QUEL MYSTÈRE !

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Charleroi va affronter La Louvière, ce samedi, en étant privé d’un de ses meilleurs joueurs du premier tour. Exclu à Lokeren, Mahamoudou Kéré (23 ans) était déjà suspendu le week-end dernier à Zulte Waregem, ratera le duel wallon contre les Loups et encore le déplacement au Cercle Bruges. Malgré cette absence, le Burkinabé fait beaucoup parler de lui.

Le coach Jacky Mathijssen s’était privé de ses services pour le match de Coupe de Belgique à Ostende. Explication officielle : le joueur était perturbé mentalement. Le défenseur central des Zèbres a vaguement avancé des problèmes familiaux. On sent qu’il y a autre chose mais il reste muet comme une carpe :  » Même ma femme ne sait pas exactement ce qui me perturbe et elle est d’ailleurs furieuse que je ne veuille pas lui en dire plus « .

Comment vit-on trois week-ends consécutifs sans football ?

Mahamoudou Kéré : Je me sens assez frustré. Je maintiens que ma faute sur Hakim Bouchouari ne méritait pas une carte rouge.

C’était votre huitième exclusion en 170 matches chez nous : énorme !

Mais c’était la première depuis plus d’un an. Je me suis fort calmé. J’ai grandi, pris de l’expérience et du recul. Je me suis reconditionné mentalement pour prendre moins de cartons. Deux rouges en plus d’un an alors que je ne joue plus qu’en défense centrale, ce n’est pas mal du tout.

Comment vous êtes-vous reconditionné ?

Avant, je n’acceptais pas qu’un adversaire soit plus fort que nous et nous domine. Aujourd’hui, j’intègre cela dans mon raisonnement.

Mais il vous arrive encore d’exploser. A Anderlecht, on vous a par exemple vu saisir Serhat Akin par les narines…

Ce sont des choses qui arrivent quand ça chauffe dans un match !

Parlez-nous de vos problèmes.  » Purement familiaux « , paraît-il…

Je n’étais pas bien dans ma tête et l’entraîneur a décidé de m’écarter provisoirement. Il a eu raison. Je n’avais plus le même rendement à l’entraînement. Il fallait que tout se remette en place, que le club m’aide.

C’est fait ?

On essaye de changer les choses mais ce n’est pas facile. Non, tout n’est pas encore rentré dans l’ordre.

 » Abbas Bayat se reconnaît en moi  »

Quel est ce problème ?

C’est secret. Il y a des choses que je ne peux pas dire. Par respect pour le club.

Mais ça n’a rien de familial, alors ?

Disons que c’est lié. C’est parti du club et ça a eu des répercussions familiales. C’est une affaire assez compliquée.

Donc, vous avez un problème avec le club ?

Oui. Ou plutôt un malentendu.

Votre relation avec Abbas Bayat semble pourtant si forte !

Je n’ai aucun problème avec lui.

Pourquoi cette relation est-elle si intense ?

Il se reconnaît en moi. Il avait quitté son pays très jeune, et seul, pour aller étudier en Angleterre. Il a dû se débrouiller et a ramé pour combattre le mal du pays. Moi, j’ai abandonné le Burkina Faso à 16 ans pour tenter ma chance tout seul à Charleroi. Je me suis aussi battu, et moi aussi, j’ai réussi. Abbas Bayat adore les jeunes qui donnent tout ce qu’ils ont dans le ventre sans avoir beaucoup d’atouts au départ. Nous parlons beaucoup, il me donne des détails sur sa famille, sa jeunesse, son parcours professionnel.

C’est avec Mogi que vous avez un problème, alors ?

Il n’est pas comme son oncle. Il est plus jeune, plus nerveux, plus explosif.

Et c’est donc avec lui que vous avez un problème ?

Je dirais que nous ne nous sommes pas toujours compris.

Votre histoire fait penser à celle de Laurent Macquet, qui était dégoûté parce que des promesses n’avaient pas été tenues.

Je ne pense pas que ce soit comparable.

C’est un problème financier ?

Ça je ne sais pas, Monsieur…

Les supporters voudraient pourtant savoir ce qui se passe.

Tant pis. Ils pensent ce qu’ils veulent. Je suis seulement triste quand j’entends certains commentaires. Il y en a qui disent sur un ton ironique que si j’ai envie de partir, je ne dois pas me priver, que personne n’est indispensable. C’est vrai, je suis convaincu que personne ne l’est dans cette équipe, sauf peut-être Bertrand Laquait. Mais je n’ai surtout pas envie de partir en mauvais termes avec les gens de Charleroi. Je ne demande qu’une chose aux supporters de Charleroi : qu’ils comprennent que j’ai des problèmes.

Une autre version circule : vous avez demandé pour retourner en Afrique pendant votre suspension et le club vous l’a refusé.

C’est faux. Je ne joue pas mais je suis payé, donc j’ai le devoir de rester ici.

On va donc continuer à imaginer un tas de choses.

Je laisse dire. Par respect pour le président, je ne dirai rien de plus.

 » Sept ans à Charleroi, ça suffit  »

Pour certains, vous avez décidé de quitter le Sporting au plus vite et c’est ça qui vous perturbe.

Non, ce n’est pas lié à un transfert.

Mais vous voulez partir, quand même ?

Oui. Je ne m’imagine plus ici la saison prochaine. Je suis à Charleroi depuis sept ans, je trouve que ça suffit. Je veux maintenant viser plus haut, on ne peut pas me le reprocher. Je l’ai expliqué franchement à Jacky Mathijssen. Il pense déjà à la saison prochaine et je lui ai avoué que je souhaitais ne plus être Carolo à ce moment-là.

Mais pourquoi avez-vous alors resigné jusqu’en 2007, il y a un an ?

Tout le monde fait des erreurs. Mais chacune de ces erreurs vous enrichit.

Vous auriez déjà pu trouver un autre club il y a un an !

Sans doute mais j’ai voulu faire plaisir au président.

Si c’était à refaire, vous signeriez encore cette prolongation ?

Je ne pense pas. Ou en tout cas, je réfléchirais plus.

On vous cite en Allemagne.

Il n’y a rien. (Il rigole).

Vous continuez à rêver de ce championnat ?

Oui. Mais ce n’est pas parce que j’en rêve la nuit que ça va se concrétiser le lendemain matin.

Avec votre technique, on vous imagine plus en France.

Peut-être, mais la Bundesliga m’a toujours fasciné.

Si vous voulez partir en janvier ou pendant l’été 2006, il y aura une somme de transfert à payer.

Le président m’a promis qu’il ne me mettrait pas de bâtons dans les roues.

Ne craignez-vous pas de commettre la même erreur qu’Ibrahim Kargbo il y a quelques mois ? Lui aussi, il était un des kings du Sporting, mais il a voulu partir et il s’en est vite mordu les doigts.

Kargbo était en fin de contrat, pas moi : on ne peut donc pas comparer. Mais il faut savoir prendre des risques quand on vise une belle carrière. Il faut savoir être ambitieux. Ça passe ou ça casse.

N’y a-t-il pas une malédiction sur les défenseurs centraux de Charleroi ? Mustapha Sama a été viré après une bagarre avec Mogi Bayat, Ibrahim Kargo est parti en claquant la porte, Laurent Ciman a été suspendu pour consommation de cannabis. Et aujourd’hui, c’est avec vous qu’il y a un problème.

Je suis superstitieux mais je ne vois pas les choses comme ça. Tous ces cas sont trop différents pour qu’on les compare.

Quel pourcentage de chances y a-t-il que vous soyez toujours ici en janvier ?

100 %.

Et en juillet ?

Là, je ne veux pas m’avancer.

 » Sept points sur neuf pour vivre une trêve tranquille  »

Vous disputez la meilleure saison de votre carrière : comment l’expliquez-vous ?

C’est l’effet Mathijssen.

C’est-à-dire ?

Il me donne tellement de confiance et de responsabilités que je me sens obligé de lui rendre la monnaie.

Vous avez longtemps râlé d’avoir dû quitter l’entrejeu pour la défense.

J’essaye de ne plus trop y penser. Mais il a fallu que je morde sur ma chique pour oublier mes ambitions de milieu de terrain. Je m’y suis fait. Mais il y en a qui voudraient que j’avance à nouveau. Ma femme, par exemple. Elle me dit régulièrement : -En défense, tu n’es jamais bon, tu ne fais que des bêtises.

Vous pensez qu’elle a raison ?

Si Vincent Kompany fait des floches, ne demandez pas à Badou Kéré de ne pas en faire…

Comme Kompany, vous êtes peut-être trop doué pour rester derrière, non ?

Vous n’imaginez pas le plaisir que j’ai à me plier aux ordres de mon coach. Je n’avais jamais eu une relation pareille avec un entraîneur. S’il estime que je suis plus utile en défense que dans l’entrejeu, je ne discute même plus.

Que vous dit-il pour vous inspirer une confiance pareille ?

Il me parle peu. Son regard me suffit. Je vois directement ce qu’il pense.

Mathijssen restera encore un an et demi à Charleroi : pourquoi ne pas rester avec lui ?

Je lui ai dit que si j’avais l’occasion de progresser, je m’en irais. Il doit me comprendre. Charleroi est ma deuxième ville, c’est grâce à ce club que ma vie a complètement changé, mais on ne va quand même pas me reprocher d’être ambitieux ?

Pourquoi n’êtes-vous pas le capitaine du Sporting alors que vous êtes le plus ancien joueur du noyau ?

OK, je suis le plus ancien, mais Frank Defays a plus de matches que moi avec ce club. Et de toute façon, il aurait été anormal de me donner le brassard au moment où il a fallu désigner un nouveau capitaine. Je suis assez calme aujourd’hui mais je ne l’étais pas du tout à l’époque. C’était donc, aussi, le choix de la raison. Je n’ai pris que deux cartes rouges depuis le début de la saison dernière, mais si j’avais joué dans l’axe de la défense il y a cinq ans, j’en aurais eu beaucoup plus.

Pourquoi vous êtes-vous fait naturaliser ?

Parce que je veux revenir en Belgique après la fin de ma carrière. Ma petite fille a une vie tout à fait normale, elle ne manque de rien, alors que j’ai connu une jeunesse pauvre. Je ne veux pas lui enlever ce privilège sous prétexte que le Burkina Faso me manque.

Quelles images fortes retiendrez-vous de vos années à Charleroi ?

La gentillesse des gens et l’annonce de l’acceptation de ma naturalisation.

Comment expliquez-vous le classement actuel du Sporting ? Il est décevant si on tient compte de ce que vous aviez montré la saison dernière.

Nous avons moins de réussite…

… je vous arrête ! L’an dernier, quand on faisait remarquer à un joueur de cette équipe qu’elle avait de la réussite, il répondait systématiquement qu’on ne pouvait pas avoir de la chance sur un championnat entier…

C’est le cas, pourtant. Combien de matches avions-nous gagnés en marquant dans les dernières minutes ?

Cette saison, vous avez notamment des problèmes dans la gestion des résultats. Vous menez 0-2 à Lokeren mais vous perdez. Vous menez deux fois par deux buts d’écart contre Bruges mais vous ne faites qu’un nul.

Lokeren, c’est peut-être de ma faute. Si je ne fais pas le con là-bas… Mais bon, c’est vrai que nous gérons moins bien que la saison passée. Ne me demandez pas pourquoi : je n’en sais rien.

L’an dernier, vous aviez battu le Standard, Anderlecht et Genk. Cette saison, vous n’avez toujours pas gagné contre un grand.

Genk, le Standard et Anderlecht doivent encore venir chez nous au deuxième tour : notre saison n’est pas finie ! Il nous faut 7 points dans les trois derniers matches de l’année pour vivre une trêve tranquille.

PIERRE DANVOYE

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