Quand le foot sent le pétrole…

L’argent généré par le pétrole permet à l’Azerbaïdjan de se rêver un avenir brillant dans le football européen.

12 octobre 2010 : l’Azerbaïdjan marque son entrée dans le monde du football et tout un pays vibre comme jamais. Il a suffi d’une victoire de légende, face au grand-frère turc, en éliminatoires du prochain Euro.

 » Tout le monde attendait ce match « , expliquait Alit Gadimov, journaliste à AZNews.  » Du point de vue culturel, nous sommes plus près de la Turquie que de la Russie. Alors, quand nous avons vu, lors du tirage au sort, que la Turquie était versée dans le même groupe que nous, le rêve a commencé à prendre forme.  » Quinze jours avant la rencontre, des posters du match fleurissaient déjà à tous les carrefours.  » Recevoir l’Allemagne, c’est un honneur mais la Turquie, c’est autre chose. Là, c’est le c£ur qui parle. Gagner contre ce pays, c’est la plus belle chose qui pouvait nous arriver mais en même temps, on ne saura jamais si c’est le talent footballistique qui a parlé ou si c’est juste une victoire du c£ur et de l’émotion.  »

Pourtant, cette victoire va au-delà du symbole. Elle permet de se rendre compte des efforts consentis par la Fédération azérie pour arriver à jouer dans la cour des grands. A coup de manats, la monnaie locale. Voire de dollars, la monnaie des affaires. Car, à Bakou, c’est en dollars que tout se règle. La capitale de l’Azerbaïdjan subit depuis une décennie un lifting coûteux. La faute au pétrole. L’or noir a modifié l’aspect de cette cité. Jusque dans son odeur, un mélange d’essence et de fruits de mer.

On l’avait vérifié lors de notre reportage il y a quelques mois auprès d’ Emile Mpenza, blessé au genou depuis début février et encore out pour un mois. Avec le Neftchi Bakou, il occupe la tête du championnat et a marqué 5 buts.

Ici, le pétrole a changé les habitudes mais également le paysage. Si les villages montagnards vivent encore au rythme du passé, ce n’est plus le cas du front de la mer Caspienne. A Bakou, il ne faut pas faire cinq kilomètres avant d’apercevoir au sud, les derricks en pleine mer ou les champs pétrolifères. Certains particuliers ont acheté un minuscule lopin de terre, y ont posé un minuscule puits d’extraction et vivent de cela. Au nord, sur une distance de 10 kilomètres, ce sont les raffineries qui occupent l’espace. Même les blagues tournent autour du pétrole. Genre :  » Si vous voulez un appartement avec vue sur mer, allez travailler dans une raffinerie. « 

L’argent lié à l’or noir a permis au pays de s’éveiller au XXIe siècle. Des immeubles modernes et les centres commerciaux poussent comme des champignons et dans certains quartiers, entre deux buildings pimpants, il n’est pas rare d’apercevoir des vieilles demeures (mélange de brique et de tôle) sans eau ni électricité faire de la résistance face à la spéculation immobilière.

Le président de la Fédération est à la tête d’une entreprise pétrolière

C’est forcément l’argent du pétrole qui fait tourner le foot. Le Neftchi Bakou, le club d’Emile présente un puits de pétrole sur son blason et son nom vient du mot Nest (qui signifie pétrole en azéri). Le président de la Fédération, ancien président du Neftchi, Rounak Abdulayev, occupe également la tête de la Socar, entreprise pétrolière de l’Etat.

 » Sur les 9 millions d’habitants, 5 % de la population travaille dans le pétrole « , explique Tural Piriyev, team-manager du Neftchi Bakou.  » 80 % du budget du pays provient du pétrole. Quand Heydar Aliev, le père de l’indépendance, est arrivé au pouvoir, le pétrole générait 1 milliard de dollars de recette ; aujourd’hui, on en est à 40 milliards. Le pays essaye de diversifier son activité économique mais tout repose encore trop largement sur le pétrole. On le voit avec le football. La plupart des présidents des clubs du championnat sont soit actifs dans le pétrole, soit dans des banques qui commercent uniquement avec des industries pétrolières. Cela signifie également que quand nous n’aurons plus de réserves, notre développement footballistique sera terminé.  »

 » Si on regarde le niveau de vie du pays, tout le monde est optimiste « , analyse Elnur Ashrafoglu, qui fut durant 19 ans journaliste sportif à l’AZTV.  » Grâce au pétrole, l’Azerbaïdjan est actuellement une des anciennes républiques socialistes soviétiques les plus prospères avec le Kazakhstan. Certes, une fois que vous sortez de Bakou, vous êtes confronté à des régions montagnardes ou campagnardes qui n’ont pas connu le même développement mais tout le peuple est conscient qu’il vit largement mieux que ses voisins, l’Arménie et la Géorgie.  »

Le football suit donc le mouvement.  » Nous n’avons pas de problèmes financiers « , explique le vice-président du Neftchi, Tahir Suleymanov.  » Juste des problèmes d’organisation. Pour le moment, nos meilleurs clubs se situent au niveau de clubs moyens européens… sans crise financière !  »

Les budgets des principaux clubs ont grimpé en flèche ces dernières années et tournent aux alentours de 10 millions d’euros.  » Il y a dix ans, on parlait encore de 100.000 euros pour évoquer le plus gros budget « , ajoute Ashrafoglu. L’indépendance acquise le 30 août 1991 a suscité un énorme engouement autour du nouveau championnat national.  » Tout le monde, dans le pays, voulait participer au premier championnat « , se souvient Ashrafoglu,  » On a débuté à 18 équipes. C’était une façon de donner sa chance à tout le pays, à toutes les régions. Le premier championnat se voulait rassembleur. Car, à l’époque de l’URSS, l’Azerbaïdjan ne pouvait compter qu’un représentant au sein du championnat soviétique. Seul le Neftchi Bakou, qui fut le seul club azéri à prendre part à cette compétition si on excepte l’unique participation du Ganja FK en 1968, avait donc l’expérience du haut niveau. Le reste de l’élite était composé de bric et de broc. Il y avait certes un engouement extraordinaire mais aucune structure viable. Ce n’était pas tenable. Le championnat fut donc réduit à 16, puis suite à la crise de la fin des années 90 à 14 avant de se fixer récemment à 12. « 

Les clubs de Bakou subissent la concurrence des clubs de province

Dans un premier temps, l’indépendance va freiner le développement de son principal club. Le Neftchi, qui ne côtoie plus les clubs de Moscou, empile les titres de champion national mais perd de la valeur sur le marché européen. Son dernier titre de gloire, il le décroche en 2006 lorsqu’il remporte la CIS, coupe qui oppose les champions des anciennes républiques soviétiques, battant le FBK Kaunas, champion de Lituanie. Pourtant, cette hégémonie sur le championnat national va constituer également son talon d’Achille.  » A l’époque, on a perdu de la compétitivité en ne se remettant pas en question « , explique Suleymanov.  » En travaillant bien, on aurait pu prendre 10 ans d’avance sur tous les autres clubs mais on s’est laissé griser par nos premiers succès. Pendant que nous nous reposions sur nos lauriers, la concurrence fourbissait ses armes et s’améliorait d’année en année. En résumé, le Neftchi a tiré les autres clubs vers le haut alors que ceux-ci nous attiraient vers le bas. « 

Le Netchi doit également composer avec les autres régions, en termes de popularité. Ce qu’il n’avait pas l’habitude de faire lors de la période soviétique. Comme seule formation azérie, il était soutenu par toute une nation (d’où son surnom de Flagman, porte-drapeau). Avec l’indépendance, le Neftchi va perdre des supporters. Surtout dans les régions reculées.  » Même à Bakou, nous avons perdu des supporters puisque nous avons dû apprendre à composer avec d’autres clubs de la capitale « , avoue Piriyev. Aujourd’hui, la capitale compte cinq clubs sur les 12 de la première division mais même si le dernier titre a été conquis par l’Inter Bakou et que le Neftchi trône en tête de l’édition actuelle, le football azéri ne se limite pas à la capitale.

En province, cela s’est structuré. Le grand rival du Neftchi n’est pas comme on pourrait le croire l’Inter mais bien Khazar Lankaran, ville du sud du pays.  » Ce derby représente l’opposition entre le nord et le sud, entre la capitale et la province. On appelle ce match le Böyük Oyun ( » le grand match « ) et même si cette rivalité est assez récente (elle date de la saison 2004-2005 lorsque le Neftchi fut sacré champion après deux matches de play-offs contre Lankaran), les tensions entre les deux clubs sont très vives.  »

Au pays, Lankaran dispose d’une base de supporters très chauds et est appelé le Chelsea du Caucase après avoir bénéficié des fonds de Mubariz Mansimov, président d’une compagnie navale, active principalement dans le transport de pétrole, et qui occupe la 880e place sur la liste des milliardaires établie par le magazine Forbes.  » C’est sans doute le club qui a le mieux travaillé ces dernières années « , nous confirme Gadimov,  » Depuis six ans, il est bien organisé et peut compter sans doute sur les supporters les plus chauds d’Azerbaïdjan. Il est même question de délocaliser, à Lankaran, les matches de l’équipe nationale.  »

Autre club de province à tirer son épingle du jeu : le FK Qarabak.  » C’est sans doute au profit de ce club que le Neftchi a perdu le plus de supporters.  » Car le FK Qarabak joue lui sur un autre registre : celui du patriotisme effréné. Avec ce club, on entre de plain-pied dans LE problème de ce pays. En 1988, éclate dans cette région de l’ouest, la guerre du Nagorny-Karabakh, opposant la majorité arménienne de cette enclave, désirant un rattachement à l’Arménie et soutenue militairement par ce pays, et l’Azerbaïdjan qui défendait sa souveraineté. En 1994, les deux parties ont signé un cessez-le-feu mais le problème est récurrent, l’Arménie occupant l’enclave et 9 % du territoire d’Azerbaïdjan.  » L’Arménie reste notre ennemi et depuis 20 ans, on ne trouve pas de solutions à ce problème « , explique Piriyev,  » Cette guerre a coûté la vie à 7.000 soldats et a abouti à un million de réfugiés. « 

C’est donc cette cause, celle d’une région azérie occupée par l’Arménie, que défend ce club. Avec succès puisque le FK Qarabak est devenu le premier club azéri à passer trois tours en Coupe d’Europe. C’était en 2009.  » Le FK fut le premier club en dehors de Bakou à remporter le championnat « , observe Gadimov.  » Il a ouvert la voie à d’autres clubs, comme Lankaran, qui ont vu dans ce succès la fin de l’hégémonie de la capitale. En 2009 et en 2010, le FK a échoué aux portes des poules de l’Europa League. Je crois que pour tous les clubs engagés en Coupe d’Europe, ces poules constituent désormais le nouvel objectif. « 

Le club a souffert de la guerre. Sa ville, Agdam, est aujourd’hui une cité-fantôme, habitée seulement par un millier d’habitants alors qu’elle en comptait 150.000 avant. Le stade a été détruit et l’entraîneur Allahverdi Bagirov y a perdu la vie. Après avoir déménagé un temps à Bakou, le FK Qarabak a retrouvé le chemin de sa région, obtenant une dérogation pour évoluer non loin d’Agdam.

 » Comme Agdam est occupée par les Arméniens, le club a choisi un village partagé entre Azéris et Arméniens « , relate Ashrafoglu.  » Depuis la colline, les soldats arméniens peuvent voir les matches. Pourtant, malgré ce décor, le FK n’abuse pas de ce nationalisme. Il pourrait se servir de la Coupe d’Europe comme étendard mais je crois que dans la région et en Azerbaïdjan, plus personne ne veut remettre de l’huile sur le feu et raviver les tensions. « 

L’équipe nationale profite également de l’argent du pétrole

Les industriels investissent, les clubs se structurent et c’est naturellement sur l’équipe nationale que tout cela rejaillit. Direction le bâtiment tout neuf de la Fédération azérie (AFFA), inauguré il y a moins de deux ans par le président de l’UEFA, Michel Platini. Coincé sur le front de mer, à l’écart du centre ville, avec vue sur les industries pétrolières qui ont débloqué les fonds pour le construire. A deux rues du siège du Neftchi dont on dit qu’il fait la pluie et le beau temps à la Fédération depuis le transfert d’Abdullayev du Neftchi à la tête de la Fédé !

 » Le football a beaucoup grandi « , nous explique le directeur de l’Information de l’AFFA, Mikayil Guluyev, dans son bureau avec vue sur le nouveau terrain synthétique.  » On a décidé de revoir les bases en se concentrant sur l’apprentissage du football dans les écoles primaires. On a aussi réussi à se donner une belle base financière en attirant de gros sponsors nationaux. Cela nous a permis de nous doter de nouveaux moyens, de nouveaux terrains mais également de pousser à l’érection de nouveaux stades.  » Car, comme dans tout le pays, la Fédération est également saisie par la fièvre de la construction. Outre un nouveau stade national de 55.000 places, la Fédération s’est lancée dans la construction de deux autres enceintes que les clubs pourront utiliser en leasing. Le but de l’AFFA : des nouveaux stades dans chacune des 10 régions. Ce plan a été lancé dans le but d’une candidature de l’Azerbaïdjan pour l’Euro 2016. Pas au point. Mais qu’importe : le pays remettra le couvert pour 2020.

Il ne restait plus qu’un chef d’orchestre à trouver : ce sera un coach allemand.  » Nos moyens nous ont également permis d’investir dans un staff de qualité et d’attirer Berti Vogts pour s’occuper de l’équipe nationale. 400 entraîneurs avaient postulé pour ce poste. Nous en avons retenu quatre dont Vogts. Finalement, on a opté pour lui et le système allemand. Tous les entraîneurs des jeunes et même celui de l’équipe nationale féminine sont allemands. Cette structure pyramidale aboutit à une vision commune à tous niveaux.  »

Depuis son arrivée en mars 2008, Vogts fait l’unanimité, privilégiant la jeunesse.  » Sa victoire face à la Turquie lui a donné les pleins pouvoirs « , dit Gadimov.  » Pourtant, certains lui reprochaient de ne venir que quelques jours par mois et surtout de faire sienne des méthodes déjà éprouvées par le Brésilien Carlos Alberto Torres, précédent sélectionneur en 2005. Comme lui, il décide de mettre sur pied quelques stages durant lesquels il réunit tous les internationaux.  » C’est lors d’un de ces rassemblements qu’Everton a jeté son dévolu sur le jeune Araz Abdullayev qui rejoindra, dès la saison prochaine, le club anglais.

A la Fédération, on se dit ravi du travail de l’ancien sélectionneur de l’Ecosse.  » Il joue parfaitement son rôle de coach mais également d’ambassadeur « , lâche Guluyev.  » Il fait le tour des orphelinats et des écoles dans le pays. Il a instauré un système d’amendes lorsqu’un joueur arrive en retard et il envoie cet argent aux orphelinats.  » Même son salaire ne pose pas problème.  » Il est venu ici pour le foot et il n’est pas gratuit.  » Mais avec le président d’une société pétrolière à la tête de l’AFFA, c’est vite réglé !

Et on pense quoi des Belges ?  » Le match de votre équipe en Allemagne nous a laissé une grande impression et cela nous a surpris que la Belgique soit battue en Turquie. Je pense que la deuxième place se jouera entre ces deux formations. Nous, on vise davantage les prochaines éliminatoires. En 2016, l’Azerbaïdjan sera qualifiée ! « 

PAR STÉPHANE VANDE VELDE, EN AZERBAÏDJAN

 » Le Neftchi a tiré les autres clubs vers le haut alors que ceux-ci nous attiraient vers le bas  » (Tahir Suleymanov, vice-président du Neftchi)

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