» Quand tu joues à Liverpool, tu dois accepter les critiques « 

Après quelques semaines compliquées, le portier de Liverpool s’est ressaisi, au point d’apparaître actuellement comme un des maillons forts d’un club en pleine bourre. Nous l’avons rencontré au centre d’entraînement des Reds.

Melwood, le centre d’entraînement de Liverpool n’est indiqué nulle part. Situé dans la banlieue est de la ville des Beatles, il se niche dans un quartier résidentiel. Un long mur gris, pas trop élevé, le ceinture. Par mesure urbanistique, il n’a pas pu être construit trop haut, permettant aux caméras de télévisions britanniques munies d’un pied de filmer les séances d’entraînement, au grand dam des Reds. Le club a bien tenté d’expulser les contrevenants mais ceux-ci se sont retournés alors vers les habitations voisines dont l’étage a vue sur les terrains.

C’est là que nous attend Simon Mignolet. Les consignes du club sont assez strictes pour les photos. Le hall. Point barre. Mignolet acceptera cependant de sortir dans le froid pour poser devant la façade. Quant au joueur, c’est un modèle d’éducation et de professionnalisme. Il arrive pile à l’heure au rendez-vous. Même si sa séance d’entraînement a été déplacée du matin à l’après-midi en dernière minute, il assure sa présence. Il ne se dérobe pas face aux questions plus compliquées et accepte d’évoquer ses quelques semaines plus compliquées.

Aujourd’hui, il a magnifiquement rebondi et reste sur un début d’année 2015 exceptionnel. Comme son club d’ailleurs qui, largué en championnat au début de l’hiver, est revenu dans le coup et paraît même le mieux armé pour décrocher la 3e place derrière les intouchables Chelsea et Manchester City.

Dans ta saison, il y a les dernières semaines compliquées de 2014 et un début 2015 euphorique. As-tu vécu la partie la plus noire de ta carrière ?

SimonMignolet : Non, je ne vais jamais dire que ce fut la période la plus difficile de ma carrière. Il y a toujours des moments où ça tourne moins bien. Mais c’est vrai que j’ai été déçu quand l’entraîneur m’a dit avant le match contre Manchester United que je n’allais pas débuter. D’abord parce que c’était contre United, à Old Trafford, et que j’ai toujours envie de jouer ce genre de rencontres ; ensuite parce qu’outre notre élimination en Ligue des Champions contre Bâle, j’avais gardé ma cage inviolée les deux matches précédents en Premier League. J’espérais ma mauvaise passe terminée et voilà que je me retrouvais sur le banc. Je me suis remis en question mais directement après, j’ai préféré penser positif et profiter de cette épreuve pour revenir plus fort. Heureusement, ça n’a pas duré trop longtemps. Manchester United, c’était le 14 décembre et le 26, je retrouvais mon poste contre Burnley. Et depuis lors, j’ai disputé de bons matches, on a gardé le zéro à de nombreuses occasions (NDLR : 10 fois depuis le 26 décembre dont 7 fois en championnat), j’ai été décisif par mes arrêts et on a pris beaucoup de points. Je suis satisfait de la manière avec laquelle j’ai répondu après ma mise à l’écart.

 » Chaque jour, dix transferts potentiels sont évoqués. C’est le lot des grandes équipes  »

N’as-tu pas craint le timing, à seulement deux semaines de l’ouverture du mercato ?

Pas spécialement. Quand une chose pareille se produit à Liverpool, tous les journalistes pensent que c’est la fin pour toi. Moi, je n’ai jamais réfléchi de la sorte. Je suis un homme positif. J’ai voulu me servir de cette période comme remplaçant pour me calmer, me reposer et revenir plus fort. Et c’est exactement ce qui s’est produit.

C’était pourtant la première fois que tu recevais autant de critiques…

… (Il coupe) Non, ce n’est pas vrai. A Saint-Trond, après ma première saison et la relégation du club, les dirigeants s’étaient déjà dit qu’ils devaient prendre un gardien expérimenté pour remonter en D1. Ils avaient alors acheté Tom Muyters. Finalement, j’ai joué, gagné le championnat, et suis devenu un héros aux yeux des supporters. A Sunderland, lors de ma première saison, j’ai débuté puis cédé ma place à Craig Gordon qui revenait de blessure, puis retrouvé ma place. Mais à l’intersaison, le club a acheté Keiren Westwood (NDLR : aujourd’hui gardien de Sheffield Wednesday) ; tout le monde pensait qu’il allait jouer. Ce ne fut pas le cas. Ici, aussi, après ma mauvaise passe, tout le monde a cité untel ou untel pour me remplacer – on a bien évoqué 50 gardiens – et finalement, j’ai retrouvé ma place.

Et comment as-tu vécu le fait de lire chaque semaine dans les journaux le nom d’un remplaçant potentiel ?

A Liverpool, il faut accepter cela. Chaque jour, dix transferts potentiels sont évoqués dans les journaux. C’est le lot des grandes équipes.

Dernièrement, tu as convoqué la presse anglaise pour expliquer comment tu avais remonté la pente et tu as avoué avoir fait un travail spécifique mental…

Je me rendais compte que ça n’allait pas puisque j’étais écarté de l’équipe. En foot, tu peux toujours t’améliorer et c’était la seule chose que je pouvais faire pour remonter la pente. Après le match contre Burnley, lors duquel j’avais retrouvé ma place mais où j’avais eu une approximation, j’ai discuté avec ma femme. Je lui ai dit que peut-être il fallait changer quelque chose dans mon approche et elle m’a alors répondu que je réfléchissais trop. Le même jour, le staff m’a dit la même chose en analysant le match de Burnley !

Qu’est-ce que cela signifie de réfléchir trop ?

A Burnley, par exemple, alors que j’avais réalisé un bon match, cela s’était remarqué à deux moments : un ballon en retrait que je veux dégager mais où j’attends trop. La deuxième fois, alors que je voulais chercher un homme démarqué et que j’ai réfléchi trop longtemps, le ballon avait filé en corner. Il fallait essayer de jouer de manière plus naturelle, instinctive. Et ce même si la réflexion n’a pas que des côtés négatifs : c’est parce que je réfléchis beaucoup que je n’ai jamais pris de cartons rouges sur un terrain.

 » Je ne suis pas du genre à acheter une Ferrari sur un coup de tête  »

Et comment es-tu arrivé, alors que tu es réputé pour être un homme posé et réfléchi, à mettre ce trait-là de côté ?

C’était le grand problème. Car dans la vie de tous les jours, je suis quelqu’un qui pense à beaucoup de choses, qui réfléchit beaucoup. Je ne suis pas du genre à acheter une Ferrari sur un coup de tête. A chaque truc que je fais, je pèse le pour et le contre. Mais sur le terrain, on n’a pas le temps pour cela. J’ai travaillé avec le psychologue, Steve Peters, qui a notamment bossé avec Bradley Wiggins. Il m’a aidé à changer mon approche, à ne pas penser pendant le match. Je ne pourrais pas vous expliquer sa méthode qu’il nous enseigne depuis trois ans parce qu’il faut la comprendre dans son ensemble pour voir le petit détail qu’il a modifié. Dans mon cas, je l’ai vu une fois, seul à seul, et ça n’a duré qu’une trentaine de minutes.

Comment réagissais-tu face à toutes ces critiques ?

Il faut accepter cela quand tu joues pour une équipe de pointe comme Liverpool. Si tu aimes les grands matches et la pression, tu dois pouvoir passer au-dessus des critiques. Je suis en tout cas content de ne jamais avoir réagi dans la presse ! (Pause) Et puis, comme gardien, tu dépends toujours de l’équipe aussi. Si tu gagnes 2-1 et que tu fais un arrêt décisif, tout le monde va se souvenir de cet arrêt. Mais si tu perds 1-0 avec cinq arrêts, personne ne va se rappeler ces arrêts. Et c’était le cas durant cette période : on ne gagnait pas.

Et les critiques de Bruce Grobbelaar, ancien gardien mythique ici, de 1981 à 1994 ?

Cela ne change rien, que ce soit un gardien ou pas. Il faut accepter, c’est tout. Et la roue tourne. Aujourd’hui, j’ai lu des critiques positives de Ray Clemence (NDLR : autre gardien légendaire qui joua à Liverpool de 1967 à 1981). Les unes ne viennent pas sans les autres. Chacun a son opinion. Moi, je n’attends pas les critiques des gens pour faire mon autocritique. Je suis mon premier critique.

Est-ce que tu t’es posé la question de savoir si tu avais le niveau d’abord de Sunderland puis de Liverpool ?

Non, j’ai toujours cru en moi.

En 2015, statistiquement, tu es le meilleur gardien d’Angleterre !

Oui, c’est vrai. Mais ce qui importe, c’est que l’équipe marche bien. On est encore en course en FA Cup et pour la 3e place en championnat. Dommage cette élimination à Besiktas…

Peut-on dire que Liverpool a éprouvé beaucoup de difficultés à se remettre du départ de Suarez ?

Ce n’est pas seulement à cause de son départ qu’on a connu une mauvaise période. Il y avait aussi les méformes, les blessures, notamment de Daniel Sturridge. Finalement, le plus important, c’est qu’on peut encore lutter pour des prix au mois de mars.

 » Sterling et Coutinho vont marquer l’histoire du club  »

Mais l’année passée, à la même époque, vous luttiez pour le titre…

Oui, mais il s’agissait d’une saison sans Ligue des Champions, sans Europa League, on était déjà éliminé en FA Cup.

Est-ce que l’équipe a subi le contrecoup de ce titre 2013-2014 loupé dans les derniers matches ?

Je ne sais pas. On a débuté la saison passée en gagnant les trois premiers matches sur le fil (1-0), avec un peu de chance. Cela nous avait lancés et donné confiance. On n’a plus connu cela cette saison.

En quoi le retour de Sturridge fut-il bénéfique ?

C’est un joueur décisif, très rapide, qui marque facilement. Un joueur comme lui sur le terrain modifie également l’approche de l’adversaire. Sa rapidité oblige les défenseurs adverses de reculer, par prudence. Cela procure donc davantage d’espaces aux autres joueurs.

Sterling et Coutinho reviennent à leur plus haut niveau également…

Oui, ce sont deux jeunes qui débordent de qualités. Dans le futur, ils vont marquer l’histoire du club. Coutinho vient de signer son nouveau contrat et Sterling devrait bientôt l’imiter. Comme jeune, on découvre également Jordon Ibe, qui revient de prêt de Derby et qui n’a que 18 ans. Il est très fort. Henderson et Moreno ne sont pas vieux non plus.

Que manque-t-il à Liverpool pour lutter avec Chelsea et City ?

Leur groupe est plus large.

Tu encaisses moins et la défense est devenue plus sûre…

C’est ce que je disais plus haut. Comme gardien, tu es toujours dépendant des autres joueurs.

Est-ce que tes ratés de fin 2014 peuvent être une conséquence d’une déception post-Mondial ?

Non. Mais si on revient en arrière, il y a peut-être une autre explication. J’ai disputé tous les matches à Sunderland lors de mes deux dernières saisons là-bas. Idem à Liverpool. Puis, j’ai disputé la Coupe du Monde. Je n’ai eu que deux semaines de vacances avant de reprendre à Liverpool. Peut-être, y a-t-il eu une petite période de fatigue mentale. Mais je ne cherche jamais des excuses.

Revenons à la Coupe du Monde. C’était un objectif…

… Un rêve !

Mais tu en sors satisfait ?

Je pense qu’on a disputé un bon tournoi.

Et sur le plan personnel ?

Tu joues en équipe !

 » En équipe nationale, cela ne m’aidera pas d’être frustré  »

Mais tu t’es battu pour y aller et pour jouer, non ?

Oui mais tu ne décides pas de tout. C’est l’entraîneur qui choisit l’équipe. La seule chose que je pouvais faire, c’était de tout donner.

Et les rapports avec Courtois ?

On s’entend bien et on travaille bien ensemble. Je donnerai toujours le maximum pour aider l’équipe et le pays.

Au début de ta concurrence avec lui, on te sentait motivé pour lui passer devant…

(Il coupe) C’est encore le cas maintenant.

Tu n’es donc pas résigné à ce statut de numéro deux ?

C’est normal, non ? Je n’ai jamais vu un joueur pro accepter d’être sur le banc.

Mais acceptes-tu davantage maintenant le fait qu’il joue ?

Je le répète : je ne peux que m’entraîner à 100 %. Et le poste de gardien n’est pas le seul poste où il y a de la concurrence.

Il n’y a donc pas de frustration ?

Cela ne m’aidera pas d’être frustré !

Y a-t-il une explication au début de campagne moyen des Diables Rouges ?

Il n’y a plus d’adversaires faciles. Tout le monde nous attend et nous aborde différemment. On sent davantage de respect.

N’y a-t-il pas un début de suffisance dans le chef des Diables ?

Non, je crois qu’on a toujours faim. On veut disputer l’EURO. On a goûté à la Coupe du Monde ; c’était une belle expérience pour ce jeune groupe et on veut jouer un 2e tournoi.

As-tu suivi les problèmes post-Mondial à la Fédération ?

Tu entends ce qui se passe. Mais je ne suis pas dans une position dans laquelle je sais ce qui est vrai ou pas au sein de la Fédération. Ce n’est pas de notre ressort. La seule chose qui nous occupe, c’est le terrain.

Est-ce que cela fragilise l’équipe ?

Non, je ne pense pas. C’est du domaine de l’extra-sportif.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE À LIVERPOOL – PHOTOS : BELGAIMAGE/ BRUNO FAHY

 » Les Diables ? Cela ne m’aidera pas d’être frustré.  »

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