» QU’ON ARRÊTE DE DIRE QUE JE SUIS TROP GENTIL ! « 

L’entraîneur carolo a traversé une tempête médiatique mais a gardé le cap, conduisant ses Zèbres aux portes du top 6.

Il n’a pas fallu deux mois pour qu’il arrive à faire oublier ce qu’on a appelé l’affaire Mazzu. Grâce aux résultats forgés en fin 2014, avec notamment un succès de prestige contre Anderlecht, il a conduit les Zèbres aux portes du top 6. Pour parler des derniers mois, il nous a reçu dans sa maison de Liberchies. Quelques biscuits sur une assiette, un café, les enfants qui reviennent de l’école, pendant quelques instants, on a cru faire partie de la famille. C’est un peu cela aussi le style Mazzu.

Est-ce que Charleroi mérite le top 6 ?

Si on lutte pour y être, c’est qu’on le mérite. Les faits sont là.

Mais y croyez-vous ?

Oui. Comme je croyais à la Coupe de Belgique. Mais je dois être protecteur vis-à-vis de mes joueurs. Tout le monde doit être conscient d’où on vient.

Au niveau des résultats, la progression de Charleroi est constante. Peut-on dire la même chose du jeu ?

Non. Ce serait prétentieux de dire qu’au niveau du contenu, je suis entièrement satisfait. On a une philosophie de jeu qui n’apparaît pas dans chaque match.

Et quelle est cette philosophie ?

On a un jeu où la pénétration et la percussion doivent venir des côtés afin de mettre des ballons dans le rectangle. Si on regarde le pourcentage des buts marqués depuis mon arrivée, on voit que la majeure partie de ceux-ci vient des côtés. Mais je me rends compte que cette philosophie n’est pas toujours possible à appliquer, parce que, parfois, on change de système ou de joueurs, et que donc les automatismes n’apparaissent plus aussi clairement. Heureusement, la plupart de mes joueurs correspond à cette philosophie que je veux instaurer. C’est toujours dans l’optique de cette philosophie de jeu que j’ai placé Guillaume François à l’arrière droit car je veux que les backs sortent le plus possible.

Vous n’êtes pas encore arrivé à votre objectif final en termes de jeu mais êtes-vous dans les temps fixés à votre arrivée ?

C’est difficile de se fixer des temps. Regardez la saison passée : on avait commencé un travail et le groupe a beaucoup changé en janvier suite aux départs de Kaya, Milicevic et Pollet. Si on veut regarder en termes de construction de groupe, on peut donc dire que cela fait 11 mois qu’on travaille avec le même groupe. Et si vous me reposez la question par rapport à une dizaine de mois, alors, là, je dirais qu’on est dans les temps par rapport au projet mis en place. Mais il faut de la stabilité pour qu’il y ait le moins possible d’à-coups dans le jeu que je veux instaurer.

Comment expliquez-vous les différents visages de Charleroi : un début catastrophique, un mois de décembre abouti, et un début 2015 moyen ?

Il y a plusieurs paramètres : le plus important selon moi est le fait que l’on manque encore de maturité, de régularité et d’expérience. Si on veut progresser, l’étape suivante sera d’attirer des joueurs qui possèdent un passé en D1. Seuls Karel Geraerts, Javi Martos, Guillaume François et Nicolas Penneteau ont des années de vécu en D1 ! ça n’en fait que 4 !

Mais Damien Marcq et Cédric Fauré, ce ne sont pas des jeunes perdreaux !

Ils ont surtout connu la D2. Mais OK, on peut les rajouter si vous voulez. Cela ne fait que six ou sept joueurs sur l’ensemble du noyau. Dès qu’il en manque un, il y a une inquiétude qui s’installe. Si on regarde notre début de championnat et le début 2015, on voit des similitudes : 1er match : la certitude d’être meilleur que le Standard et 1er match de 2015 : on retombe dans le piège de la suffisance face au Cercle.

Et comment un entraîneur règle ce problème ?

Je préfère la communication ou la recherche de ce qui ne va pas plutôt que la confrontation. Je viens de vous donner mon ressenti sur notre match raté face au Cercle mais quelle est la certitude que ce que j’ai dit était la vérité ? Est-ce que cette contre-performance n’est pas davantage due à la pression ? Ou à un physique défaillant après un stage lors duquel il a fallu emmagasiner une grosse charge de travail ? Ou l’absence de l’un ou de l’autre ? Il y a plusieurs paramètres et chacun a son avis.

N’êtes-vous pas simplement confronté aux limites de votre groupe ?

Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un manque de qualité. Car s’il n’y en avait pas, on n’aurait pas été performant à certains moments. Mais la qualité ne suffit pas en foot. On ne maîtrise pas encore le paramètre émotion et pression.

Non mais encore une fois je ne maîtrise pas tous les éléments. L’entraîneur qui dit cela est un menteur. On ne peut jamais prévoir ce qui va se passer et c’est vrai que dans les moments plus délicats, on est davantage dans la crainte et sur ses gardes. Mais cela ne veut pas dire qu’on a peur. Ce mot ne doit pas exister en football car il fait perdre ses moyens aux joueurs.

Si elle ne vous échappe pas, c’est principalement parce que votre équipe a une faculté rare à éviter la crise…

Comment vais-je le dire sans paraître prétentieux ? (Il pèse ses mots) Une de mes qualités, c’est de sentir quand il faut changer quelque chose pour réveiller les joueurs. Après notre mauvais début de saison, j’avais changé quatre joueurs. Or, ce 0 sur 9 n’était pas de la faute de ces quatre joueurs mais de tout le groupe. Cependant, j’ai quand même pris la responsabilité de changer pour modifier la spirale négative. L’habitude négative produit une perte de confiance et quand tu injectes un élément neuf, il y a un réveil et un électrochoc. Rebelote en janvier : on est battu deux fois contre le Cercle sans être bon dans l’état d’esprit. On a changé le dispositif, ce qui a demandé de la concentration, des nouveautés dans les courses, etc. Cette nouveauté a modifié la zone de confort dans laquelle les joueurs évoluaient.

 » Je voulais comprendre comment un gars comme moi, qui n’a jamais trahi, s’était retrouvé dans une telle situation  »

Il y a un autre moment où la saison aurait pu vous échapper… Vous voyez à quoi je fais allusion ?

Oui, je crois (Il sourit).

Le flirt avec le Standard aurait pu briser la confiance que le groupe vous témoignait. Tout s’est enchaîné positivement depuis lors mais pour le même prix, cela aurait pu être l’inverse…

Oui mais cela ne s’est pas enchaîné négativement pour une simple et bonne raison. J’ai communiqué avec mon groupe, qui a appris à me connaître. J’essaye d’être toujours cohérent et correct dans ma façon d’agir et je pense que le groupe a continué à respecter l’homme que je suis malgré les péripéties de l’époque. Il a suffi de dix minutes de conversation avec mon groupe ; puis j’ai attendu le week-end et on a gagné. J’ai toujours travaillé comme cela, des Provinciales jusqu’en D2.

En pleine tempête médiatique, après une défaite sévère à Lokeren, dans quel état d’esprit étiez-vous ?

Serein car cette défaite n’est pas la suite de cette affaire mais elle se situe en plein milieu. J’ai toujours continué à travailler dans le même état d’esprit et on n’a plus abordé cette histoire-là après les dix minutes de conversation avec mon groupe. Au bout du compte, je ne veux pas faire de mal à quiconque. Moi, je veux faire progresser mon groupe et moi-même. Je suis peut-être naïf mais bien dans ma peau car cette naïveté me fait rester moi-même. Et les joueurs sentent que je suis vrai et naturel, avec mes défauts et qualités.

Qu’avez-vous dit à vos joueurs ?

Je leur ai dit – Voilà qui je suis, voilà comme je suis, on continue à travailler ou pas. A vous de me fournir la réponse.

Cette succession de bons résultats après ce qu’on a appelé l’affaire Mazzu, c’est une coïncidence ?

Oui. Je ne vois aucun lien.

N’étiez-vous pas dans un état revanchard ?

Non, non. Pas du tout. Je n’ai pas eu de discours revanchard.

Suite à cette affaire, vous vous êtes fermés médiatiquement ?

Vous trouvez ?

Vous avez toujours refusé de parler de cette affaire en interview individuelle…

Je refuserai toujours car pour moi, cette affaire est close. Je ne voulais pas me renfermer mais je voulais comprendre comment un gars qui n’a jamais trahi personne s’était retrouvé dans cette situation.

Et avez-vous trouvé la réponse ?

Oui, je pense. Elle est là, en moi.

Vous êtes sorti de cette histoire avec une image écornée et de menteur…

C’est possible.

Et vous n’avez jamais voulu vous défendre ?

Non, ce n’est pas nécessaire de remuer le caca. Cela ne m’apportera rien. Les gens pensent ce qu’ils veulent. Il n’y a qu’une chose qui peut me faire avancer : faire des résultats.

Mais l’image renvoyée par cette histoire ne vous a pas blessé ?

Si, ça m’a blessé mais ça m’a appris à grandir.

Désormais, cela risque d’être compliqué d’un jour entraîner le Standard…

Oui, je sais mais c’est comme cela. Je suis bien à Charleroi.

 » Charleroi est le club idéal pour me réaliser  »

Plus que jamais, vous vous sentez investi dans ce projet carolo ?

Oui, je collais déjà au projet à mon arrivée car je suis Carolo et que c’est le premier club qui m’a donné ma chance en D1. Aujourd’hui, je me sens encore plus investi car le projet est bien réel, on peut y croire, on sent que le club évolue. Et puis, la direction m’a toujours soutenu et elle va me revaloriser. Je suis donc en paix avec mon âme. J’ai fait les efforts nécessaires sur le plan financier pendant 16-17 ans – notamment l’année passée car je débarquais en D1 – et il n’a pas fallu une grande discussion pour qu’on me revalorise. Tout cela fait que j’ai d’autant plus envie de tout donner pour Charleroi.

Vous aussi, vous passez de la vision de Charleroi comme tremplin à celle d’un club où on a envie de rester ?

Je n’ai pas envie de parler de tremplin. Par contre, je pense qu’il s’agit du club idéal pour me réaliser. On peut dire que des portes se sont fermées, que je partirai peut-être un jour mais ce n’est pas le plus important. Chaque individu a besoin de s’épanouir et finalement pour cela, il n’y a pas que l’argent qui compte, ni le nom du club. Il suffit d’être dans le milieu qui me correspond le mieux. C’est le cas pour moi aujourd’hui. (Il fait une pause). Les gens ne vont peut-être pas me comprendre ou dire que je suis fou mais c’est comme cela. Je suis aujourd’hui en situation sportive, financière et familiale idéale. Et moi, je veux tenir compte des trois paramètres.

On vous dit très fin psychologue…

J’essaie d’adapter mon discours à chaque joueur. Pour cela, il faut connaître le mieux possible chaque individu et ne pas les considérer tous de la même manière. Et c’est la partie la plus difficile mais la plus importante du métier d’entraîneur. Et jusqu’à présent, je suis parvenu à faire passer mon discours sans réellement m’énerver.

Mazzu est-il finalement un entraîneur psychologue ou tacticien ?

Je suis passionné par ce que je fais. La partie tactique est importante dans un sport d’équipe de haut niveau mais j’estime également qu’on peut tout résoudre dans la vie par la communication. L’agressivité n’a jamais fonctionné sur le long terme… La rancune va toujours revenir un jour.

En début de saison, vous n’aviez pourtant pas aimé que certains disent que vous étiez trop gentil…

C’est quelque chose qui m’emmerde, je le dis ouvertement. Je veux qu’on me donne une bonne fois pour toutes la définition du mot gentil. Signifie-t-on que je parle avec les gens ? Que je ne crie jamais ? Que je ne fais pas des entraînements assez costauds ? Ou que j’ai peur de retirer certains joueurs du onze ? Manifestement, ça dérange quand un entraîneur n’est pas comme les autres. Comme si tout entraîneur devait être méchant, ne pas avoir de relations avec ses subordonnés et infliger des entraînements punitifs après une défaite ! Moi, je vois les choses autrement. Ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas de règles à respecter, comme arriver à l’heure, porter les jambières ou débarrasser les tables du déjeuner. Il y a une discipline à l’intérieur du groupe.

Et comment voyiez-vous les choses lorsque vous étiez T2 d’un entraîneur autoritaire comme Albert Cartier (NDLR : à Tubize en 2008-2009) ?

Parfois, je n’étais pas en concordance avec sa manière d’aborder les choses. Mais ce n’est pas parce qu’il agit de la sorte que je vais le critiquer. Il y a plusieurs chemins pour arriver aux mêmes résultats. J’ai également un côté mutant, caméléon. J’ai tout fait pour correspondre à Albert Cartier car j’étais à son service. J’adhérais à sa façon de travailler mais aujourd’hui c’est moi qui prends mes responsabilités et je me vois mal travailler comme lui. Je me retrouvais davantage dans la manière qu’avait Philippe Saint-Jean de gérer un groupe (NDLR : dont il fut également T2).

Est-ce que vous vous estimez enfin entraîneur de D1 ?

Oui. Je pense avoir confirmé cette saison.

Que faites-vous de vos dimanches matin ?

Vous voulez savoir si je continue mes cours de néerlandais ? Je vais être franc avec vous : je n’ai plus le temps ! Je me suis mis en tête de refaire du sport mais je n’y arrive pas non plus. Finalement, le dimanche, je me lève tard, je me fais un bon petit déjeuner et après le dîner, je me cale dans le fauteuil et je regarde les matches de JPL.

Vous avez dit que vous arrêteriez de fumer le jour où vous serez dans la colonne de gauche. Vous y êtes…

Les joueurs me le disent tous les jours. Je vais essayer… quand le moment sera venu (Il éclate de rire).

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: BELGAIMAGE/ABBELOOS

 » L’entraîneur qui dit qu’il maîtrise tous les paramètres est un menteur.  »

 » Charleroi manque de maturité.  »

 » L’agressivité n’a jamais fonctionné sur le long terme.  »

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