Que footait la presse des sixties ?

Un jour où on l’interrogeait sur ses racines, Jacques Brel répondit  » On est de son enfance  » et il avait raison. Footeux sans le savoir, il définissait ainsi le seul vrai critère devant entrer en ligne de compte pour être sélectionnable dans une équipe nationale. Chez nous, par exemple, un Diable Rouge se doit d’être un adulte qui, quand il était môme en studs, rêvait la nuit de devenir Diable Rouge et rien d’autre. Si ce critère n’est pas respecté, nous aurons demain des équipes nationales aussi multinationales que les équipes de clubs, ça fera un doublon imbécile que nous aurons cautionné. Et qu’on ne m’imagine pas xénophobe quand je dis regretter la naturalisation d’ Igor de Camargo : elle m’irrite parce qu’elle n’est qu’opportunisme à court terme… bien plus par le fait du naturalisateur que par celui du naturalisé ! Pas plus que Josip Weber et d’autres hier, Igor ne se voyait futur Diable quand il était gosse : cette absence de rêve est rédhibitoire…

On ne parlait pas de semblables naturalisations quand j’étais moi-même gamin sur crampons (rêvant d’être le nouveau Jef Jurion, j’en avais déjà les lunettes), ce qui nous remonte aux sixties ! De quoi parlait d’ailleurs la presse footballistique d’alors, comment remplissait-elle ses pages, je me le demande tout à coup ? ! Je lisais Les Sports alors quotidien, Le Sportif dès qu’il naquit, France Football qui existait déjà, Miroir du football qui vivait encore, ça faisait quand même des pages et des pages à noircir ! Pourtant, il n’était guère question d’argent, les salaires des joueurs n’étaient pas étalés ni ne faisaient l’objet de hit-parades récurrents.

Les joueurs avaient moins la bougeotte, leurs transferts ne remplissaient les pages et les imaginations qu’un mois durant l’intersaison : pas de mercato d’hiver, pas de gars virés dans le noyau B, pas de quoi gloser chaque jour sur les destinations possibles, les arrivées/départs imminents, les sommes exigées… Cela sliding-tacklait dur sur les terrains et les noms d’oiseaux volaient déjà bas, mais le dico ignorait le mot hooligan et la violence des stades ne tracassait pas encore les sociologues et les pouvoirs publics…

Nos équipes comptaient quelques joueurs de couleur, mais leur couleur se chambrait comme on chambrait la bedaine de Georget Bertoncello ou le klachkop de Georges Heylens, sans que naisse une quelconque problématique de racisme : Julien Kialunda ne voyait pas rouge quand les supporters mauves lui criaient  » Vas-y, Blanchette !  » Le dopage venait seulement d’apparaître dans le cyclisme avec la mort de Tom Simpson, c’est dire comme il était encore loin du foot… dans les journaux en tout cas ! Loin de moi l’idée d’affirmer que les matches arrangés n’existaient pas déjà sous le manteau alors que nous pronostiquions via Prior ou Littlewoods,… mais question corruption, la presse a pondu davantage sur la seule année d’affaire et de paris sportifs que sur toute mon enfance/adolescence !

Il n’y avait pas le feuilleton de la guerre des télés, et tous ces droits de retransmission à acquérir à coups de millions détaillés : il n’y avait qu’une télé, et tu espérais juste qu’elle te refile de temps en temps le match européen des Rouges ou des Mauves… Il y avait évidemment déjà des arbitrages critiqués et des arbitres vilipendés, ça c’est vieux comme le foot… mais les polémiques étaient moins prégnantes car tout n’était pas télévisé, car les caméras d’alors étaient à la fois moins nombreuses, moins fouineuses, moins accusatrices… Last but not least, les footballeurs n’étaient pas people, Roger Claessen ayant peut-être été le bémol terrible et exceptionnel confirmant la règle ! Mais Paul Van Himst n’a jamais été photographié pétant la gueule à quiconque en sortant beurré d’une boîte, il ne s’est jamais rien passé entre Léon Semmeling et Brigitte Bardot, Martin Lippens n’essayait pas d’être plus tatoué que Nico Dewalque, la femme de Wilfried Puis n’était pas une WAG, Jacky Beurlet n’a jamais fait de disque avec Salvatore Adamo, Jean Trappeniers ne fut pas mannequin, Jean Nicolay n’a jamais tourné pour Jean-Luc Godard… Alors ? Si tous ces mots soulignés signalent ce dont la presse footballistique de mon enfance ne parlait pas ou parlait peu, de quoi pouvaient bien parler mes journaux d’alors ? De foot !l

par bernard jeunejean

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