Quand Luis mord, c’est pas la poussière !

Dès avant que naisse le mot jogging, je joggais déjà. C’est dire que je me meus dans mon Ardenne depuis pas mal de temps. J’y parcours des bois, des champs, des villages. Dans ces villages errent parfois des chiens pas toujours sympas. J’ai été mordu une fois, en 1981, je hais depuis les clebs en liberté. A chaque clébard croisé peu ou prou agressif, deux désirs peuvent m’assaillir. Soit c’est un emmerdeur de petit format, et je meurs d’envie d’utiliser mon gauche, en force, plein coup de pied, pour faire bingo dans la lucarne de la porte de garage la plus proche. Soit l’emmerdeur canin est plus baraqué, je fais gaffe en le maudissant, mais je rêve alors intensément d’une chose : le mordre le premier, jusqu’au sang ! Puis m’essuyer la bouche et le voir se tailler pleurnicheur, la queue entre les pattes.

Evidemment, je vous narre cette pulsion vampireuse pour cause de ballon rond, car j’y ai de suite repensé lorsque Luis Suarez a goûté Giorgio Chiellini : en mordant le défenseur italien, l’attaquant uruguayen n’a rien fait d’autre que mordre un chien de garde…version footeuse inattendue de l’arroseur arrosé ! Certes, le coup de mâchoire de Suarez n’est ni sympa ni malin, même que beaucoup affirment qu’il n’a pas de cerveau ! Alors qu’au contraire, il en a un en trois morceaux, comme tout le monde : le plus vieux morceau occupe la boîte crânienne des animaux que nous sommes depuis 400 millions d’années. C’est le cerveau reptilien, il gère notre instinct de conservation et nous file des réflexes de défense comme celui du serpent quand il mord… vous voyez où je veux en venir : on nous a tant dit qu’en foot, les vrais buteurs ont l’instinct du but, alors faudrait pas croire qu’il sont instinctifs rien que pour buter ! L’attaquant Luis Suarez est aussi le produit d’une compète où l’animalité du struggle for life, du vaincre ou mourir, est promotionnée.

Attention, il faut punir Suarez, lui imposer une psy comme bonniche à demeure, je n’ai pas dit de laisser s’épanouir nos petites pulsions bestiales ! Mais lui filer 9 matches et 4 mois de suspension, c’est décréter que son coup de mandibule est plus grave que tout ce qui n’amène pas 9 matches et 4 mois de suspension. Au Mondial 90, Frank Rijkaard joue les lamas face à Rudi Völler, et se ramasse 3 matches : perso, et même s’il fait moins mal à la viande adverse, je trouve le crachat moins instinctif et plus méprisant, plus lamentablement humain que le coup de ratiches… Par contre, ce qui fait plus mal, c’est le coup de coude pleinement volontaire. Au Mondial 94, Mauro Tassotti propulse le sien dans le faciès de Luis Enrique qui se met à pisser du sang sur les écrans du monde entier : l’arbitre n’a rien vu, Tassotti ne se prendra que 8 matches a posteriori sur base des images/télé. Images/télé que la FIFA n’a pas pris la peine d’examiner durant ce Mondial-ci, lors des nombreuses propulsions de coude entrevues : pour que la FIFA réagisse, il faut du sang ou du scoop. Et les dents de Luis, ça c’était du scoop ! Elles ont permis à la FIFA, harcelée de toutes parts pour ses magouilles ou son affairisme, de se refaire à bon compte une moralité sur les cinq continents : sur le dos d’un gamin du peuple doué pour le foot, et que le royaume dont la FIFA est reine infantilise en le gavant de pognon !

Faut pas croire, je ne pleure pas sur Suarez : ce n’est que du foot, que 9 matches et que 4 mois dans toute une vie… Je n’oublie même pas que l’Uruguayen est un récidiviste, ayant déjà laissé deux fois la trace de ses crocs dans des chairs adverses. Mais je n’oublie pas non plus qu’en foot, les attaquants se farcissent des défenseurs pas toujours catholiques. Que les saloperies de blessures vraiment graves amochent plus souvent les attaquants que les défenseurs. Que les défenseurs ne se chopent guère pour cela 9 matches ou plus, alors qu’à leur façon, eux aussi sont des récidivistes…de l’antijeu ! Rappel : en octobre dernier, un sliding-tackle violent de Chiellini pétait le péroné de Gonzalo Bergessio, l’Argentin de Catane, et provoquait la polémique en Italie. Suarez n’a pas mordu un bébé innocent.

Pour que la FIFA réagisse, il faut du sang ou du scoop. Et les dents de Luis, ça c’était du scoop !

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