Quasi sauvés

L’apôtre est, à la surprise générale, intouchable au Tondreau.

Chien méchant! L’écriteau figure en bonne place sur la façade de la maison que Thaddée Gorniak et son épouse retapent patiemment, à deux pas du centre de Mons. Mais, quel chien méchant? Le toutou des lieux n’a rien d’un fauve. Et le propriétaire est doux comme un agneau…

Thaddée: un prénom inhabituel. L’arrière droit des Dragons n’en connaît pas d’autre. Ses parents, originaires d’une Pologne très chrétienne, l’ont choisi il y a 26 ans en référence à Jude, un des 12 Apôtres que les évangélistes Mathieu et Marc avaient surnommé Thaddée.

Gorniak, c’est la révélation de Mons. Considéré comme huitième roue de la charrette en été, il n’a pas raté une seule minute du premier tour. Un seul autre joueur de cette équipe a réussi le même exploit: Eric Joly. C’était prévisible pour le Français, mais complètement inattendu pour Thaddée Gorniak. Une fois la montée acquise, il eut même l’impression qu’il ne s’éterniserait pas au Tondreau. Ses statistiques ne plaidaient pas pour lui: une blessure l’avait privé de tout le deuxième tour, la saison dernière. Et il ne joua pas le tour final. Marc Grosjean lui expliqua qu’il comptait sur lui, mais Gorniak ne voulut pas lâcher la proie pour l’ombre: il a conservé un boulot administratif à la Province.

« Je travaille des demi-journées quand nous n’avons qu’un entraînement, ainsi que le mercredi, notre jour de congéau club « , explique-t-il. « Mais je n’arrive pas toujours à 19 heures par semaine et, comme il y a malheureusement une pointeuse au bureau, je suis parfois obligé d’aller bosser une heure ou deux avant l’entraînement du matin ».

Ce job l’a libéré d’un monde de l’enseignement qu’il n’est pas loin de considérer comme un enfer. « Je suis régent en histoire et géographie: un mauvais choix. Si c’était à refaire, je ne me lancerais certainement plus dans ces études. Une fois débarqué dans le milieu scolaire en tant que prof, j’ai compris que ce n’était pas pour moi. Je n’ai pas assez d’autorité naturelle. Je me suis retrouvé dans une école technique où il n’y avait pour ainsi dire que des enfants à problèmes, des gosses qu’on plaçait là parce qu’ils avaient tout raté ailleurs. Les parents ne s’en occupaient plus vraiment. Et tout cela retombait sur la tête des enseignants. Sur un total d’une cinquantaine de profs, il y en avait chaque jour huit ou neuf en maladie. Comme je n’ai pas un caractère de gendarme, j’ai aussi sombré. C’est marrant: parmi les 20 copains qui ont obtenu leur diplôme en même temps que moi, il n’y en a plus que deux ou trois qui enseignent. Il y en a même un qui a fait une solide dépression: un costaud, pourtant, un type qui avait énormément de prestance. Lui non plus n’a pas tenu le coup. Les mentalités ont terriblement évolué au cours des dix dernières années et il faut s’accrocher pour encore aimer le métier de prof ».

« J’avais besoin de temps mais Grosjean n’en avait pas »

Il serait logique que Mons propose prochainement à Thaddée Gorniak un contrat lui permettant de se concentrer à fond sur le foot. Son bail actuel n’expirera qu’en 2005, mais rien n’empêche la direction d’en revoir les clauses financières. Le back droit en est conscient et compte sur un effort de ses employeurs.

 » Jean-Claude Verbist a dit récemment que certains contrats de D2 seraient adaptés. Il visait les joueurs qui donnent satisfaction et je suppose que j’en fais partie. Pour le moment, ce que je gagne n’est pas bien lourd, mais je peux comprendre. Personne ne m’attendait dans l’équipe. La saison dernière, j’ai mal soigné une blessure aux adducteurs. Une erreur de jeunesse. Les médecins et les kinés m’avaient demandé de patienter mais j’ai forcé. Je suis finalement resté quatre mois sans jouer. Marc Grosjean ne me connaissait pas du tout quand il a débarqué. Il avait deux arrières droits en vue: Sébastien Nottebaert et Chemcedine El Araichi. Ils étaient tous les deux suspendus pour les premiers matches de championnat, mais le coach avait une solution de remplacement: Olivier Suray. Je n’étais donc que le quatrième choix. Ma chance, ce fut la blessure d’Olivier, une semaine avant le début de saison. A ce moment-là, je n’avais encore commencé qu’un seul de nos dix matches amicaux. Le reste du temps, je devais me contenter ici et là de quelques minutes. Quand Olivier s’est retrouvé à l’infirmerie, Grosjean m’a fait jouer notre dernier match de préparation. J’étais dans l’équipe à Beveren lors de la première journée, puis je ne l’ai plus quittée. J’ai eu beaucoup de chance: s’il n’y avait pas eu de blessures ou de suspensions, on n’aurait peut-être pas parlé de moi et Mons chercherait aujourd’hui à me refiler à un autre club ».

Gorniak n’en veut pas à Grosjean de ne pas lui avoir fait confiance pendant l’été. « J’avais besoin de temps pour retrouver mon rythme, mais l’entraîneur n’en avait pas. Avec tous les nouveaux joueurs, il devait chercher un semblant d’équipe type le plus vite possible. Je le comprenais, mais je me suis quand même posé beaucoup de questions. Je me suis même demandé pourquoi le club m’avait conservé. Je ne savais plus ce que je faisais à Mons. A Beveren, j’ai sombré comme toute l’équipe. Mais il n’y avait pas 36 solutions de remplacement et je suis resté dans le 11 de base la semaine suivante. Tout s’est bien enchaîné et j’ai pris confiance. A vrai dire, je n’ai craint qu’une seule fois de perdre ma place: après la défaite à Gand, je me suis demandé si l’entraîneur n’allait pas faire l’un ou l’autre changement. Mais il a prouvé qu’il n’aimait pas changer pour changer et j’ai alors compris que j’avais déjà gagné un certain crédit. Olivier Suray est resté plusieurs semaines sur le banc alors qu’il était complètement rétabli: Grosjean me prouvait ainsi qu’il m’estimait. Et j’ai trouvé la réaction d’Olivier fantastique. Il m’a mis en avant et a déclaré que je méritais de conserver ma place. Avec tout son passé, il aurait pourtant pu dire: -Maintenant, je suis guéri, on doit me mettre dans l’équipe« .

« Je participe aux actions et c’est crucial »

Avec ses 174 centimètres, Thaddée Gorniak a parfaitement trouvé son rôle dans l’équipe de Mons. « Je suis barré pour un poste dans l’axe de la défense. La petite taille, chez nous, c’est génétique. Je joue avec mes qualités. L’entraîneur me permet d’être offensif quand l’occasion se présente et j’en profite. Je monte chaque fois que je vois une ouverture et je me retrouve régulièrement près du rectangle adverse. Dans notre équipe, tout le monde a le droit de participer à la construction du jeu et c’est important. Chez certains adversaires, il y a des défenseurs qui ne quittent jamais leur camp: cela doit être frustrant de voir ses copains donner des assists ou marquer, mais d’être obligé de rester derrière. Dans ces cas-là, on n’a pas l’impression de participer tout à fait aux victoires. A Mons, Dennis Souza se retrouve fréquemment en zone de conclusion, Liviu Ciobotariu va mettre sa tête sur les phases arrêtées et Mustapha Douai aime aussi se porter dans le rectangle ».

Mons pourra-t-il signer un deuxième tour aussi brillant que le premier? Ce sera difficile si on se dit que le jeu de cette équipe a été correctement analysé par tous les adversaires. Gorniak tient toutefois un autre raisonnement. « Pour l’entraîneur, nous ne sommes pas encore sauvés. Il dit qu’il nous faudra 36 points pour être définitivement rassurés. Nous n’en sommes plus très loin. Et, dès le moment où nous pourrons considérer que notre avenir est à coup sûr en D1, je prévois que nous serons encore plus libérés. Une fois qu’il n’y aura plus aucune pression sur notre équipe, nous devrions être encore plus efficaces ».

Pierre Danvoye

« Suray aurait pourtant pu exiger sa place… »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire