QUEL LAPIN IBRACADABRA SORTIRA-T-IL DE SON CHAPEAU ?

Réduire Belgique – Suède (le 22 juin à 21 heures) à un match contre Zlatan Ibrahimovic est peut-être un peu fort mais on peut partir du principe que le voleur de vélo de Rosengard (Malmö) focalisera l’attention. Johanna Franden le suit depuis des années et admet : « Zlatan peut vous envoûter. »

Cela fait quatre ans que Johanna vit à Paris. Avant cela, elle a passé un an à Barcelone. Et entre les deux, elle a travaillé en Italie, dans une autre fonction mais toujours avec un objectif : suivre à la trace Zlatan Ibrahimovic (34 ans) pour le compte de son employeur, le journal suédois Aftonbladet. Elle le connaît donc mieux que quiconque, même si leurs relations ont souvent été tendues. Zlatan et Aftonbladet, c’est l’eau et le feu, surtout depuis que le journal a dressé son portrait et, apprenant qu’il n’avait pas encore de petite amie, l’a présenté sous forme de petite annonce « homme cherche femme ». Plus tard, le journal dévoila d’autres facettes sombres de sa jeunesse et Zlatan décréta un boycott qui dure depuis plusieurs années.

GHETTO

« Tu peux sortir l’homme du ghetto mais tu ne peux jamais enlever le ghetto de l’homme. » (extrait de Moi, Zlatan, paru aux éditions Ambo).

JOHANNA FRANDEN :  » Nous avons envie de croire que Zlatan a mûri. Quand on le voit dans la publicité pour le programme alimentaire mondial de l’ONU, avec les 50 noms tatoués sur son corps et quand on entend son discours sur le cancer lors de la remise du Ballon d’Or suédois, on se dit qu’il est devenu sérieux. Mais à chaque fois, un mois plus tard, il fait quelque chose de tout à fait inopportun, comme quand il dit que la France est un pays de m… Zlatan a vieilli mais il n’a pas perdu ses traits. Il est moins sauvage mais il est toujours aussi arrogant et ne fait confiance à personne. Il joue des jeux avec tout le monde.

Après avoir dit cela sur la France, il n’a plus parlé aux journalistes français jusqu’à ses adieux. Pour moi, c’est la preuve qu’il n’est toujours pas mûr. Fondamentalement, il n’a pas changé, il vit toujours d’arrogance, de boycotts, d’envie d’écraser ses équipiers et les journalistes. (Elle l’imite) ‘Tu travailles pour qui ? Pour L’Équipe TV ? Pourquoi as-tu une caméra ? C’est une chaîne low cost ? Tu crois vraiment que je vais faire une déclaration à une chaîne low cost ? ‘ Un jour, il a dit à un présentateur télé : ‘Hé mec, tu sens vraiment mauvais.’

Ce qui est bien, avec Zlatan, c’est qu’il ne fait d’exception pour personne. Je le suis depuis des années mais il peut très bien passer devant moi comme si je n’existais pas. Mais si on parle avec lui et qu’il est de bonne humeur, il est passionnant, envoûtant, fascinant. Après autant d’années, il peut encore me flatter. Et presque tout le monde peut en dire autant. Ça n’a rien de romantique, on sent juste qu’il nous a remarqués… C’est très étrange.

Même après toutes ces années, nos contacts se limitent aux interviews d’après-match. Et c’est très bien ainsi car je ne me demande jamais si je peux écrire ceci ou cela sans risquer de nuire à notre relation. Zlatan ne laisse personne toucher à sa vie. Je ne pense pas qu’au cours des dix dernières années, quelqu’un ait réellement pu l’approcher. Même l’auteur de sa biographie (David Lagercranz, ndlr), qui a pourtant passé des heures avec lui, devait payer la note lorsqu’ils allaient au restaurant. Mais je crois qu’il en va de même avec Messi et Ronaldo. Et Zlatan est de leur niveau.

Je sais que ses amis proches sont toujours les mêmes qu’avant mais on ne les voit pas beaucoup. Parfois, il les met tous dans un avion et il loue une aile d’un hôtel rien que pour eux. Mais sur ses photos de vacances, on le voit souvent en compagnie d’équipiers ou de joueurs de l’équipe nationale. D’anciens joueurs, d’anciens équipiers et quelques amis d’ici. Je ne pense pas qu’il ait encore beaucoup d’amis à Rosengard. Ce quartier est problématique, c’est un peu le Molenbeek suédois. »

GUIGNOL

« Il est possible que je sois parfois très dur. Je n’en sais rien, c’est en moi depuis que je suis tout petit. Quand il avait bu, mon père se comportait comme un ours, toute la famille avait peur et le fuyait. Moi pas, je l’affrontais et je criais : « Arrête de boire !  » Il devenait fou. Parfois, c’était le chaos, tout l’appartement tremblait. Mais nous ne nous sommes jamais battus. Il avait un grand coeur. Il serait allé au feu pour moi. Mais honnêtement, j’avais envie de le frapper. » (extrait de Moi, Zlatan).

JOHANNA :  » Zlatan s’occupe beaucoup des gens qu’il aime. Mais il a la grosse tête… Quand il est arrivé à Paris, il a déclaré : ‘Je ne connais pas bien la Ligue 1 mais nul doute que la Ligue 1 me connaît’. Et il a tout fait pour entretenir cette image. Au cours des deux premières années, tout était très passionné. La troisième saison, il a eu beaucoup de pépins physiques et n’a jamais joué à son meilleur niveau. Alors il s’est montré plus accessible. Il prétendait que tout allait bien mais on sentait qu’il cherchait à nous amadouer.

Ça n’allait pas, son timing n’était pas bon, son jeu non plus… Son style de jeu ne lui permet pas de cacher quelque chose. Certains joueurs arrivent à se montrer même quand ils ne sont qu’à 90 %, pas Zlatan. Il doit être à 100 % mais il ne l’était pas, il ne l’a pas été pendant toute une saison. Sa suspension suite à ses déclarations sur la France et sur les arbitres a aussi contribué à le faire tomber de son piédestal. France Football en a fait sa une en titrant : ‘Qu’il parte…’ Je sais que ça lui a fait mal.

Au PSG aussi, son statut avait changé. Pour moi, Javier Pastore est un mystère sur un terrain. Il peut être brillant ou jouer terriblement mal. Mais il est le premier à avoir remis Zlatan en question. Zlatan restait sur plusieurs mauvais matches et ne cessait de se plaindre quand Pastore a commencé à poser publiquement certaines questions. Pour moi, c’était le signe que le vestiaire se retournait contre lui.

La saison dernière, il s’est fait pardonner. Il a été très bon, et pas seulement sur le terrain. En France, tout le monde connaît Zidane et Ronaldo mais désormais aussi Zlatan. L’OM reste le plus grand club de France, certainement en nombre de supporters. Mais malgré toutes les stars qui jouent à Paris, Zlatan est le footballeur le plus connu de France. Le fait qu’il ait sa marionnette dans Les Guignols en dit suffisamment long.

Sept ou huit Français sur dix savent qui est Zlatan, c’est incroyable ! En 2012, François Hollande a remporté les élections présidentielles mais, juste derrière lui, c’est de Zlatan que la presse française a le plus parlé. Même ma professeur de piano, une Russe, connaît Zlatan. Elle n’y connaît rien au football et ne sait pas où il joue mais elle connaît le personnage. »

CAPELLO

« Parfois, Capello débarquait et il est comme il est. Il me disait qu’il allait m’enlever tout ce que j’avais appris à l’Ajax, qu’il ne voulait rien de hollandais : pas de tiki-taka, pas de une-deux, pas de jeu soigné, pas de dribbles. Lui, ce qu’il voulait, c’était des buts. Il me disait que je devais apprendre à jouer à l’italienne, avoir l’instinct du tueur. J’avais commencé à le faire mais, même si je jouais en pointe, je ne me considérais pas encore comme un véritable buteur. J’étais plutôt celui qui savait tout faire, j’étais encore un footballeur de rue. Dans ma tête, j’aimais faire le show. Mais Capello m’a transformé. » (Extrait de Moi, Zlatan, où il évoque son passage par la Juventus).

JOHANNA :  » Zlatan bosse comme un fou, les gens ont parfois tendance à l’oublier. Tous ceux à qui on parle de lui – anciens équipiers, entraîneurs et insiders du PSG ou d’autres clubs qu’il a fréquentés – disent la même chose : Zlatan passe des heures à travailler ses coups francs, son jeu. Il ne vit qu’en fonction du football. Il ne boit pas, ne sort que lorsqu’il peut se le permettre. Il ne triche jamais, vraiment. Peut-être que ce qui s’est passé lors de sa troisième saison l’a titillé. Ronaldo fait exactement la même chose, c’est nécessaire pour survivre au plus haut niveau.

Je pense que c’est la grande différence avec le football des années 90. Maintenant, tout est si intense, si professionnel qu’on ne peut plus faire autrement. Plus personne ne pourrait vivre comme Paul Gascoigne. Maintenant, on peut se demander ce que Zlatan pourra encore faire après le PSG ? Son talent, son âge et son expérience lui ont permis de dominer la Ligue 1 mais ils ne lui suffiront probablement pas à s’imposer en Angleterre, en Espagne ou en Allemagne.

De nombreux Suédois l’admirent. Moi ? (elle réfléchit) Je suis trop proche de lui pour encore l’admirer vraiment mais je suis tout de même très heureuse qu’il ait terminé sur une bonne note, qu’il ait enfin eu droit à un match d’adieu. Jusqu’ici, ses transferts s’étaient toujours mal passés. Il n’avait jamais eu l’occasion de prendre congé des supporters. Cette fois, au PSG, ce fut le cas et il le méritait. Je pense cependant qu’il aurait voulu rester un an de plus mais que le club ne voulait pas.

Au lieu de tourner autour du pot, Zlatan a été assez mûr pour se dire qu’ils le trouvaient sans doute trop vieux et qu’ils ne voulaient pas prendre de risque. Tout le monde y a gagné. Zlatan aurait voulu remporter la Ligue des Champions mais le PSG a manifestement décidé qu’il ne pouvait pas poursuivre avec lui. Et je ne vois pas quel club du top 8 ou du top 10 européen embaucherait Zlatan.

Personne ne prendra ce risque. Je ne crois pas non plus qu’il ira à Abou Dhabi ou en Chine. Aux Etats-Unis, peut-être mais le projet de DavidBeckham à Miami ne verra le jour qu’en 2018, non ? Il faut donc qu’il trouve quelque chose à faire entre les deux. »

SUÈDE

« Parfois, nous étions ramasseurs de balles en équipe première. Un jour, Malmö affrontait IFK Göteborg. Mes équipiers étaient fous et voulaient des autographes des stars, surtout d’un certain Thomas Ravelli, qui avait été le héros du pays en arrêtant des penalties en Coupe du monde. Moi, je n’avais jamais entendu parler de ce gars-là. Je ne veux pas être ridicule. Bien sûr que j’avais vu cette Coupe du monde mais je venais de Rosengard : les Suédois, je m’en fichais. J’étais pour le Brésil, pour Romario, Bebeto, etc. La seule chose qui m’intéressait, chez Ravelli, c’était son pantalon. Je me demandais si j’arriverais à en piquer un. » (Extrait de Moi, Zlatan).

JOHANNA :  » Ce qu’il a de suédois ? (Son père, Bosnien, et sa mère, Croate d’origine albanaise, se sont rencontrés en Suède). La Suède est un pays de migrants, une bonne partie des habitants du pays viennent de l’étranger. Beaucoup sont arrivés d’ex-Yougoslavie. La première vague, celle du père de Zlatan, dans les années 60-70. Une deuxième vague dans les années 90, au moment de la guerre des Balkans. A présent, beaucoup de gens débarquent du Moyen-Orient. Ce qu’il a de suédois…

Peut-être sa capacité à travailler dur, une caractéristique qu’on associe souvent aux Suédois. Il fait bien son travail, ne triche pas, soigne son corps. Il a vécu en Suède jusqu’à l’âge de 19 ans mais, dans son livre, il dit que ses racines suédoises ne sont pas très profondes. Il était surtout entouré de migrants, ses parents ne parlaient pas suédois à la maison, il ne connaissait pratiquement rien du football suédois. Je généralise peut-être mais les gens des Balkans boivent beaucoup, ils fument, ne soignent pas leur corps. Zlatan n’est pas comme ça. Il est très attentif à cela.

Je trouve aussi que son jeu a légèrement évolué, qu’il est plus collectif. Il n’était pas comme cela avant, il ne faisait que dribbler. Plus maintenant, et surtout pas en équipe nationale. Il est aussi devenu un vrai leader et veille à ce que tout le monde se sente bien. Il était l’idole de tous les jeunes internationaux suédois, ils posaient même en photo avec lui.

En équipe nationale, il se comporte comme un ambassadeur. Et cela fait des années que c’est comme ça. Il est impliqué dans tous les projets. Pas seulement les actions commerciales mais aussi les projets sociaux. Il veille à ce que les nouveaux soient bien accueillis. En interne, il dit sans doute qui doit jouer et même parfois en conférence de presse. Mais jamais il ne met publiquement en cause les choix du sélectionneur.  »

CANTONA

« Guardiola m’a dit : « Ici, à Barcelone, on a les pieds sur terre. » J’ai répondu : « Sure ! Fine ! » « Donc, on ne vient pas à l’entraînement en Ferrari ou en Porsche. » J’ai fait oui de la tête, je n’ai pas fait de scandale. Je me suis demandé ce que mes voitures pouvaient bien lui faire, ce qu’il voulait me faire comprendre. » (Extrait de Moi, Zlatan).

JOHANNA :  » Quand les choses ne vont pas, il est capable de tout laisser en plan. On le lui a assez reproché mais, en même temps, c’est ce qui le rend héroïque aux yeux de nombreux Suédois, surtout les jeunes. Ça le rend jeune, un peu téméraire. Il a un peu l’attitude de cette génération look at me, avec ses selfies, ses posts sur Instagram. Évidemment, il peut se le permettre, il n’a plus rien à prouver. Il est aussi le symbole des jeunes immigrés suédois.

Mon père a 60 ans et s’intéresse aussi au football mais il n’aime pas cette facette de Zlatan. Ce n’est pas très suédois. Pour lui, ce n’est pas comme ça qu’on joue au football. C’est comme votre coach le dit sans cesse : tous ensemble. Zlatan n’est pas assez modeste pour cela.

Personnellement, j’aime bien ce côté. Comme j’aimais bien Eric Cantona. Ce sont des gens brillants, qui sortent du lot. Mais je peux comprendre qu’ils peuvent être embêtants, notamment pour les entraîneurs. Comment faire une remarque à Zlatan s’il marque lors de trois matches consécutifs ? Les autres joueurs ont d’autres qualités, Zlatan pas.

Il arrive parfois à EdinsonCavani de ne pas marquer mais alors, il se met à chasser le ballon partout et à travailler dur. Zlatan pourrait le faire mais il ne le fait pas. Il veut conserver son énergie afin de pouvoir sprinter vers le but. Pareil pour Messi, qui ne se replie que pour la forme. C’est du darwinisme, ils sont convaincus d’être les meilleurs.  »

PAR PETER T’KINT, ENVOYÉ SPÉCIAL À PARIS – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Il ne vit qu’en fonction du foot. Il ne boit pas et ne sort que lorsqu’il peut se le permettre. Comme Cristiano Ronaldo.  » JOHANNA FRANDEN

 » Auparavant, il n’avait jamais eu l’occasion de prendre congé des supporters. Au PSG, ce fut le cas et il le méritait.  » JOHANNA FRANDEN

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