© BELGAIMAGE - CHRISTOPHE KETELS

Mission Impossible pour Christophe Grégoire à Virton: « Qu’est-ce que j’avais à perdre? »

Sur la touche pendant 18 mois, Christophe Grégoire revit professionnellement depuis qu’il a accepté l’improbable mission de tenter de maintenir Virton, un club perdu cet été au milieu d’une crise identitaire qu’on pensait insoluble. Un stage de survie en conditions réelles que Grégoire rêve dans un coin de sa tête de transformer en passe-droit pour la D1A.

D’un Excel à l’autre, il n’y a qu’un pas. De ses années de joueur au Canonnier, Christophe Grégoire n’a que des bons souvenirs. Liégeois de coeur, Hurlu d’adoption et désormais Gaumais de métier, l’ancienne patte gauche des années dorées mouscronnoises tente aujourd’hui de se faire un nom du côté de Virton. Un club qu’on pensait perdu pour le professionnalisme cet été, mais que les arrivées successives de Christophe Grégoire puis d’Oguchi Onyewu auront participé à rendre à nouveau crédible. Souviens-toi l’été dernier…

Tu as accepté le poste le 27 juillet, en plein marasme, à 19 jours de la reprise et alors qu’il n’y avait ni staff ni équipe. Qu’est-ce qui t’a poussé à accepter ce challenge?

CHRISTOPHE GRÉGOIRE : Quelque part, il ne faut pas oublier que moi, à ce moment-là, je suis un entraîneur sans club. J’avais des ambitions, mais j’étais réaliste aussi sur ce que le marché pouvait m’offrir. Quand Virton s’est présenté, je connaissais évidemment la situation compliquée du club, mais de mon côté, qu’est-ce que j’avais réellement à perdre à tenter le coup? Je me doutais en tout cas que si je voulais un jour aspirer à coacher au plus haut niveau, une expérience en D1B était indispensable. Je ne connaissais pas la série, je suis content de la découvrir. Et puis, il y avait un point positif lié aux difficultés que le club connaissait, c’est que ça me laissait la possibilité de construire l’équipe à ma guise. J’avais la possibilité de faire tous les choix, de façonner une équipe de A à Z. C’est une chance malgré tout de pouvoir le faire à ce niveau-là.

J’ai comme le sentiment d’avoir été à Seraing trop tôt. »

Christophe Grégoire

D’un oeil extérieur, ton été ressemblait à une partie de Football Manager plus vraie que nature. C’est comme ça que tu l’as abordé toi aussi?

GRÉGOIRE : Ça ressemblait à ça, oui. J’étais en vacances dans ma maison dans le sud de la France quand j’ai reçu un coup de téléphone d’un proche du président Flavio Becca pour me dire que ce dernier pensait à moi pour reprendre l’équipe. Il me demandait d’être sur place le lendemain pour en discuter. J’ai tout de suite marqué mon intérêt, mais vu que je préparais les quarante ans de ma femme, ce n’était pas possible d’être là 24 heures plus tard. Le surlendemain, par contre, j’étais à Virton et je n’en suis pour ainsi dire plus jamais reparti. Pour la simple et bonne raison qu’à compter du moment où il a été officialisé que le club se remettait en marche et cherchait des joueurs, on a reçu, avec le directeur sportif Tom Van Den Abbeele, plus de cent CV chacun en moins de 24 heures.

« Jusqu’au 31 août, on était occupés jusqu’à une heure du matin tous les soirs »

Comment se passe alors le travail de tri?

GRÉGOIRE : C’est un boulot monstre. Parce qu’à lire le CV des uns et des autres, ils ont tous un super pied gauche, un pied droit incroyable, un jeu de tête jamais vu et une condition physique irréprochable ( Il rit). Du coup, et comme tu ne peux pas voir tout le monde, tu es obligé de procéder à une forme de tri à l’aveugle.

Comment se passait à ce niveau la collaboration avec Tom Van Den Abbeele, nouveau directeur sportif et ancien recruteur de Norwich et Chelsea, puis éphémère directeur sportif de Saint-Trond en 2018?

GRÉGOIRE : Justement, ce travail de tri, c’était surtout le rôle de Tom Van Den Abbeele. Après, le foot, ça reste un petit monde, tout le monde se connaît, tu peux vite essayer d’avoir des infos sur le gars en passant un coup de fil ou l’autre. Et puis, on est en 2021. Tu vas sur Whyscout, inStat, ce sont des plateformes internet qui recueillent un maximum d’informations sur les joueurs. Ça nous a fait gagner un temps considérable en déplacement. Dans le sens où si tu veux avoir des infos sur la qualité de centre d’un arrière gauche, tu vas sur l’un de ces sites, tu regardes ses cent derniers centres et tu te fais très vite une idée. Ça demande malgré tout beaucoup de temps aussi. Pour vous dire, jusqu’au 31 août, on était occupés jusqu’à une heure du matin tous les soirs. Et nos journées commençait à sept heures le lendemain.

On a dit que les joueurs que vous testiez n’avaient droit qu’à un seul entraînement pour faire leurs preuves. Comment fait-on pour se faire une idée définitive en si peu de temps?

GRÉGOIRE : Le premier critère, c’est qu’il nous fallait seize joueurs à aligner sur la feuille de match pour le 15 août contre Westerlo ( défaite 0-2, ndlr). À partir de là, tu n’as pas beaucoup de temps à perdre. Mais seize joueurs, ce n’est pas énorme non plus, donc tu te dois d’être ultra sélectif. Vu l’urgence de la situation, ce qu’on jugeait en premier, c’était la condition physique des joueurs. Parce que concrètement, il nous fallait des gars prêts à jouer nonante minutes quinze jours plus tard contre le favori de la série. Et là, j’ai été très surpris par ce que j’ai vu. C’est-à-dire que tu as des gars qui débarquent en pleine confiance à un test dans un club professionnel et qui te crachent leurs poumons après quinze minutes. De la part de mecs qui disent vouloir être pros, je trouvais ça assez dingue. Les gars n’étaient pas du tout fits alors qu’ils avaient eu tout l’été pour se préparer…

Christophe Grégoire:
Christophe Grégoire: « Les jeunes coaches apportent quelque chose. Pas seulement d’un point de vue tactique, dans le relationnel aussi. »© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Comment as-tu vécu, à dix jours de la fin du mercato, l’arrivée d’Oguchi Onyewu comme secrétaire général?

GRÉGOIRE : Pour moi aussi, ça a été une surprise. Une excellente surprise. Pour moi, c’était un gars d’expérience en plus qui rejoignait l’équipe. Et je pars du principe qu’il y a plus dans trois têtes que dans une seule. On a partagé notre expérience et ce que tu constates directement, c’est que le gars connaît le foot. Et forcément, c’est un grand nom, donc ça a attiré des joueurs aussi. À ce titre, fin août, c’était très amusant de voir revenir quasiment la queue entre les jambes des joueurs qu’on avait contactés fin juillet, mais qui nous avaient snobés à l’époque. Ils sont une vingtaine de joueurs dans le cas. Trois semaines plus tôt, les gars se pensaient trop beaux pour Virton, mais là, d’un coup, comme ils voyaient que le projet prenait la bonne direction, ils se disaient que finalement, ils rejoindraient bien l’aventure en cours de route. Je trouvais ça bizarre sur le principe, donc on leur a dit qu’on n’avait plus besoin d’eux.

Leur situation était pourtant comparable à la tienne un mois plus tôt?

GRÉGOIRE : Tout à fait, mais moi, je n’ai jamais snobé personne. Je trouve en effet que quand tu es sans club, la moindre des choses, c’est d’écouter ce qu’on a à te proposer. Pendant les 18 mois où je n’ai pas entraîne, j’ai souvent été contacté par des clubs de divisions inférieures, mais j’ai toujours refusé poliment parce que je n’avais pas envie de retomber trop bas. Ça n’était pas toujours bien perçu, je peux le comprendre, mais je voulais attendre la bonne proposition.

« Je savais qu’on n’allait pas m’ouvrir les portes de la première division comme ça »

Ça te vexe qu’aucun autre club de D1A ou D1B n’ait pensé à toi pendant ces 18 mois?

GRÉGOIRE : Absolument pas. Je ne vois pas comment j’aurais pu intégrer la D1A comme coach principal sans en passer par ici. Et puis, à l’été 2020, j’ai eu la possibilité d’intégrer un staff en D1A, mais je n’avais pas envie d’être catalogué comme coach de staff. Il ne faut pas se leurrer, je savais qu’après trois ans à Sprimont puis deux autres à Seraing, on n’allait pas m’ouvrir les portes de la première division comme ça. Je suis toujours dans l’apprentissage de mon métier, je trouve ça normal. Et puis, je ne suis pas un stressé. Du coup, j’ai réussi à profiter de cette période sans boulot. Il y a même des moments où j’oubliais presque que je voulais réentraîner. Cette année et demie a été pour moi l’occasion de passer plus de temps avec mes proches, ça m’a fait du bien. C’était important de prendre ce recul après toutes ces années passées la tête dans le guidon.

On a longtemps critiqué le football professionnel en Belgique pour sa propension à fonctionner en vase clos. Aujourd’hui, on a l’impression que la profession s’ouvre petit à petit à une nouvelle génération d’entraîneurs. Ça te donne de l’espoir?

GRÉGOIRE : Je trouve que c’est particulièrement vrai en D1B, où il y a un gros renouveau en cours. En D1A, on reste quand même souvent encore avec les mêmes têtes. Typiquement, ça me surprend toujours quand on reproche à un jeune entraîneur son manque d’expérience. Mais bon, c’est vrai que le coaching évolue en même temps que la profession se rajeunit. Les jeunes coaches apportent quelque chose. Pas seulement d’un point de vue tactique, dans le relationnel aussi.

Comme que jeune coach justement, il y a des choses que tu comprends aujourd’hui qui t’échappaient en tant que joueur?

GRÉGOIRE : Oui, maintenant que je suis dans la peau d’un entraîneur, je comprends, par exemple, pourquoi un Franky Vercauteren ne m’utilisait pas dans son système à Anderlecht à l’époque. J’arrive à comprendre qu’un bon joueur ne fasse pas partie des plans de son coach au profit de l’intérêt collectif.

Ça reste la plus grosse blessure de ta carrière de ne pas t’être imposé à Anderlecht?

GRÉGOIRE : On avait un noyau incroyable, donc ce n’est pas un drame en soi de ne pas jouer quand tu fais équipe avec des gars comme Wilhelmsson, Aruna, Jestrovic, Baseggio… Le tournant, pour moi, ce sont les deux années précédentes où Hugo Broos fait le forcing pour me transférer, mais que Mouscron refuse de me lâcher. Sincèrement, j’ai signé deux ans trop tard à Anderlecht. Mais le plus drôle, c’est que quelques semaines après mon transfert d’Anderlecht à Gand, je joue Anderlecht avec les Buffalos et qu’on gagne. Dans la foulée, Vercauteren vient me voir et me dit que si j’avais joué comme ça à Anderlecht, l’histoire aurait été différente. J’étais tellement estomaqué que je n’ai pas eu les mots pour lui répondre. Comment pouvait-il me dire ça alors qu’il ne m’avait jamais fait jouer?

Christophe Grégoire:
Christophe Grégoire: « C’était très amusant de voir revenir la queue entre les jambes des joueurs qu’on avait contactés fin juillet, mais qui nous avaient snobés à l’époque. »© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

« Mouscron a essayé de se donner une identité, mais a oublié de se donner du temps »

Vous retrouvez Mouscron vendredi pour la deuxième fois de la saison (1-1, le 18 septembre). Quel regard jettes-tu sur la situation actuelle de ton ancien club?

CHRISTOPHE GRÉGOIRE : Ce que je vois, c’est un club qui a essayé de se redonner une identité, mais qui a oublié de se donner du temps. Personne ne peut dire ce qu’il se serait passé si Enzo et Mbo en avaient reçu un peu plus. Après, voilà, c’est le football, on le sait avant de commencer. On peut s’appeler Mpenza ou Scifo, quand tu n’as pas de résultats, tu mets le club en péril et souvent, les décisions qui fâchent ne tardent pas à être prises.

Dans le recrutement estival des deux clubs, on constate deux stratégies de recrutement radicalement différentes. Vous avez été surpris des transferts réalisés par Mouscron?

GRÉGOIRE : C’est vrai que nous n’avons pas fait les mêmes choix de recrutement. Mouscron misait sur des profils différents des nôtres, avec des joueurs plus expérimentés. Nous, notre volonté était de parier sur des jeunes qui avaient faim. Sur papier, soyons honnête, le noyau de Mouscron a plus de potentiel que le nôtre, mais leurs joueurs ont-ils encore faim? Je veux dire suffisamment les crocs pour accepter une remise en question hebdomadaire? C’est ce qui est le plus dur en D1B. C’est un mini-championnat étalé sur une saison pleine. Ça demande une grande force de caractère.

Comment juges-tu l’évolution de Seraing ces deux dernières années?

GRÉGOIRE : Je garde l’impression d’avoir fait partie de l’histoire à un moment donné. Parfois, je me dis que si on n’avait pas maintenu le club à flots avec les jeunes suite à l’interdiction de transferts, le club n’en serait pas là aujourd’hui. Finalement, le club est monté administrativement en D1B en terminant à la cinquième place, à la même position qui était la nôtre un an plus tôt. Mais surtout, ce qui peut être un peu frustrant pour moi, c’est de ne pas avoir connu l’arrivée de Metz et la compétence à tous les étages que ça a amené au club. J’ai comme le sentiment d’avoir été là trop tôt.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire