Quand AVB se blouse

Largués en championnat, les Londoniens n’ont plus que les seules épreuves de coupe pour colorer 2011-2012. Mais leur survie en Ligue des Champions est menacée dès ce soir par Naples, vainqueur 3-1 au San Paolo à l’aller.

Ce soir, en match-retour des huitièmes de finale de la Ligue des Champions, Chelsea tâchera de sauver ce qui peut encore l’être cette saison. Car les gars de Stamford Bridge ne disposent plus que des épreuves de coupe pour enrichir leur palmarès en 2012.

Mardi dernier, ils ont arraché leur qualification pour les quarts de la FACup en venant à bout de Birmingham, après un replay (0-2). Ce soir, ils compteront sur le but précieux inscrit par Michael Essien à Naples pour continuer leur aventure européenne. Les voisins d’Arsenal pourront toujours leur servir de source d’inspiration. Etrillés à l’aller par une autre équipe italienne, l’AC Milan (4-0), les Gunners ont bien failli arracher les prolongations à l’Emirates Stadium, leur serial-buteurRobinvanPersie loupant l’immanquable alors que le score indiquait 3-0 en faveur de ses couleurs. Les Blues, en passant l’obstacle transalpin, seraient les derniers représentants du football anglais à ce stade de la compétition puisque les deux Manchester ont été évincés dès les poules. Mais c’est loin d’être acquis pour un club qui n’a pas du tout répondu à l’attente ces derniers mois et qui, en évinçant AndréVillasBoas il y a une dizaine de jours s’est séparé de son septième coach depuis le début de l’ère Abramovitch, en 2003.

C’est ce dernier qui, contre l’avis de son Board, avait décidé, il y a huit mois, d’introniser le jeune entraîneur portugais (33 ans). Echaudé par les échecs enregistrés avec des mentors confirmés tels Claudio Ranieri,Avram Grant, Felipe Scolari, Guus Hiddink et Carlo Ancelotti, le richissime Russe s’était mis en tête d’opter pour un coming man dans la corporation… en espérant émuler un certain José Mourinho, coach à Londres entre 2004 et 2007. Villas-Boas avait de qui tenir puisqu’il avait été l’adjoint du Special One, sans interruption, du FC Porto (2002-04) à l’Inter Milan de 2008 à 2009, en passant donc lui aussi, trois ans à Chelsea. Après quoi, AVB estima le temps venu de voler de ses propres ailes. Non sans succès puisqu’à l’occasion de ses premiers pas, il réussit à maintenir l’Academica Coimbra parmi l’élite (2009-2010) avant de réaliser une campagne de rêve avec le FC Porto en 2010-11, marquée par une victoire finale en Europa League, ainsi qu’un doublé championnat-Coupe au Portugal.

Le tout en raflant à Maître Mou l’un ou l’autre record. Comme 36 matches d’affilée sans revers (pour 33 à l’autre) et une première place au classement obtenue avec 21 points d’avance (84 pour 63 devant le Sporting Lisbonne). De quoi inciter le boss à une folie pour l’engager. 45 millions d’euros, ventilés finalement comme suit : 12 millions d’indemnités de rupture pour Ancelotti, 20 autres de dédommagement envers le FC Porto, pour cassure abusive de contrat, et 13 pour le limogeage avant terme d’ AVB.

Pas un clone de Mourinho

 » Abramovitch pensait avoir engagé un véritable clone de Mourinho « , observe le journaliste indépendant Peter Law.  » Mais au départ, déjà, il y avait une différence fondamentale entre eux. Champion avec le FC Porto en 2003, Mou s’était frotté l’année suivante à des ténors en CL puisqu’il avait rencontré le Real Madrid, l’Olympique Marseille et le Partizan Belgrade en phase de groupe avant d’éliminer par la suite Manchester United, Lyon, La Corogne et Monaco. AVB a quitté les Bleu et Blanc sans avoir goûté à cette catégorie majeure. En Europa League, il a écarté tour à tour Genk, Besiktas, le Rapid Vienne, le CSKA et le Spartak Moscou, puis Villarreal avant d’affronter Braga en finale. Désolé, mais ce n’est pas le même niveau… Hormis des confrontations avec les meilleurs de son pays, style Braga, Benfica et le Sporting Lisbonne, il ne s’était jamais mesuré à des gros bras. Dès lors, je ne suis pas surpris par son manque de répondant ou ses absences de parade dans les matches au sommet, notamment. Le 3-5 concédé à Stamford Bridge face à Arsenal, le 29 octobre, en était un exemple édifiant. Ce jour-là, il avait été bluffé par Arsène Wenger. C’était d’autant plus cruel que les Gunners avaient essuyé pas mal de critiques jusqu’alors. En l’espace d’un match, ils avaient mis à nu les carences de leurs opposants. A commencer par leur friabilité en défense.  »

Par le passé, et a fortiori à l’époque du Special One, ce secteur, articulé autour de John Terry constituait l’un des points forts. Mais plus aujourd’hui. Afin de se distancier tant et plus de son maître, adepte d’une arrière-garde évoluant bas, AVB insista, dès son arrivée, sur un pressing haut. Comparativement aux années Mou, le quatuor en défense a dû apprendre à jouer dix à douze mètres plus haut. Ce qui n’a pas été sans poser d’épineux problèmes. Dans le chef de Terry d’abord.  » Il n’a jamais été des plus rapides « , dit notre collègue du mensuel World SoccerJonathan Wilson.  » Son manque de vitesse avait toujours été compensé par la position de repli de l’équipe mais aussi par la rapidité naturelle de Ricardo Carvalho. Cette qualité-là, on ne la retrouve pas, ou dans une certaine mesure seulement chez ceux qui épaulent la plupart du temps le capitaine dans l’axe cette saison : David Luiz, Branislav Ivanovic ou Alex. Du coup, Terry s’est déjà fait quelquefois surprendre par un adversaire surgissant dans son dos. Jadis, le trio Essien-Terry-Carvalho était quasi infranchissable au milieu. Maintenant, on est loin du compte.  »

Les cadres à dos

Il n’y a cependant pas qu’en défense que le bât blessait sous AVB. L’attaque n’a jamais paru très fringante non plus, en dépit de noms comme Didier Drogba, Salomon Kalou, Fernando Torres, Daniel Sturridge, Florent Malouda ou encore Nicolas Anelka avant son transfert en Chine. Et sans omettre Romelu Lukaku qui s’est joint aux autres le 6 août.

 » AVB s’est une nouvelle fois blousé « , renchérit Law.  » Il a essayé de marquer des points en relançant Torres, qui n’était pas encore parvenu à justifier son transfert à 58 millions d’euros. Mal lui en a pris, car l’Espagnol n’a rien démontré par la suite. Et, au passage, le nouveau T1 s’est mis Drogba à dos. Mou a toujours pu compter sur le soutien inconditionnel de tous ses cadres. Dans le cas présent, AVB a été lâché par tous, l’un après l’autre. D’abord l’Ivoirien, puis Terry et enfin Frank Lampard, relégué parfois sur le banc. Quand Ranieri prenait cette mesure, c’était pour préserver ses caïds dans l’optique d’une importante rencontre à venir. AVB le faisait pour des raisons qui n’appartenaient qu’à lui. Et ce fut sa perte. Au bout du compte, il avait fini par perdre toute sa crédibilité vis-à-vis du groupe « .

Pour le remplacer, c’est son adjoint, Roberto Di Matteo qui a été appelé à la barre. Lui aussi connaît le club pour y avoir évolué comme joueur de 1996 à 2002. Comme coach, il n’a pas accumulé une énorme expérience car avant de revenir à Stamford Bridge cette saison, il n’a servi que deux clubs : Milton Keynes Dons, pensionnaire de D3 en 2008-2009 et West Bromwich Albion où son contrat fut résilié voici un an, quelques mois à peine après son entrée en matière. L’ex-joueur de la Lazio Rome n’était pas le premier choix. Si Hiddink avait été disponible, au lieu de se lier récemment à l’Anzhi Makhatchkala, tout porte à croire que le Néerlandais, déjà en charge des Blues en 2009, aurait raflé la palme. A sa place, le DT, Michael Emenalo, sonda tour à tour Fabio Capello et Rafael Benitez pour occuper le poste jusqu’à la fin de cet exercice. Mais l’un et l’autre déclinèrent.

Dans la foulée, Abramovitch en personne eut une entrevue, mais en prévision de 2012-2013, avec le T1 de la Mannschaft, Joachim Löw. Les autres noms cités sont David Moyes, le coach à succès d’Everton et côté étranger, Didier Deschamps, Pep Guardiola et… Mourinho, qui n’a jamais fait mystère de son envie de retourner en Premier League. Certes, son bail au Real Madrid ne vient à échéance qu’en 2014 mais une indemnité de rupture, aussi élevée qu’elle soit, n’est pas de nature à décourager Abramovitch. D’autre part, on rapporte que Mou se serait soudain mis en quête d’un logement dans la capitale anglaise. De quoi alimenter la rumeur d’un retour à Stamford Bridge. Quant à AVB, d’aucuns le voient déjà aboutir à l’Inter Milan, qui n’est pas une inconnue pour lui non plus, en remplacement de Ranieri dont les jours y sont comptés.

 » Quel que soit le futur entraîneur, il sera confronté à un très vaste chantier « , conclut Martin Davies de la BBC.  » Bon nombre de joueurs de l’époque Mourinho sont toujours actifs à Chelsea aujourd’hui. Mais ils sont tous trentenaires à présent, à l’image du trio constitué de Terry, Lampard et Drogba. L’avenir ne se conjuguera pas avec eux. Il faudra les écarter l’un après l’autre. Jusqu’à présent, tous ceux qui se sont relayés à la tête des Blues s’y sont cassé les dents. Le players power a toujours eu raison d’eux. Je pense qu’il est temps de tourner la page et de continuer avec un groupe articulé autour de jeunes comme Juan Manuel Mata, Ramires, Sturridge. C’est à eux de prendre le relais le plus tôt possible « .

PAR BRUNO GOVERS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » AVB a été lâché par tous ses cadres : d’abord Drogba, puis Terry et enfin Lampard. « 

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