» Quand on joue en Wallonie, on se fait traiter d’enculés… « 

Le président de Genk évoque la Ligue des Champions, le départ de Vercauteren, les chants anti-wallons, l’histoire de la prime de transfert de Courtois et d’autres sujets. L’image limbourgeoise est-elle toujours aussi lisse ?

Seul club belge engagé en Ligue des Champions, Genk se produit ce soir à Leverkusen. Pour un nouvel exploit ? Herbert Houben, le plus jeune président de D1, veut y croire. Avez-vous apprécié la première sortie de votre équipe en Ligue des Champions, contre Valence ?

HerbertHouben : Absolument. L’ambiance était incroyable dans le stade. Et je suis heureux que nous ayons tenu la dragée haute à un grand d’Espagne. Avec un peu de chance, je le concède. On a peut-être témoigné d’un peu trop de respect envers notre adversaire en début de match. On a vu, aussi, que la concentration était un élément très important. Grâce à cela, on a réalisé un partage face à une équipe qui, intrinsèquement, nous est supérieure. Finalement, c’est encore Jeroen Simaeys qui a hérité de la plus belle occasion en fin de match, mais une victoire aurait sans doute était usurpée. Un point, c’est déjà très bien.

Mais ce n’est jamais qu’un point. Le calendrier vous propose désormais deux déplacements délicats, à Leverkusen et à Chelsea. Si la logique est respectée, vous devriez vous retrouver avec un point sur neuf à mi-parcours…

Mais existe-t-il une logique en football ? Le titre de Genk, au printemps dernier, répondait-il à des critères logiques ? J’espère passer l’hiver sur le front européen, tout en sachant que ce sera compliqué. Je table sur cinq points : une victoire lors de nos deux matches européens, et un point en déplacement.

Vous êtes versé dans un groupe très difficile, mais qui ne comporte pas de nom qui fait rêver, comme Barcelone, le Real Madrid ou Manchester United. Vous le regrettez ?

Chelsea, c’est quand même un grand nom. C’est vrai que j’aurais aimé accueillir Barcelone ou l’Inter Milan.

Romelu Lukaku n’a pas été repris sur la liste européenne des  » Blues « . Sa présence aurait conféré un piment supplémentaire au match du 1er novembre…

Cela ne fait pas de différence à mes yeux. Il y a suffisamment de vedettes, attrayantes dans cette formation. Le fait, précisément, que le meilleur joueur du championnat de Belgique n’ait pas trouvé de place dans le noyau européen des  » Blues « , en dit long sur la valeur de Chelsea.

 » On doit surtout travailler sur le long terme « 

Vous entamez votre troisième saison comme président et vous avez déjà tout gagné : le championnat, la coupe, la Supercoupe et une qualification en Ligue des Champions. Une entrée rêvée dans la fonction…

La coupe, je ne la revendique pas. J’avais déjà été nommé président lorsque Genk l’a conquise en mai 2009, mais je ne suis entré en fonction que le 1er juillet. On peut, effectivement, parler d’une entrée rêvée. Avec ce danger : à l’avenir, je ne pourrai faire que… moins bien. Si les résultats immédiats me rendent heureux, mon objectif est surtout de travailler sur le long terme. L’expérience et l’argent que nous rapporteront la Ligue des Champions et la vente de joueurs doivent nous servir à consolider Genk parmi le Top 4 du football belge. On a été champion, c’est bien, mais on doit se donner les moyens de le redevenir à intervalles réguliers.

Car, si Genk fait partie du Top 4, le Racing ne fait sans doute pas encore partie intégrante du Top 3…

Question de tradition, d’histoire, de palmarès. Genk est encore un club relativement jeune. Anderlecht, Bruges et le Standard sont connus aux quatre coins de l’Europe, parce qu’ils participent aux compétitions européennes depuis de longues années. Ce n’est pas encore notre cas.

Cela se voit aussi sur les routes, les jours de match : Bruges recrute ses supporters dans toute la Flandre, le Standard dans toute la Wallonie et Anderlecht dans tout le pays. Genk reste un club essentiellement régional, qui recrute essentiellement ses supporters dans le Limbourg…

On commence à recruter plus large, au fur et à mesure que notre palmarès s’étoffe. Notre champ de recrutement s’étend désormais en direction d’Anvers et du Brabant flamand, et on compte aussi un club de supporters en Flandre-Occidentale. Mais… un seul. C’est peu, je le concède, même si l’on demeure l’un des quatre clubs belges à dépasser la barre des 20.000 spectateurs. Notre rivalité n’est pas encore aussi exacerbée avec les concurrents, non plus. Sans doute parce qu’on ne nous considère pas encore comme un danger constant, seulement comme une menace intermittente. Un supporter d’Anderlecht se considère généralement comme l’ennemi de Bruges et du Standard. Nous restons relativement neutres, nous n’avons pas de véritable ennemi.

Mais cela pourrait changer si vos supporters continuent à chanter des chants anti-wallons…

Je regrette ce comportement. Ce n’est pas bon pour l’image du club. Nous payerons l’amende de 600 euros, nous n’irons pas en appel. Nous exigerons de nos supporters qu’ils ne récidivent pas, mais je tiens à préciser que ces chants sont seulement l’apanage d’une minorité. Ils résultaient d’une certaine frustration après un but annulé. Il y a d’autres manières de manifester sa désapprobation, j’en conviens. Mais, lorsque nous nous rendons en Wallonie, on se fait traiter d’enculés. Ce n’est pas joli non plus. Tout cela, sans vouloir chercher d’excuses.

Ce n’est pas la première fois que cela arrive à Genk. C’était déjà arrivé contre l’Olympic et Tubize…

Exact. Nous ferons en sorte que cela ne se reproduise plus.

Un contentieux est aussi né avec Anderlecht lorsque le Sporting vous a  » piqué  » le jeune Denis Praet et que vous avez réagi en attirant trois jeunes Bruxellois dans le Limbourg…

Le départ de Praet ne nous a pas fait plaisir, c’est clair. Un an plus tard, Anderlecht a reçu la monnaie de sa pièce. Là encore, ce n’est pas joli, je vous l’accorde. Le gentlemen agreement entre clubs belges est parfois bafoué. Mais on doit aussi subir la concurrence de clubs étrangers, qui viennent également puiser très tôt dans notre réservoir. On a perdu des joueurs partis à Lille et à Monaco, par exemple. Et Anderlecht n’a pu empêcher l’un de ses jeunes de partir à Manchester United. Tout n’est pas toujours rose dans le monde du football. La seule réponse que l’on peut apporter, face à la puissance de l’argent, est l’attractivité : la qualité de la formation, l’assurance de pouvoir intégrer l’équipe Première pour les meilleurs…

 » On a perdu trois joueurs et on en a engagé sept « 

Quelles seront les ambitions de Genk pour cette saison ?

Contrairement à d’autres clubs, nous n’avons fixé aucun objectif en termes de place. Certes, le Top 6 (et donc les PO1) est un must. Mais, une fois cet objectif-là atteint, on verra à quoi on pourra prétendre. Il n’y a aucune obligation de nouveau titre, ni de deuxième place synonyme de tour préliminaire de la C1.

Le titre 2011 était totalement inattendu ?

En début de saison, peu de gens auraient misé un euro sur un titre de Genk. Puis, au fil de la saison, on s’est rendu compte que l’on faisait partie des prétendants. Je me souviens que, lors de la réception de Nouvel An, j’ai dit aux joueurs : – Vousn’avezqu’unechose àfaire : vousdonner àfond, etvousserezchampions, maisonnevapasleclamer sur tous les toits ! On garde cette ambition pour nous…

Au bout du compte, chacun s’accordait à reconnaître que le titre de Genk était mérité : Anderlecht avait terminé en tête de la saison régulière, le Standard avait dominé les play-offs mais le Racing s’est montré le plus constant tout au long de la saison…

En effet. Et, ce qui ne gâte rien : on a souvent développé un jeu de très bonne qualité. Je dois toutefois reconnaître qu’on a bénéficié d’un avantage : on n’a pas participé à une compétition européenne et on a été éliminé assez tôt de la Coupe de Belgique. On a donc pu se concentrer sur le championnat et on a eu la chance d’avoir peu de blessés.

Tout ce qui vous a été épargné la saison dernière semble vous tomber dessus cette saison : blessures de Kevin De Bruyne et de Torben Joneleit, départs impromptus de Thibaut Courtois, d’Eric Matoukou et de… Frankie Vercauteren.

Les blessures, on ne peut rien y faire. Et les départs, c’est ce qu’on peut appeler la rançon de la gloire. Lorsqu’on livre de bonnes prestations, on est forcément convoité. On s’attendait à perdre Courtois, mais pas aussi vite : on pensait qu’il resterait encore cette saison. Son départ nous a obligés à recruter dans la précipitation. Mais, d’une certaine manière, on est fier qu’un produit de Genk ait

suscité l’intérêt d’un club comme Chelsea.

Finalement, Genk a limité la casse en ne perdant que trois titulaires…

En effet. Marvin Ogunjimi restera encore jusqu’en décembre, puis partira à Majorque. Mais c’est vrai qu’on n’a pas assisté, à Genk, à la saignée redoutée. S’il y a eu des départs, nous avons aussi accueilli sept nouveaux joueurs. Nous avons investi pour six millions. Chaque poste est pratiquement doublé, avec 26 joueurs dans le noyau A. Contrairement à la saison dernière, il y aura de la rotation dans l’effectif. Ce sera nécessaire pour lutter sur les trois fronts. L’avenir nous dira si un effectif plus fourni nous rendra plus fort. Veiller au bon fonctionnement de cette rotation est la tâche de l’entraîneur.

Le départ de Courtois a causé problème : il a dit que le DG Dirk Degraen avait gardé sa prime de départ sans que vous le sachiez. Votre commentaire ?

Cela résulte d’un malentendu. Comme le départ de Courtois a été impromptu, et a obligé le club à rechercher un autre gardien en toute hâte alors qu’il était prévu qu’il reste encore un an (en prêt) à Genk, le club lui a demandé de laisser tomber les 10 % prévus dans le contrat, mais ce n’est pas Degraen qui a mis l’argent en poche.

Et la somme ?

Elle était prévue par contrat. 10 % sur une somme de 9 millions, cela fait 900.000 euros.

 » Je peux comprendre le choix de Vercauteren « 

Le départ impromptu de Vercauteren est sans doute le plus surprenant…

C’est le moins que l’on puisse dire. Je venais de partir en vacances, lorsque j’ai reçu un coup de fil de Dirk Degraen. Il ne parvenait pas à joindre Vercauteren. Lorsqu’on est finalement parvenu à le contacter, il était à Abu Dhabi. Le timing était particulièrement malvenu, puisqu’on essayait de se qualifier pour la Ligue des Champions. Il avait lui-même décidé qu’on ne pourrait pas parler de transfert avant le 27 août, et puis…

Il nous a dit qu’il aurait pu continuer à travailler avec son staff et les joueurs mais pas avec certains dirigeants !

Ces déclarations lui appartiennent, c’est à lui qu’il faudrait demander plus d’explications. Je n’ai pas de commentaires à faire à ce sujet.

Etes-vous déçu par l’homme ?

Question difficile. Il m’est arrivé, moi aussi, de me trouver dans une situation où l’on me proposait une promotion. Je connais le dilemme que cela représente. Frankie n’avait qu’une semaine pour prendre sa décision. D’une certaine manière, je peux comprendre son choix. Je retiens de Vercauteren qu’il nous a offert le titre, qu’il a rendu nos joueurs meilleurs. Même si les mérites ne lui appartiennent pas seulement, mais à tout le staff. Lorsque son départ a été annoncé, j’ai envisagé de rentrer de vacances, mais après concertation avec le Conseil d’administration, j’ai décidé de ne pas le faire. Frankie avait fait son choix, et il s’agissait surtout, pour Genk, de trouver une solution à son départ.

Au final, deux candidats néerlandais tenaient la corde : Henk ten Cate, qui n’a pas voulu sortir de sa retraite, et Mario Been, qui a finalement obtenu le poste…

Je pense qu’on a reçu entre 40 et 50 candidatures. Le postulant devait répondre à trois critères : 1° Vouloir donner une chance aux jeunes. 2° Avoir du respect pour ce qui a déjà été réalisé à Genk, et ne pas vouloir tout chambouler. 3° Avoir une certaine expérience du haut niveau et un certain vécu des compétitions européennes. Been nous a semblé être la personne qui correspondait le mieux à ce que nous recherchions. C’est un homme très ouvert. Le défi l’intéressait fortement, et comme il était sans club, il aspirait à une revanche. L’attrait de la Ligue des Champions a joué aussi. Il n’y a que 32 entraîneurs en Europe qui peuvent se vanter de participer à l’épreuve reine et on ne refuse pas une chance de faire partie de ce cercle restreint.

Quel genre de président êtes-vous ? Un supporter, un homme d’affaires ?

Je suis sans doute moins volubile que Jos Vaessen, mais j’estime qu’il est nécessaire de préserver la sérénité au sein du club. J’essaie aussi de bien m’entourer, j’évite de prendre les décisions tout seul. Je me considère surtout comme un coach. Si Been est le coach de l’équipe, je suis le coach du club. Mais lorsque j’assiste à un match, j’avoue que je réagis comme un supporter. Lorsqu’on a accueilli Valence, j’étais très fier.

Le même soir, il y avait Barcelone-Milan AC. Vous êtes-vous dit : le petit Genk dispute la même compétition que ces géants ?

Naturellement. Le  » petit  » Genk, c’est tout à fait cela. Mais cela reflète aussi la modestie traditionnelle des clubs belges. Rien que pour cela, c’est sans doute bien d’avoir un coach néerlandais. On connaît l’arrogance de nos voisins du nord. En Belgique, on ne doit pas tomber dans l’excès inverse, mais parfois être davantage conscient de notre valeur.

Le championnat de Belgique a subi une véritable saignée cet été : Boussoufa, Perisic, Witsel, Defour, Lukaku, Carcela et d’autres encore sont partis sous d’autres cieux. La Ligue Jupiler a-t-elle perdu encore un peu plus de sa valeur ?

Sans doute. Et cela risque de se reproduire. Au mieux l’on travaillera en Belgique, au plus l’on perdra de joueurs. On ne peut pas lutter, financièrement, avec certains pays étrangers. Il y a deux manières de percevoir la situation : négativement, en se disant que le championnat de Belgique s’appauvrit d’année en année ; ou positivement, en se disant que c’est le signe qu’on produit du talent dans nos contrées. Je préfère être positif. Et je tiens aussi à souligner qu’on doit faire face à une concurrence déloyale. Prenez l’exemple de Valence. Ce club a un budget de 165 millions d’euros, mais une dette de… 330 millions d’euros. Nous, à Genk, on a un budget de 26 millions et seulement cinq millions de dettes… toutes à long terme. L’Espagne est confrontée à de grosses difficultés économiques, l’Union européenne doit prendre des mesures pour l’aider, mais en football, on rencontre des clubs espagnols endettés jusqu’au cou qui attirent les meilleurs joueurs du monde. Ce n’est pas correct, et il est temps que l’UEFA applique le fair-play financier prôné par Michel Platini.

 » La Ligue Pro doit surtout renforcer ses structures « 

Si vous deveniez le président de la Ligue Pro, que souhaiteriez-vous changer dans son fonctionnement ?

D’abord, je ne suis pas candidat. J’ai suffisamment de travail avec Genk. J’aimerais surtout que la Ligue Pro soit moins focalisée sur le court terme. On se heurte toujours aux réactions des clubs moins bien classés qui ont peur de descendre et qui s’opposent à toute réforme. Et donc, on ne peut pas avoir de vision à long terme, ce qui serait pourtant nécessaire. C’est clair que, pour les clubs concernés, la problématique est énorme : une descente, c’est quasiment la faillite assurée. Je crois qu’il faudrait surtout fixer des exigences plus sévères pour l’accès à la D1 : un club montant qui ne peut présenter un budget suffisant, qui n’a pas les accommodations voulues, qui n’a pas assez de joueurs professionnels ou d’entraîneurs sous contrat, ne devrait tout simplement pas avoir sa place au sein de l’élite.

La formule des 16 clubs avec play-offs recueille-t-elle votre assentiment ?

Un championnat à 16 clubs me paraît un maximum pour la Belgique. Aussi longtemps que d’autres clubs, actuellement en D2, prouvent qu’ils ont les capacités pour intégrer l’élite et y jouer un rôle. Quant aux play-offs : je pense que les PO1 ont démontré, la saison dernière, qu’ils apportaient un plus à la compétition.

Et les droits TV : satisfait ?

Totalement. Un tel contrat est inattendu. L’inconvénient, pour les téléspectateurs, est que plusieurs distributeurs se soient partagés le gâteau. Mais pour les clubs, c’est peut-être un avantage : comme les supporters en  » pantoufles  » ne voient pas tous les matches de leur équipe favorite, ils seront peut-être plus tentés de venir au stade.

Le nouveau président de la Ligue Pro doit-il provenir de l’extérieur du monde du football ?

Pas nécessairement, mais j’estime qu’il ne doit pas être lié à un club. Qu’on le veuille ou non, il y a conflit d’intérêts.

PAR DANIEL DEVOS

 » Je venais de partir en vacances lorsque j’ai eu Dirk Degraen au téléphone : Vercauteren était injoignable…  »  » L’Union européenne doit aider l’Espagne au niveau économique, mais on a affronté un club espagnol qui a 330 millions de dettes. « 

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