Quel pied gauche !

C’est en grandes pompes que le gaucher israélien entame la parabole liégeoise de sa bible de footballeur.

Le Standard a bien répété ses gammes contre le FC Brussels et a ajouté trois points et quatre buts dans son coffre-fort. Le collectif est aussi solide qu’une banque luxembourgeoise et les Liégeois récoltent déjà les premiers intérêts de leurs bons placements au c£ur de l’été.

Les actions de deux joueurs se sont envolées vers le haut face aux visiteurs venus de la capitale : Marouane Fellaini et Milan Jovanovic. Le premier a dominé la ligne médiane de la tête et des épaules. Il a changé et ne joue plus tout à fait de la même façon que la saison passée. Le balayeur de la ligne médiane tempère son désir d’être partout, agit aux moments les plus indiqués et s’exprime aussi via un jeu plus technique.

Bisou Jova en avait gros sur la patate après son ouverture de saison assez moyenne à Zulte Waregem . Le Serpent fou, comme MPH l’appelle, a enclenché le turbo et a grillé la défense bruxelloise. Plus discret, mais très efficace, Salim Toama s’est installé sur le flanc gauche. Sa production fut moins spectaculaire qu’à Zulte Waregem mais l’artiste israélien a fait la différence sur les phases arrêtées qu’il transforme souvent en bon vin.

Ce ne sont pas des miracles mais l’expression d’un talent qui saute aux yeux. Son pied gauche fera encore plus de dégâts quand il aura découvert tous les arcanes de la D1. Toama est en tout cas le digne successeur de Rony Rosenthal et de Shalom Tikva qui, comme lui, déposèrent à Sclessin les richesses du football moyen-oriental. Arabe de religion chrétienne, Toama était le Christ de Hapoël Tel-Aviv. Cinq fois international, il s’est fixé en Europe occidentale pour se faire un nom sur la scène internationale. Pour lui, venu d’une terre de religions où s’est souvent joué l’histoire des hommes, c’est le début d’une nouvelle parabole.

La parabole du semeur

Les grains du semeur peuvent échouer au bord du chemin, sur un sol rocailleux, dans les ronces ou sur de la bonne terre.

Dans le cas de Toama, le talent est arrivé où il fallait :  » Je suis originaire de Lod, une petite ville située à 25 km de Tel-Aviv. Il y avait quatre garçons à la maison. Mon père tient un kiosque : nourriture, boissons, journaux, etc. C’était un bon joueur de football mais il n’a jamais été professionnel. Je lui dois cependant ma technique et ma facilité sur les frappes arrêtées. Mon père avait un truc bien à lui : il se coiffait d’un chapeau et je devais le lui enlever avec un ballon expédié de 20 ou 30 mètres. Nous répétions inlassablement cet exercice. Est-ce que je me prenais pour Guillaume Tell ? Je ne sais pas car je ne connais pas ce footballeur. Il joue où ? Non, je n’avais jamais entendu parler de cette légende. En tout cas, j’ai beaucoup appris dans le jardin avec mon père. Le football, j’ai vite eu envie d’en faire ma profession. Je me suis inscrit en 1987 à Hapoël Tel-Aviv. Pour moi, c’était le club phare d’Israël. J’y ai parcouru toutes les classes : c’est là que j’ai signé mon premier contrat professionnel. J’avais un équipier qui avait laissé un très bon souvenir au Standard : Shalom Tikva. Il était le meneur de jeu et je jouais à gauche. Sa technique était intacte, sa lecture du jeu aussi. Plus tard, il est passé dans le staff et m’a entraîné. C’était très chouette de bosser avec lui. Il m’a souvent parlé de Liège, de la D1 belge : cela m’intéressait car j’avais envie moi aussi de tenter ma chance en Europe.

Après, j’ai passé deux saisons au Maccabi Petah Tikva avant de me retrouver en Turquie : à Kayserispor. Je n’y suis pas parvenu à trouver mes marques. Le football et le mode de vie ne me convenaient pas trop. Je suis retourné au Maccabi Petah Tikva. Il s’agissait de mieux réfléchir avant de repartir dans un autre pays. Je savais que cela arriverait un jour. Je ne pouvais pas rester sur cette mauvaise note. J’ai encore rejoué au Maccabi Tel-Aviv avant d’avoir une offre du Standard. J’étais aussi devenu international. J’aurais dû décrocher plus de cinq sélections internationales mais j’ai refusé de prendre part à une tournée aux Etats-Unis. C’était en fin de saison et ça ne m’arrangeait pas. Le coach national en a pris ombrage et ne m’a plus sélectionné. Mais cela s’est arrangé avec son successeur. Je participe à la campagne d’élimination pour l’Euro 2008. Le T2 de l’équipe nationale avait annoncé sa présence à Standard-Brussels. Je savais que je serais suivi attentivement en Europe. Tikva m’avait bien certifié que le football belge me conviendrait : ce n’est qu’un début mais il avait raison. Il me téléphone régulièrement et m’a promis d’assister bientôt à un match à Slessin « .

La parabole du grain de moutarde

Quand elle a poussé, la plus petite des semences dépasse les autres plantes du potager, devient un arbuste et les oiseaux nichent dans les branches.

Salim n’a pas roulé des mécaniques en débarquant à Sclessin. Il ne possède pas les états de service de Milan Rapaic. L’international croate avait une aura internationale. Mais le pied gauche de Salim rappelle celui du grand Milan.

L’Israélien a aussi un peu le physique de Sergio Conceiçao mais le corps arbitral aura moins de problème avec lui. L’homme est timide, s’exprime moyennement en anglais et ne veut pas brûler les étapes. Mais il pourrait devenir une des plus belles plantes du jardin de Michel Preud’homme. Le Standard l’aurait acquis pour 750.000 euros alors que son club en exigeait le double. S’il n’a joué que cinq matches en Turquie, son retour en Israël fut intéressant. Avec Hapoël Tel-Aviv, il a fait joujou en Coupe de l’UEFA avec le PSG (deux buts, deux assists) et on peut retrouver trace d’un merveilleux coup franc européen de Salim sur You Tube (www.youtube.com/watch?v=9BCmCEgZ52E). Il était évident que ce joueur n’allait pas rester éternellement à Tel-Aviv :  » Je me sens déjà bien à Liège. Leat, ma copine, me rejoindra quand je serai installé. J’ai déjà fait la connaissance d’amis israéliens. Non, je ne cuisine pas. Je mange au Standard ou je vais au restaurant. Je souffrirai moins du mal du pays qu’en Turquie. Là, je n’étais peut-être pas prêt. Aujourd’hui, je connais la pression. Au Hapoël Tel-Aviv, on était aussi obligé de gagner des titres, des Coupes, des qualifications pour la Coupe de l’UEFA. Je ne peux pas me contenter d’être bon un match ou deux… On fera le point en fin de saison, pas avant. Je sais qu’on a dressé des parallèles avec Rapaic en parlant de moi. Cela m’a fait plaisir mais cela en reste là car je sais qui était Rapaic. Son pied gauche était connu et redouté partout. Il a joué dans de grands clubs et décroché ses succès importants avec son équipe nationale. Rapaic était une référence. Je ne le suis pas encore, il reste du chemin à parcourir mais cela ne m’effraye pas. Le Standard a tourné une page importante de son histoire avec le départ de Conceiçao. Oui, je le connaissais de réputation. Il a été une vedette au Portugal, en Italie, en Belgique où il est devenu Soulier d’Or. C’est un défi de passer d’une époque à une autre, de remplacer d’aussi grands noms.

On m’avait prévenu des spécificités de la D1 belge. Et, honnêtement, malgré tout ce qu’on m’avait dit, je ne m’attendais pas à cela. En Israël, on met le pied comme partout mais le jeu est quand même assez technique. Ma campagne de préparation a été assez éprouvante. J’ai exhibé mes qualités mais j’ai été étonné par la virulence de l’engagement. A l’entraînement, quand on voit des gars comme Oguchi Onyewu, Mohammed Sarr, Frédéric Dupré ou Marouane Fellaini à l’£uvre, ça déménage. En match, l’engagement est total. Il a fallu que j’intègre ces paramètres. Le football belge est direct, agressif et ne s’attarde pas trop longtemps dans la ligne médiane. Il faut être très vertical tout en variant les coups. Les équipes sont bien organisées et on ne démonte pas facilement les défenses. Les phases arrêtées sont très importantes comme partout. Je suis finalement en phase de rodage. On m’a félicité pour mon bon match à Zulte Waregem. Pour le moment, je suis à 75 % de mes possibilités. Je monte en régime. J’ai passé le cap de la période de fatigue due à la campagne de préparation. De plus, je cerne de mieux en mieux mes missions. Je connais désormais très bien mes équipiers. C’est un groupe pétri de talent. Mais je sais aussi que personne ne marchera sur sa tête. Je suis confiant, certain d’avoir fait un bon choix en signant au Standard « .

La parabole du filet

Des pêcheurs ont déployé leurs filets en mer et hissent à bord toutes sortes de poissons. Revenus au port, ils trient leurs prises : ce qui est bon est mis dans des paniers et ce qui ne vaut rien est dévoré par les mouettes. C’est ainsi que les choses se passeront à la fin du monde.

Le football israélien est en pleine phase ascendante. Les Espoirs de ce pays ont pris part à la phase du dernier Euro en Hollande. Et pour ce faire, ils éliminèrent ni plus ni moins que la France. Les clubs israéliens sont des durs à cuire dans les différentes épreuves européennes. Israël est classé 32e au ranking FIFA devant la Norvège ou le Maroc. La Belgique a plongé derrière le Cap Vert ou la Bolivie. Autrement dit, le football israélien est en période de haute conjoncture et ses quatre clubs les plus importants tiendraient facilement la distance en D1 belge.

L’argent y coule depuis que Arkadi Gaydamak, un homme d’affaires russe, a acheté le Beitar Jérusalem. C’est le Chelsea d’Israël et ce personnage n’est autre que le père d’ Alexandre Gaydamak, le propriétaire de Portsmouth. Les joueurs du Beitar gagnent annuellement entre 500.000 et 600.000 dollars. C’est du net. En Belgique, Salim a probablement doublé ses mensualités. Au-delà de cela, la Belgique est une terre de transition pour les Israéliens qui se souviennent qu’ Elie Ohana a gagné la Coupe des Coupes avec le FC Malinois de Preud’homme. Et Rosenthal avait joué au Standard avant de casser la baraque à Liverpool.

Des joueurs comme Toama, Elyaniv Barda (25 ans, Genk, ex-Hapoël Tel-Aviv, transfert : 65.000 euros), Gil Vemouth (22 ans, Gand, ex-Hapoël Tel-Aviv, transfert : 245.000 dollars) ou Gil Blumstein (17 ans, en test avec les Espoirs de Gand, ex-Hapoël Tel-Aviv) rêvent probablement de s’affirmer en Belgique avant d’être repérés par un grand club anglais. Les Israéliens s’adaptent sans aucun problème en Europe occidentale. C’est probablement le début d’un nouvel arrivage. Tout est beau, tout est gentil tant que les filets ne charrient que de beaux poissons. Mais, là aussi, comme dans la parabole, il y aura aussi des rejets. En attendant, le Standard est la terre promise d’un sacré pied gauche :  » Je ne veux pas penser à autre chose qu’au Standard. C’est ici que se joue ma carrière et mon avenir. Si je veux réussir, ce sera d’abord ici. Je viens de fêter mes 28 ans. C’est l’âge idéal pour bien s’exprimer sur un terrain « .

par pierre bilic – photos : reporters / mossiat

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire