« Que des vendeurs de frites ! »

L’ancien meneur de jeu des Zèbres va encore au stade. Davantage pour voir ses amis que du spectacle.

Châtelineau, faubourg de Charleroi. 12 heures. La porte s’ouvre. Bienvenue dans l’univers de Georget Bertoncello, élu Zèbre du Siècle en 2004. Car il s’agit bien d’un univers. La cheminée regorge de souvenirs de son père, mineur au charbonnage de Goutroux. Casques, lampes, photos souvenirs. Au mur, c’est le passé de footballeur qui ressurgit. Une peinture de lui et son fils en maillot zébré. Du temps de sa splendeur. Une autre peinture d’un Zèbre et quelques photos sous cadre. Dont celle représentant l’épisode le plus fameux de sa carrière : son exclusion au RWDM par l’arbitre FredDelcourt pour s’être assis sur le ballon en guise de protestation.

 » Cette exclusion a fait ma publicité. On m’en parle encore aujourd’hui. Quand je vais au foot voir mon petit-fils jouer, j’entends des parents dire à leur gamin – C’est Berto. Le Zèbre du siècle. Celui qui s’est assis sur le ballon. Les gamins répondent alors – Ah oui. L’histoire que tu m’as racontée ! Tu te rends compte. Cette anecdote est passée à la troisième génération. Je me souviens très bien de ce match. Le RWDM allait être champion. Les fleurs et le champagne étaient déjà dans le couloir mais d’une frappe magistrale, Bobby Böhmer nous avait donné l’avance. Puis, l’arbitre avait sifflé un penalty cadeau aux Molenbeekois. Quand il a fallu remettre la balle en jeu, en signe de protestation, je me suis assis dessus. Le score est resté 1-1 et Molenbeek a dû attendre une semaine pour fêter son titre. Le lendemain, Böhmer râlait sec. On n’évoquait que mon geste. Personne ne parlait de son but phénoménal.  »

Et puis, il y a le coin Johnny Hallyday. Une réplique du chanteur, une photo de lui. Et des souvenirs :  » Je me souviens de son passage au Palais des Expositions. On est arrivé en retard car on avait joué contre Liège. Ezio Bucci, le supporter au parapluie, était monté sur scène pour dire que le Sporting avait gagné, but de Berto. Johnny se demandait ce qui se passait. On avait même voulu me le présenter. Mais j’étais trop gêné.  » La légende a donc sa propre idole. Son fils ainé s’appelle Johnny et à chaque réveillon, la nouvelle année s’ouvre avec une chanson du rockeur français :  » Quoi, ma gueule… C’est ma préférée.  »

Un univers. Un accueil.  » Si tu viens, viens à midi pour manger un spaghetti.  » La table est prête. Le vin italien arrive.  » Il est tiré. Il faut le boire.  » Les souvenirs et les commentaires défilent. Lui, le symbole du footballeur un peu trop gros mais avec une vitesse et surtout une technique hors du commun sait raconter sa propre histoire.

 » Plus que de marquer ou de donner une passe décisive, ce qui m’intéressait dans le football, c’était faire des petits ponts aux adversaires. Je prenais beaucoup de plaisir et j’en faisais cinq par matches. Uniquement pour amuser la galerie. Un jour, contre Bruges, j’étais opposé à Fons Bastijns. Je lui ai mis plusieurs petits ponts. Après l’un d’eux, j’ai pris la balle en main et je lui ai donné en lui disant – Va apprendre à jouer au football. Evidemment, c’est après moi que l’arbitre en a eu.  »

Bertoncello plus vrai que nature. Sans doute un des attaquants les plus convoqués par la chambre disciplinaire de l’Union belge :  » Mais je m’en sortais toujours sans rien. Mon argumentaire était toujours le même : je n’ai touché personne. Dans le fond, ils le savaient. Alors que moi, je pouvais faire le bilan de mes blessures : orteil cassé, métacarpe cassé, tendon d’Achille sectionné. « 

A 66 ans, la verve est toujours autant présente. La santé un peu moins. Berto sort d’une opération à la colonne vertébrale. Quelques vertèbres tassées après avoir voulu montrer à son petit-fils qu’il avait encore de beaux restes. Et quand sa colonne remise à neuf le laisse tranquille, ce sont ses genoux qui le tracassent. Mais la gouaille continue à fonctionner. Alors tout va bien.

 » Qu’on ne vienne pas me dire que Demol a arrêté à cause de sa santé « 

Si Bertoncello se montre loquace lorsqu’il évoque sa carrière, le verbe se fait plus disert quand on lui parle du Sporting :  » C’est bien simple : y’a plus rien à voir. Un désert. A part Cyril Théréau et Cyprien Baguette, tous des marchands de frites.  » Il s’est rendu au stade quatre fois avec ses petits-fils. Là, il y retrouve ses vieux camarades, Daniel Mathy, Maurice Jamin, Jean-Marie Termolle…  » On ferme le stade et puis, on descend en ville. Cela se termine à 3-4 heures du matin. Maintenant, je prends un Bob parce qu’avec tous ces contrôles de police…  »

Oui mais le Sporting actuel ?  » Je ne vais pas être méchant mais je ne comprends pas tous les choix de l’entraîneur. Grégory Christ est assez souvent sur le banc. Or, je n’ai plus vu un aussi bon dribbleur depuis Rik Coppens. On critique beaucoup Théréau mais on le laisse tout seul devant. Il doit courir, arracher les ballons, tout faire tout seul et en plus, il faudrait qu’il les mette tous au fond. Faut pas exagérer. Mais c’est vrai que s’il avait mis toutes ses occasions, il en serait à 40 buts. Pour le reste, tu peux tout jeter. Si j’étais entraîneur, la moitié de l’effectif ne jouerait plus. Ils se prennent pour des grands joueurs mais avant d’avoir le gros cou, il faut démontrer sur le terrain que tu es un grand joueur. Tous les caïds du vestiaire : dehors ! Je l’ai dit à MogiTu liquides tout cela sinon tu es mort et il m’a répondu – Ce n’est pas facile. Récemment, j’ai demandé à Pierre-Yves Hendrickx comment il voyait la fin de saison, il m’a répondu – Je ne la sens pas. Je lui ai répliqué – Tu es secrétaire du club et tu ne la sens pas ? Il m’a alors dit – Ce n’est plus comme à ton époque. Aujourd’hui, tu dis quelque chose aux joueurs, ils n’écoutent plus.  »

Les mots n’épargnent pas les joueurs. Encore moins Tommy Craig :  » Moi, tout ce que je vois, c’est qu’il n’a ré fait ( NDLR : en wallon). Sur un match, il a failli faire descendre le Sporting. Lequel ? Celui contre le Standard. Si tu ne vois pas, après être revenu à 2-2, que tu dois gagner du temps et faire un changement, il ne vaut mieux pas entraîner. Faut dire que je ne suis pas fan des entraîneurs étrangers au Sporting. Ils ne comprennent rien au club. Moi, j’en ai connu un, Georges Sobotka. Un Tchèque. Il ne m’aimait pas. Mais je me suis obligé à casser la baraque pendant toute la saison 1968-1969 juste pour l’emmerder. Stéphane Demol, c’était quand même pas mal, non ? Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il a arrêté à cause de sa santé. Il y avait une raison plus grave qu’on ne connaîtra jamais.  »

Reste alors la stratégie de la famille Bayat. Et là, la mesure prend le dessus sur l’émotion.  » Tu n’aurais pas eu les Bayat, Charleroi serait devenu le premier Mouscron.  » L’argument a déjà servi. Il est usé, trop facile mais dans la bouche de Berto, il a une autre saveur :  » Quand on est Zèbre de naissance, on ne sait pas oublier ce club. Je ne comprends pas ceux qui disent qu’ils préfèrent qu’on rejoigne la D2. La D2, c’est inutile. Ce sont principalement des jeunes, des gens qui n’ont pas de mémoire. Moi, je n’oublie pas que les Bayat ont sauvé le Sporting. Ils doivent juste faire leur mea culpa car ces derniers temps, des erreurs, ils en ont commises.  »

A commencer par ce passage du président à Studio 1 :  » Cela m’a fait rire mais je trouve qu’il s’est bien défendu. Il n’avait pas tout à fait tort. Je lui reproche surtout des petites phrases. Pourquoi dire que tu vises le top-6 avec cette équipe ? Il ne fallait rien dire du tout. Il ne faut pas allumer le feu. Cette équipe ne sait pas viser autre chose que le maintien. Il y a trop d’individualistes. C’est clair que cette politique ne peut pas durer. Si tu reviens au mois d’août avec la même formation, sans avoir transféré un ou deux calibres, le stade sera vide. Il y aura plus de monde à l’Olympic.  »

Les play-offs 2 ?  » Ce sont des matches amicaux.  » Et Berto de fustiger le manque de visibilité de la direction :  » Il n’y a plus de projet, ni de vision et il n’y en aura plus jamais.  »

 » On ne peut plus faire la fête. Il y a trop de fric en jeu « 

Entre le Sporting de son époque et l’actuel, il ne voit aucune ressemblance :  » On dit que le football est plus physique maintenant. On dit cela quand on ne sait pas jouer. De mon temps, on ne ceinturait pas, ni tirait le maillot. Et le pire, c’est que les arbitres acceptent. Mbark Boussoufa prend des cartes jaunes mais il a raison. C’est le défenseur qui fait la faute, pas lui. Je me souviens de ma fracture du tendon d’Achille. C’est Nico Dewalque qui avait commis la faute. Je lui avais juste dit – Quand tu viens à Charleroi, ne joue pas sinon la mafia italienne te descendra. Il n’a pas joué ( Il rit).  »

S’il le pouvait, il rechausserait vite les crampons :  » J’ai arrêté à 35 ans. Aujourd’hui, si tu me donnes 33 ans, en deux ans je suis milliardaire. Tu rigoles ? Moi pas. Avec des joueurs pareils, ce serait trop facile. Quand je vois les occasions ratées par certains, je me dis que tu alignes Charly Jacobs, même à 40 ans, il t’en met 30 par saison. Cependant, j’avoue que le contexte a changé. A Charleroi, les meilleures équipes sont celles qui faisaient la fête. Que ce soit celle de mon époque, ou celle des années 90 mais aujourd’hui, un tel comportement n’est plus possible. Il y a trop de fric en jeu.  »

Il enfile les anecdotes, parle de l’école des jeunes.  » Au Sporting, il y a 17 équipes de jeunes et il n’y en a aucun qui perce. Pourquoi ? Parce que les entraîneurs sont des pavés qui ont joué dans des prairies à Soleilmont ( NDLR : un quartier entre Charleroi et Gilly). Tous des marchands de frites. Seule la Réserve se débrouille bien. C’est normal : elle est entraînée par un vrai entraîneur, Tibor Balog. Lui, il connaît son métier. Il n’a pas le gros cou. Et d’ailleurs, on peut se demander, alors qu’elle est deuxième au classement, pourquoi on ne fait appel à aucun de ces joueurs-là en Première.  »

La bouteille est vide. L’horloge a tourné. En partant, il va dans son armoire et en ressort un cadeau, une feuille plastifiée, signée de la main de Berto, en souvenir du Zèbre du siècle.  » La prochaine fois, tu reviens pour goûter la polenta.  » Promis.

par stéphane vande velde – photos: reporters

« Si Craig, contre le Standard, ne voit pas qu’il doit faire un changement à 2-2, il vaut mieux ne pas entraîner. »

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