« Que les deux se qualifient »

Le Croate de Chelsea s’attend à un match serré samedi, à Zagreb.

Quand il quitta Bruges en octobre 1996, Mario Stanic laissa beaucoup de regrets derrière lui. Le club de la Venise du Nord avait, une fois de plus, réalisé, une affaire en or avec la vente d’un de ses attaquants à une grande équipe européenne: Parme. Mais si Super Mario tenait logiquement à la réalisation de ce transfert, après avoir été cité à la Fiorentina, il a toujours mesuré ce qu’il devait à Bruges et à Hugo Broos qui avait été le chercher à Benfica où il s’ennuyait un peu.

Stanic n’avait que 23 ans lors de son arrivée chez nous et son regard portait les drames de la guerre qui déchirait sa Bosnie natale. Il l’avait quittée, lui le Croate, avec ses deux amis pour la vie, Gordan Vidovic, le Serbe, et Suad Katana, le Musulman: trois jeunes de Zeljeznicar Sarajevo. Le temps a passé. Tous les trois ont bien structuré leur carrière sportive et leur vie même s’ils n’ont plus la même carte d’identité. Mario a opté pour la Croatie, Gordan est devenu belge, Suad a la nationalité bosniaque. Leur amitié, digne d’un roman, n’a pas pris une ride. Ils ne cessent de se téléphoner.

Après avoir brillé de mille feux sous le maillot de Parme, Mario Stanic a prolongé sa carrière à Chelsea où il débarqua il y a deux ans. Ses aventures ne s’arrêtent pas là car il est devenu, au fil des saisons, un des piliers de l’équipe nationale croate. Après un bon EURO 96, et surtout une Coupe du Monde 98 de toute beauté, Mario Stanic tient à ajouter les visas du Japon et de la Corée du Sud dans son passeport. A Londres, où Sport/Foot Magazine lui a rendu visite, « Gentleman Mario » fut aussi sympa qu’autrefois et affirma en guise de préambule à l’entretien: « J’aimerais que les deux pays se qualifient pour l’Asie ». Puis, il ajouta: « La Croatie directement et la Belgique via les barrages ». Super Mario éclate de rire, touille dans son café, ça commence fort.

« Le titre avec Chelsea »

Avant d’en venir au choc de Zagreb, comment avez-vous vécu les différences entre Parme et Chelsea?

Mario Stanic: Ce ne fut pas évident. Même si cela change, le football anglais, dans sa généralité, vit d’abord de longs appels en profondeur. Pour un médian, habitué à toucher pas mal de ballons, comme ce fut mon cas en Italie, ce n’est pas évident à gérer. Chaque joueur doit être au top de son potentiel physique car, en plus du programme très chargé, chaque rencontre est un combat avec à la clef des duels d’une grande violence. J’ai été surpris la saison passée par le nombre d’agressions impunies et qu’on met sur le compte du figting spirit. Les arbitres ont compris la gravité de ce problème et sont tout de même un peu plus sévères. Il était temps de réagir mais j’ai souvent été blessé, puis opéré au genou, la saison passée. Ce fut la période la plus noire de ma carrière: sept mois sans jouer après un début de rêve, absence en équipe nationale croate, etc. Je préfère oublier.

En Italie, le jeu est beaucoup plus tactique qu’en Premier League où Chelsea, grâce à ses coaches, d’abord Vialli puis Ranieri, essaye de lier son jeu mais ce n’est pas évident. Les Anglais sont moins patients que les Italiens, n’ont pas l’habitude de calculer, d’attendre l’erreur de l’aversaire et ils foncent dans tous les sens durant nonante minutes même s’ils mènent très largement à la marque. Il y a de belles équipes, dont Manchester United, Arsenal, Leeds, Liverpool et Chelsea.

Le Calcio contient plus de qualités, mais le championnat anglais est plus éprouvant. A Parme, j’ai tout gagné, de la Coupe de l’UEFA à la Coupe d’Italie et à la Supercoupe, sauf le Scudetto. Je suis d’abord venu à Chelsea pour empocher le titre national anglais. Manchester ne survolera pas le championnat comme ce fut le cas la saison passée et Chelsea aura sa chance dans la lutte pour le titre.

Mais le grand objectif de votre saison, c’est la Coupe du Monde et cela se jouera lors de Croatie-Belgique…

Evidemment, pour nous, cela passe par un succès et même si les problèmes sont énormes, je crois que nous avons tout en mains pour franchir ce cap. Pour aller en Asie, il faut être capable de gérer le stress d’une telle rencontre. Le problème croate réside d’abord dans un changement de génération qui, finalement, s’est opéré plus calmement qu’on ne le dit. Il y a trois ans, en France, toute la structure était différente. Je rappelle que des joueurs comme Boban, Asanovic, Simic, Ladic ou Bilic sont partis: c’est énorme mais le noyau a été régénéré avec des jeunes, et l’apport de quelques anciens dont je fais partie même si je n’aurai que trente ans en 2002. Il y a donc un nouvel alliage de jeunesse et de métier qui me semble solide. Il n’y a pas de logique dans le monde du foot et le même scénario ne peut pas se reproduire deux fois. La page Blazevic est tournée.

Mais notre groupe actuel est plus facile à guider, à maîtriser, à dompter: cela convient à Jozic. Il y a trois ans, le noyau comprenait treize ou quatorze joueurs ayant des caractères à part, bien trempés, et Ciro Blazevic a réussi à souder tout cela dans un entité en béton armé. La guerre n’était pas loin et ces gars-là avaient souffert, quitté leur pays, souqué pour se faire un nom à l’étranger et aider leurs familles, etc. Il y avait du talent, du travail, comme dans d’autres équipes nationales. Tout le monde était prêt à aller au feu pour tout le monde mais nous avions aussi ce qui fait finalment la différence: le coeur, le moral, la rage, la volonté, les c… Je m’excuse évidemment, c’est un peu vulgaire, mais ça explique tout: l’équipe de 1998 en avait.

Elle aurait pu être championne du monde si elle avait eu totalement conscience de la variété de son potentiel. Nous n’étions pas prêts dans nos têtes pour être champions du monde: la France bien, elle qui ne méritait pas de gagner contre nous en demi-finale. Même si tout reste toujours difficile, les jeunes ont désormais un peu moins de soucis et peuvent profiter de l’acquis et des résultats obtenus par la génération précédente.

Moins de vécu croate

L’équipe actuelle est-elle aussi intelligente que celle de 1998?

Oui, certainement. Mais il y a trois ans, la Croatie a su être patiente. Elle n’était pas rapide mais mûre. Ce fut parfois très lent, le but étant d’endormir l’opposant et de le vaincre quand il ne s’y attendait pas. La moindre ouverture dans la garde adverse était exploitée. Le vécu de joueurs qui évoluaient dans de grands clubs étrangers depuis quatre ou cinq ans était payant. L’EURO 96 avait été notre laboratoire pour la Coupe du Monde française. Aujourd’hui, le désir de réussir la même chose est aussi vif. Evidemment, s’il y avait un tout naguère, il y a désormais les jeunes et les anciens depuis notre échec lors de la phase éliminatoire de l’EURO 2000.

Le plus dur fut de remplacer Zvonimir Boban qui était le chef de l’équipe. Il était hyper-important et nous manque encore. Les jeunes n’ont pas d’expérience et cela souligne forcément l’importance de Robert Prosinecki, l’homme de la différence tactique et technique. La défense a une toute autre allure. Igor Stimac a deux autres stoppeurs devant lui, Pletikosa a remplacé Ladic, etc. Devant, il y a du neuf aussi. Jozic a besoin de temps mais il n’en pas car une équipe nationale ne se réunit que cinq ou six fois par an.

Les internationaux actuels ne jouent pas tous dans leur club…

Exact, il manque du temps de jeu à pas mal d’entre nous et nous ne sommes pas au top. Mais ça ne nous a pas empêché de bien jouer à Glasgow. L’Ecosse n’a pas réussi à franchir le milieu du terrain durant la première demi-heure. Je l’ai déjà dit: il n’y pas de logique car nous aurions dû remporter ce match. Si on ne passe pas contre la Belgique, on s’en prendra à la jeunesse du groupe. Si on émerge, personne n’en parlera, on n’évoquera pas les problèmes actuels. Je m’attends à un match engagé, un duel d’hommes car le football belge aime l’engagement. Les Diables Rouges seront très bien organisés et miseront sur les contres. Ce sera une équipe d’abord défensive et il faudra faire sauter le bunker sans prendre de contres. Quand Boksic joue, tout est plus aisé. Moi, je n’ai jamais vu une telle force de la nature. Il renverse tout, on peut s’accrocher à trois à son maillot, il passe car sa puissance est phénoménale. Je ne connais pas deux joueurs aussi herculéens que lui. S’il ne joue pas, nous avons des attaquants très rapides dont Balaban. C’est là que réside la plus grosse différence par rapport à 1998. En France, l’équipe était plus lente. Ici, elle a des joueurs très rapides.

« Prosinecki marquera »

Peut-être est-ce dû au fait que l’entrejeu n’est plus capable de garder aussi bien la balle?

Peut-être mais cela n’empêchera pas Robert Prosinecki de marquer un but contre la Belgique. Je prends les paris. Le football a évolué en trois ans, on joue de plus en plus vite et on perd pas une seconde dans l’entrejeu. Et, dans ce contexte, Robert lit et comprend vite le jeu. S’il y a une petite ouverture, il ne la ratera pas. Si la Belgique veut réaliser l’exploit, c’est-à-dire au moins un match nul et se qualifier, elle devra marquer un but, si pas deux. La Croatie marquera mais je ne sais pas si elle saura défendre son avance. L’atmosphère suscitera forcément le dépassement. Les matches de barrage sont une bouée de sauvetage. Pas de doute, on vise la première place du groupe. La Croatie ne se jettera pas dans la gueule du loup. Les deux équipes peuvent calculer, la Croatie un peu moins longtemps que la Belgique, mais nous ne verserons pas dans la précipitation. La Belgique ne jouera pas comme l’Ecosse. Elle fermera la porte. L’Ecosse n’a pas d’Emile Mpenza, de Marc Wilmots, etc. Je sais que Gert Verheyen, que j’avais tant apprécié à Bruges, joue un rôle important. J’ai connu Johan Walem à Parme. C’est un très bon joueur dont le pied gauche est redoutable. Son absence est positive pour nous. La Croatie ne pourra offrir aucun espace aux attaquants belges. Comme les Belges feront la même chose, ce sera un match fermé sur toute la ligne. L’intelligence tactique fera la différence.

Dia 1

Pierre Bilic, envoyé spécial à Londres.

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