas, faisait du sport. Pourtant, il a basculé du jour au lendemain. J’y vois la preuve que le destin est tout tracé, qu’il ne faut donc pas avoir peur de prendre l’avion ou de traverser la rue.

Je pense qu’il y a quelque chose après la vie. Je suis allé me recueillir sur la tombe de Jean. Un jeudi, nous discutions ici et j’ai senti le besoin d’y aller. J’y suis resté un quart d’heure en me disant: -Aujourd’hui, je suis très triste mais je sais qu’on se reverra. Cela me permet d’oublier un peu mon chagrin quand quelqu’un décède.

J’ai beaucoup souffert de la mort de Jean. Je ne passe plus au bureau parce que c’est pour lui que j’y allais. Le courant passait bien entre nous, nous allions souvent manger un bout ensemble. Il avait encore tellement de projets… Il voulait encore travailler pendant deux ans puis mener une vie plus calme. Aujourd’hui, j’essaye de ne plus y penser car on ne peut tout de même rien y changer.

Je suis très sensible. J’ai déjà pris pas mal de coups mais j’ai appris à vivre avec. Aujourd’hui, je suis reconnu et c’est plus facile. Je me suis toujours insurgé contre l’injustice. Une partie de la presse m’a reproché de ne pas supporter la critique mais ce n’était pas le cas. Il fallait simplement que la critique soit justifiée et, lorsque je trouvais qu’elle ne l’était pas, je réagissais. Ce fut une période difficile mais je n’ai jamais cessé de collaborer avec les journalistes. Je préférais qu’on vide son sac directement, donner mon avis et l’expliquer. C’est encore une question de principes. Je suis peut-être trop idéaliste, trop juge de paix, alors qu’il est impossible de satisfaire tout le monde. Mais on peut tout de même avoir chacun son avis sans que ce soit la guerre, non?

Une carrière dans la politique? Avant les élections communales, les trois partis sont venus frapper à ma porte mais j’ai répondu que je n’avais pas le temps, que le football m’occupait encore trop. Je ne dis pas que je ne le ferai jamais, mais pas maintenant. D’ailleurs, je ne suis peut-être pas fait pour cela car je suis trop direct. Lorre Staelens dit que le football est une jungle mais que c’est encore pire en politique. Je suis issu d’un milieu socialiste mais je me retrouve dans un mélange libéral aussi.

Si je devais faire de la politique, j’aimerais qu’on accorde plus d’importance à des aspects comme la criminalité et le vandalisme. Je suis contre toute forme de violence, j’en ai même peur. Avant un match, quand je vois autant de voitures de police devant le stade, je me demande si nous sommes vraiment au football et si nous sommes en sécurité. Je suis un défenseur dur mais fair-play. Ce tackle sur Martens, l’an dernier contre Bruges, était une exception et je l’ai regretté. Je n’avais pas le droit de faire cela et je méritais l’exclusion. »

Peter T’Kint

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire