» QUAND TU VOIS MESSI JOUER, TU TE DIS QUE DIEU A CHOISI SON CAMP « 

Cinéaste et consultant à La Tribune, Stephan Streker sera également de la partie lors du prochain EURO. Rencontre avec celui qui a fait tourner Albert Cartier dans l’un de ses films et pour qui le RWDM et Johan Cruijff représentent le nirvana.

C’est quoi ta première émotion foot ?

STEPHAN STREKER : C’est quand j’allais voir les matches du RWDM, enfant, sur les genoux de mon père. Ma passion a commencé l’année du titre en 1975 et j’ai vu quasiment tous les matches à domicile. En tant que supporter, les choses que tu éprouves dans l’enfance te portent toute ta vie. Mon joueur préféré est Johan Cruijff parce que l’équipe nationale de Hollande a fait une Coupe du Monde extraordinaire en 1974. C’est quelque chose qui ne bougera plus. Le RWDM plus Johan Cruijff, c’est pour moi le nirvana absolu.

En plus, le foot m’a permis de communiquer avec mon père parce que je ne pense pas qu’il y avait beaucoup de façons aisées de communiquer avec lui : le foot a été un langage commun. Ce que j’adore dans le foot, c’est que quand tu tombes sur quelqu’un que tu ne connais pas mais qui connaît bien le foot, c’est un raccourci pour communiquer extraordinaire. Souvent, rien qu’avec ce qu’il aime, tu sais à qui tu as affaire. Par exemple, mon joueur actuel préféré c’est Pirlo. Quand tu dis ça, ça vaut un bouquin pour expliquer qui tu es.

Tu as joué toi-même ?

STREKER : Oui, mais je n’étais pas très très bon. En plus, je n’étais pas très dur au mal et le fait que je ne sois pas le joueur que j’aurais rêvé être était à la fois une souffrance et un complexe à l’époque. Surtout dans le regard de mon père. Il y a une forme d’injustice terrible que le foot célèbre, c’est le talent. Tous les grands joueurs sont là grâce à un nombre de qualités incroyables et le talent n’en est qu’une partie. Ils travaillent, ils ont un mental très fort, de l’exigence par rapport à eux-mêmes mais il y a aussi le talent. C’est un des trucs les plus injustes au monde. Quand tu vois Messi jouer, tu te dis que Dieu a choisi son camp.

Comment tu vois le retour du RWDM ?

STREKER : On est supporter à vie du même club. Et c’est très rare les choses dont on ne change pas. Les gens divorcent, changent de maison, de voiture, d’amis mais le club de son coeur il n’y en a qu’un. Le RWDM réexiste et la seule chose qui m’intéresse ce sont les autres supporters que je ne fréquenterais plus s’il n’y avait pas ça. Toute une série de gens que je ne vois jamais en dehors. Ce qu’il y a de plus admirable dans l’aventure du RWDM, ce sont les supporters eux-mêmes, cette fidélité. A la limite, je dirais que c’est ce qui me touche le plus dans le foot. Il y a un côté à la fois tout à fait désintéressé, premier degré et pur qui me plaît beaucoup. Certains défauts que l’on peut avoir dans la vie, si c’est un supporter, ce n’est pas grave. Un gars de mauvaise foi, c’est casse-couilles. Un supporter de mauvaise foi, c’est normal. Je les aime pour ça.

Comment tu t’es retrouvé dans le rôle de consultant ?

STREKER : Je n’ai jamais demandé quoi que ce soit à qui que ce soit. En février 2013 sort mon long métrage Le Monde nous appartient dans lequel il y a un peu de football. Je suis invité par Stéphane Pauwels, que je ne connais pas, pour parler du film à la radio. Je suis resté toute l’émission, qui dure trois heures, et j’ai donné mon avis sur les sujets foot évoqués. Stéphane m’a proposé de revenir de temps en temps puis finalement tous les dimanches. Après, il y a eu l’émission Café Brazil puis des passages au JT de RTL pendant l’EURO et c’est comme ça que Michel Lecomte m’a vu et m’a contacté pour que je rejoigne la RTBF pour La Tribune et les Diables Rouges.

Tu ne viens pas du foot, tu es atypique comme consultant. Tu es d’accord si je dis que tu as un côté romantique ?

STREKER : Oui, c’est vrai mais j’ai surtout un rôle libre. Michel (Lecomte, ndlr) et Benjamin (De Ceuninck, ndlr) insistent vraiment sur le fait que je sois le plus spontané possible. Je m’impose de voir tous les matches mais je ne prépare rien. Michel m’a même déconseillé de lire la presse pour conserver cette liberté de dire ce que je pense. Concernant le fait que je ne sois pas un ancien footballeur, ça me coûte : il y a des choses que je rate. Mais ça me sert : il y a des choses que je vois mieux. Un sage asiatique a dit :  » Quand on est sur la montagne, on ne voit pas la montagne « . Moi, je ne suis pas sur la montagne, donc je la vois un peu différemment.

Tu vois des similitudes entre le foot et le cinéma ?

STREKER : Je vois surtout une grosse différence. Dans un stade, si tu as 10 000 spectateurs, il y a 10 000 coaches. Dans une salle de cinéma de 1000 places, il n’y a pas 1000 réalisateurs. Les gens, quand ils voient un film, ils disent si ça leur a plu ou pas mais, sauf s’ils sont critiques de cinéma, ils ne disent jamais ‘A la 73e minute, il fait un travelling arrière, quelle folie ! J’aurais fait un plan fixe’. Alors qu’au foot, on dira ‘il a sorti untel, il aurait plutôt dû faire ça’. Tout le monde a un avis qu’il estime pertinent.

C’était une évidence de parler de foot dans ton film  » Le monde nous appartient  » dans lequel joue notamment Albert Cartier ?

STREKER : Oui, parce que ça m’amusait d’être fidèle à quelque chose. Le foot est très mal montré au cinéma et les gens qui connaissent vraiment le foot trouvaient très bien la manière dont je l’ai traité. Mais maintenant c’est fait, je ne le ferai plus. Il n’y a pas de foot dans  » Noces « . Albert, c’est un acteur extraordinaire. Les coaches font du cinéma : ils veulent faire croire à l’arbitre qu’il n’y a pas faute alors qu’ils savent très bien qu’il y en a une. S’ils sont capables de le reproduire devant une caméra, il y a une sorte de vérité qui ressort. Olivier Gourmet trouvait d’ailleurs qu’Albert était un acteur fantastique. Il était intéressant à filmer avec ses excès et son allure de tribun par rapport à d’autres coaches qui sont moins cinégéniques. Hein Vanhaezebrouck l’est aussi. Il est intéressant avec sa coiffure bizarre. Quand il y a une vrai part de mystère, c’est intéressant.

PAR JULES MONNIER

 » Un gars de mauvaise foi, c’est casse-couilles. Un supporter de mauvaise foi, c’est normal.  » STEPHAN STREKER

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