Quand la passion surpasse le talent

Cadel Evans a atteint son objectif ultime tandis qu’Andy Schleck, second pour la troisième fois, peut se poser des questions. Analyse en quatre thèmes.

Le plan de Cadel

 » Tout au long de la saison, je n’oublie pas une seconde que je veux gagner le Tour « , nous déclarait Cadel Evans. L’Australien vit en parfait professionnel, ce qui lui vaut parfois d’être injustement décrit comme peu cordial. Il réagit parfois nerveusement quand quelque chose coince, il le reconnaît, mais il a appris à gérer les contrecoups. Depuis son sacre mondial et son transfert chez BMC, il est plus imperméable au stress. L’équipe de John Lelangue respecte son caractère. Ce n’est pas un hasard si, après sa victoire au Tour, Evans a commenté : « Un homme est le produit de son entourage. » Sa sérénité lui a permis de s’imposer. Quel contraste entre son contre-la-montre 2008 et celui de Grenoble… Alors qu’il y a trois ans, il se camouflait, samedi dernier, il distribuait des autographes avant le départ. Facteur à ne pas sous-estimer, Thomas Voeckler a porté le maillot jaune longtemps, permettant à Evans, à Alberto Contador et aux Schleck de rouler sans devoir supporter le poids de la course.

L’ancien champion du monde ne pouvait s’appuyer sur son équipe. Sur le plat, BMC l’a bien écarté des zones à risques mais dans les cols, il était seul. C’est lui et nul autre qui a limité les dégâts quand Andy Schleck a lancé son offensive dans l’Izoard, ce qui donne encore plus de panache à sa victoire finale. Il s’est défait de son image de coureur attentiste. Son comportement parfois bizarre et son style de course ne lui conféreront jamais le charisme des Schleck mais Cadel est l’exemple d’un homme qui a poursuivi son rêve pendant vingt ans, en travaillant dur, ce qui est l’essence du sport de haut niveau.

La chance ratée d’Andy Schleck

42 kilomètres en contre-la-montre et quatre arrivées en montagne : le Tour était taillé à la mesure d’Andy. Les premiers doutes ont émergé au Tour de Suisse, où il n’a pas fait forte impression. Des rumeurs ont fait état d’un hiver festif. Andy n’était pas dans sa meilleure forme au début de l’épreuve : pas plus que son frère, il n’a roulé un mètre en tête dans le contre-la-montre par équipes.

Il n’était pas encore à 100 % dans les Pyrénées, même si on dirait qu’il a attendu son frère au Plateau de Beille. Les frères devaient mettre les points sur les i durant la dernière semaine mais dans l’étape de transition vers Gap, Contador, bien conseillé par Bjarne Riis, l’ex-manager des Schleck, leur a coupé l’herbe sous le pied. L’excuse d’Andy ?  » On ne peut pas décider d’un Tour dans une descente « .

Andy a alors conclu avec succès et panache un raid historique, à l’ancienne, dans le Galibier mais ce fut sa seule grande performance durant ce Tour. Trop peu pour prétendre à la victoire, surtout quand on perd encore une minute et demie sur Evans dans le chrono. Le fait qu’Andy Schleck n’ait pas reconnu cette étape le jour-même est incompréhensible.

On peut se demander s’il remportera le Tour un jour. Le nombre de kilomètres va sans doute repartir à la hausse et Contador s’abstiendra de Giro, s’il n’est pas suspendu.  » Un loser est quelqu’un qui gaspille ses chances en ne les exploitant pas à fond « , a déclaré Brian Nygaard, le manager de Leopard-Trek à ses coureurs en début de saison.  » Si Andy ne veut pas de cette étiquette, il devrait s’inspirer de la remarque.

Le Tour d’Omega Pharma-Lotto

Pour la Belgique, le Tour 2011 restera celui d’Omega Pharma Lotto. On s’attendait à ce que Philippe Gilbert s’adjuge une, voire plusieurs étapes. Son sprint au Mont des Alouettes est probablement sa victoire la plus impressionnante de la saison car tous les ténors étaient présents. Gagner n’est pas aussi évident qu’il l’imaginait, comme il a dû le constater au Mûr-de-Bretagne, où il a échoué tout en étant critiqué pour avoir roulé derrière Jurgen Van den Broeck. Il y a également eu une bisbrouille avec André Greipel, oubliée dès que l’Allemand a remporté une étape avec l’aide de Gilbert.

Le champion de Belgique a continué à lutter pour une seconde victoire d’étape et le maillot vert mais l’échappée de Rui Costa à Super-Besse et la chute de Van den Broeck dans l’étape de Saint-Flour ont modifié ses plans. Gilbert a ensuite trop puisé dans des réserves qui ne sont pas inépuisables. En haute montagne, le Liégeois souhaitait se tester mais il est encore trop court. Il n’est qu’un être humain et c’est très bien.

Van den Broeck semblait bien parti pour réussir un bon classement, jusqu’à sa chute. Il était bien, physiquement et mentalement. Il communiquait mieux avec la presse qu’un an plus tôt. Même quand la man£uvre de Gilbert au Mûr-de-Bretagne lui a déplu, il est parvenu à se focaliser sur les aspects positifs. Il a cependant démoli dans une interview Arthur Vichot, qui avait déclaré que les coureurs de Garmin et d’Omega Pharma Lotto avaient cherché la chute en prenant trop de risques, ce que la moitié du peloton et son coéquipier Jelle Vanendert ont confirmé.

Il a ensuite évoqué une possible victoire mais une place entre trois et six semble plus réaliste. Seul fait concret : ses concurrents ne pétaient pas la forme et au Dauphiné, l’Anversois a signé un chrono de 58.07, soit quatre secondes de mieux qu’Andy samedi, sur le même parcours. Selon son coach, un Van den Broeck délesté de deux kilos aurait encore réalisé 50 secondes de moins. Il aurait terminé dans le top 10 de l’étape mais toujours à une minute et demie d’Evans. Van den Broeck doit donc, comme les Schleck, travailler son contre-la-montre car il ne perdra pas chaque année des rivaux à cause de chutes.

Vanendert a parfaitement exploité la malchance de son leader en arrachant une deuxième place à Luz-Ardiden et en s’imposant au Plateau de Beille. Pour les observateurs, qui connaissent son palmarès en catégories d’âge, ce n’est pas une surprise. En juniors, il a jadis terminé quatrième de la Classique des Alpes, derrière Lars Boom et Andy Schleck. En néophytes, il avait déclaré rêver pouvoir grimper comme Lucien Van Impe

Si, trente ans après le sextuple vainqueur du maillot à pois, le Limbourgeois s’est adjugé une étape de haute montagne, il le doit à son talent et à son caractère. Peu de coureurs seraient revenus après les multiples blessures dont il a souffert. Il ne faut pas pour autant déjà en faire un deuxième Van Impe ou Van den Broeck. Il a été brillant au Plateau de Beille mais les favoris n’étaient pas encore à leur niveau et dans la dernière semaine, son moteur s’est épuisé, ce qui est logique, compte tenu de l’énorme labeur accompli au service de l’équipe. Pour briller dans un tour, il devra encore améliorer son contre-la-montre et perfectionner ses talents de grimpeur.

Les deux derniers jours de Thomas De Gendt, sixième à l’Alpe d’Huez et quatrième contre le chrono à Grenoble, sont peut-être encore plus impressionnants que la victoire de Vanendert. Il semble que le flegmatique Flandrien ne réalise pas encore l’ampleur de son potentiel. Quand, durant sa troisième année dans le peloton pro, un coureur s’adjuge avec panache des étapes de Paris-Nice et du Tour de Suisse avant de signer de telles prestations, aussi facilement, dans la troisième semaine du Tour, il devrait peut-être se fixer pendant un an sur les tours, quitte à faire des cols son second domicile, à l’instar de Van den Broeck. On peut d’ailleurs trouver étrange qu’il ne veuille pas avancer d’une semaine son mariage, l’année prochaine, en prévision du Tour, même s’il peut jeter son dévolu sur le Giro ou la Vuelta.

Un Tour clean ?

Malgré les nombreux abandons (18) de la première semaine, 167 coureurs sur 198 ont atteint Paris. Il n’y a donc eu que 15,66 % d’abandons. On peut parler de tendance à la baisse depuis trois ans, même si ce pourcentage était encore plus faible en 2009 et 2010 (13 %) alors qu’entre 2000 et 2008, il atteignait 22,5 % et 31 % dans les années 90. Pourtant, la vitesse moyenne et la distance des trois derniers tours ne sont pas très différentes de celles des éditions précédentes. Depuis l’introduction du passeport sanguin, on pourrait même penser que les coureurs sont clean, se fatiguent plus vite et jettent plus rapidement l’éponge.

L’édition qui s’achève est une des plus propres. Pas de performances surhumaines, les visages étaient marqués dans les cols et à l’arrivée et, à part Evans, tous les ténors ont eu un jour sans. C’est peut-être une conséquence de la no needle policy, qui interdit, depuis cette année, l’injection de médicaments ou de substances favorisant la récupération. Un seul coureur, Aleksandr Kolobnev, a été contrôlé positif, même si cela ne constitue pas une garantie.

On peut se poser des questions à propos d’Europcar et plus précisément des prestations de Voeckler et Pierre Rolland, mais, comme celles de De Gendt et de Vanendert, elles s’expliquent partiellement par le niveau moindre des cadors. Les chronos en côte sont éloquents : au Plateau de Beille, Andy Schleck, premier des favoris, a roulé 2’42 » moins vite que Contador en 2007 et le chrono le plus rapide de l’Alpe d’Huez – 41’45 » par Samuel Sanchez – n’est que le 24e de l’histoire du Tour…

Le nombre de watts par kilo développé par les meilleurs dans les cols est aussi éloquent. Selon Michele Ferrari, expert en entraînement et en dopage, les meilleurs ont développé entre 5,70 et 5,80 watts par kilo alors que les années précédentes, ils étaient à 6 watts. La moindre condition de Contador est particulièrement frappante. Selon Ferrari, au Giro, l’Espagnol a atteint respectivement 6,87 et 6,48 watts/kilo dans les plus durs kilomètres de l’Etna et du Grossglockner, 5,88 watts au Zoncolan et 6,13 watts dans le contre-la-montre en côte. La fatigue lui a donc joué des tours en France. Les autres cadors ont atteint les six watts dans les étapes de montagne du Dauphiné et du Tour de Suisse mais pas au Tour de France, ce qui prouve que cela reste l’épreuve la plus usante. A moins que les contrôles stricts du Tour, jusqu’à trois fois par jour, n’aient joué un rôle ?

PAR JONAS CRETEUR

Le Tour était taillé à la mesure d’Andy, on peut se demander s’il le remportera un jour.

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