Quelle progression !

Le Costaricain est devenu une des attractions du championnat mais ça va être dur de la garder en Belgique.

Il y a deux ans, les supporters des Buffalos applaudissaient Mbark Boussoufa. La saison passée, Alin Stoica et Adekanmi Olufade les enchantaient. Cette saison, un autre footballeur fait fureur : Bryan Ruiz Gonzáles (22 ans), originaire du Costa Rica. Après une première année pénible, il s’épanouit sur le flanc gauche. Ses dribbles rappellent aux aînés des supporters de D1 un certain Robbie Rensenbrink. Ruiz ne se contente pas de dribbler. Il a une excellente vision du jeu, un superbe tir croisé et le sens du but.

Débutons, le portrait de ce jeune joueur, en commençant par ses racines. Il vient de San José, la capitale du Costa Rica.  » Mais j’ai joué à Alajuela, une ville voisine, à vingt minutes en auto ou en bus « .

Que faisait votre père ?

Bryan Ruiz : Je n’ai qu’une mère. Mon père nous a abandonnés alors que j’avais un an. Mon grand-père a assumé son rôle. Tout ce que je sais de mon père, c’est qu’il était basketteur. D’où ma taille ! Je ne l’ai jamais vu, je n’ai jamais eu de ses nouvelles. Ma mère a rencontré un autre homme, avec lequel elle a eu trois fils.

Votre cadet, Yendrick, est aussi footballeur.

Oui, il fait partie des Espoirs du Costa Rica. Il est droitier et mesure quelques centimètres de moins que moi. Il a le niveau requis pour jouer ici. Il devrait pouvoir effectuer un test…

Gand sait-il qu’il joue au football ?

Oui mais il ne m’a pas encore demandé d’arranger un test. Si j’éclate vraiment cette saison, peut-être le club sera-t-il davantage enclin à s’envoler vers le Costa Rica, à la recherche de talents. Les Belges se focalisent surtout sur le Brésil et l’Argentine.

Je n’y ai pas souvent pensé. Mon grand-père a rempli ce rôle. Ma mère cousait des vêtements pour gagner sa vie. Nous n’étions pas riches mais nous avions de quoi manger. Nous jouions au foot dans la rue, même si mon grand-père m’a emmené à sept ans à l’équipe qu’il entraînait. Il trouvait que j’étais doué mais n’avait pas les moyens de m’envoyer dans un centre de formation. En fait, ces centres sont destinés aux riches. Les terrains ne manquent pas chez moi mais ils ne sont pas aussi beaux qu’ici. Nous jouions de petits matches entre copains, pour le plaisir. Souvent, nous nous ébattions en rue ou sur un sol en dur. Voilà la formation que j’ai reçue, dépourvue de structure mais très chouette. J’ai appris à être souple pour éviter les coups et les chutes. Nous n’avions pas de ballon : nous tapions dans une boîte de coca. Tous, nous rêvions de faire carrière en D1.

Quel âge aviez-vous quand vous avez abouti à Deportivo Alajuelense ?

17 ans. J’ai dû patienter six mois avant de recevoir ma chance mais dès ce moment, ce fut fantastique. C’est une des meilleures équipes du pays. Je jouais en attaque mais pas en pointe, un rien en décrochage. Je marquais aisément.

Un habitant d’Amérique centrale rêve-t-il de jouer au Mexique, au Brésil, en Argentine ou pense-t-il directement à un transfert en Europe ?

On peut gagner beaucoup au Mexique, pas au Brésil ni en Argentine. Donc, un jeune ne rêve pas de ces pays. Le championnat professionnel américain paie mais les joueurs veulent rejoindre l’Europe : le football y est meilleur. J’ai eu des contacts avec l’Amérique mais cela ne m’attirait pas. Seul l’argent était intéressant car on ne peut pas progresser aux States.

N’eût-il pas été plus simple de rejoindre l’Espagne ?

Si, déjà pour des raisons linguistiques. Et c’est le plus beau championnat du monde. Le Costa Rica est un petit pays. Nous avons pris part au Mondial mais nos footballeurs sont inconnus, même de l’Espagne.

 » Le championnat du Costa Rica est supérieur ! « 

Je connais uniquement Paulo Wanchope.

Voilà. Donc, je devais tenter ma chance ailleurs, en espérant taper dans l’£il des Espagnols.

Quel est le niveau de votre championnat national ?

Techniquement, il est supérieur au belge : on dribble plus, on joue plus en possession du ballon. Ici, le foot est plus rapide, plus puissant, deux qualités qui nous font défaut. Votre football est fait de duels, de chocs, comme en Angleterre, en Allemagne et en Argentine. Je crois que le climat joue un rôle. Le nôtre est chaud et humide, le vôtre froid. Il faut courir beaucoup pour se réchauffer.

Si. J’ai cru à une plaisanterie. J’avais passé des tests au PSV et à Feyenoord. Un jour, une femme m’a annoncé que des Belges voulaient m’observer. J’ai pensé qu’il n’en ressortirait rien et je ne voulais plus passer de test. Je voulais qu’on prenne directement contact avec moi. Les émissaires l’ont fait ! On m’a présenté à Michel Louwagie et j’ai signé.

Le test aux Pays-Bas avait été décevant à ce point ?

Au PSV, pas à Feyenoord. Ruud Gullit m’a regardé et a donné le feu vert mais il a été renvoyé avant que la paperasserie soit réglée et j’ai dû partir.

Vous avez à peine joué la saison passée. Pourquoi votre intégration a-t-elle été aussi pénible ?

J’ai dû choisir entre les dribbles et le jeu en un ou deux temps, entre chercher les duels et éliminer mes adversaires ou exploiter les brèches.

Un des assistants de Trond Sollied, Chris Van Puyvelde, loue votre vision du jeu.

En un an, j’ai énormément progressé, surtout sur le plan tactique. On me le fait remarquer au Costa Rica aussi. Pourtant, cette première année n’a vraiment pas été agréable. Je n’ai été titularisé qu’à deux reprises. Je ne pigeais pas le moindre mot d’anglais à mon arrivée. Maintenant, je commence à me débrouiller. Je peux demander ce dont j’ai besoin, aller dans les magasins.

Le club ne vous a-t-il pas offert un accompagnateur ?

Si, Gustaaf mais il ne parlait pas un mot d’espagnol, seulement l’anglais. Donc, ce n’était pas vraiment une aide. Randall Azofeifa et moi avons désormais des cours plus réguliers d’anglais.

Non. Je voulais réussir en Europe. On n’abandonne pas son rêve au bout de six mois parce qu’il y a quelques obstacles. OK, ces mois ont été durs. J’ai vécu à l’hôtel puis j’ai partagé une maison avec Randall avant de vivre seul dans un appartement. Là, j’ai dû apprendre à faire le ménage, à cuisiner. Heureusement, la mère de Randall a passé un moment ici et elle lui a appris des trucs, qu’il m’a transmis. Le four à micro-ondes est une invention intéressante : lasagnes, macaroni, spaghetti… je n’ai pas cuisiné d’autres choses.

Votre mariage a dû vous soulager ?

Oui, dès janvier 2007, tout est devenu plus facile. J’ai obtenu des minutes de jeu, j’ai marqué et ma femme m’épaulait.

 » J’avais énormément de choses à apprendre « 

Georges Leekens vous a-t-il accordé trop peu de chances ?

Oui mais il est chevronné et il devait avoir ses raisons. Je n’étais sans doute pas prêt. J’étais mécontent mais il me répétait de continuer à m’entraîner, à apprendre. Je ne suis pas du genre à me plaindre.

Vous avez quand même été sélectionné en équipe nationale. Les navettes ne sont-elles pas fatigantes ?

Cela m’a aidé. L’équipe disputait des matches amicaux, souvent par forte chaleur. Je devais constamment m’adapter aux changements climatiques et au décalage horaire. En plus, je dors peu en avion. Nous n’avons pas de ticket en business class, nous devons nous contenter des sièges étroits. Ce n’est pas facile de caser mes grandes jambes et ce ne sont pas des vols directs. Bref, c’est l’aventure. On fait généralement escale au New Jersey et à Houston.

Au début de cette saison, vous étiez à l’infirmerie, suite à une opération à l’épaule. Que s’était-il passé ?

Je me suis fracturé la clavicule (NDLR- Il arbore une cicatrice impressionnante sur le torse). Cela m’a coûté des mois de rééducation. L’accident est arrivé lors d’une joute amicale contre le Chili. Dans un duel, je suis retombé sur l’épaule. On m’a opéré en Belgique. J’ai râlé et pesté : j’étais à l’aube d’une nouvelle saison, avec un nouvel entraîneur, c’était l’occasion rêvée de montrer ce que je valais, de repartir à zéro et voilà que j’étais blessé. Il m’a fallu près de six semaines pour pouvoir me réentraîner et encore quelques semaines pour refaire mon retard de préparation physique. Au début, j’étais vidé après 70 ou 80 minutes. Désormais, je tiens tout le match. C’est oublié.

Dans dix jours, vous recevrez Anderlecht. Tiens, en octobre vous n’étiez pas titulaire de ce match perdu 2-1 à Bruxelles. Y avait-il une raison ?

Oui ! J’étais revenu du Costa Rica le vendredi soir et la nuit, ma femme m’a réveillé : elle allait accoucher. Notre fils est né le samedi matin. Je suis resté à l’hôpital de deux à neuf heures et je n’ai pu me reposer suffisamment à la maison. Donc, le dimanche, j’étais sur le banc. Je suis entré en seconde mi-temps. Compte tenu des circonstances, je ne me suis pas trop mal débrouillé.

Le nouveau système de jeu de Gand vous convient-il mieux ?

Je l’aime mieux que le 4-4-2 de l’année dernière. Je peux choisir le moment où je vais dribbler, j’ai des partenaires démarqués. Je suis plus libre offensivement. Malheureusement, nous avons perdu trop de points au premier tour. Notre classement ne reflète pas notre valeur.

Vous sentez-vous pleinement titulaire ?

Je joue beaucoup plus mais je ne me sens pas vraiment dans la peau d’un titulaire. Je travaille d’arrache-pied à l’entraînement car je veux encore progresser. Je reste trop irrégulier. C’est lié aux matches internationaux, à la fatigue qu’ils impliquent. C’est un dilemme : quand on est fatigué, on risque de mal jouer et de perdre sa place. D’un autre côté, il est difficile de dire non à son pays, surtout dans la perspective d’un transfert, plus tard. Pour attirer l’intérêt d’un grand club, il faut être connu, compter un certain nombre de sélections, ne serait-ce que pour obtenir un permis de travail.

par peter t’kint – photos: reporters

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