» Qu’est-ce que j’ai souffert ! « 

Le défenseur camerounais de Genk se dévoile. En pesant ses mots, mais sans tabou.

Lors du match de phase classique à Anderlecht, il y a un mois, Eric Matoukou s’était érigé en tour quasiment infranchissable dans la défense de Genk.  » Je me suis sans doute révélé au grand public ce soir-là « , confesse-t-il.  » Je ne sais pas si c’était le meilleur match de ma carrière, mais j’ai eu la chance de livrer une grosse prestation lorsque tous les cameramen étaient présents. Le lundi qui a suivi, j’ai même été invité à Studio 1, imaginez-vous ! Bien jouer n’est pas tout : il faut que cela se sache. La presse fait et défait les réputations. Si j’avais livré la même prestation à Zulte Waregem ou à Courtrai, personne n’en aurait parlé.  »

 » Le départ de Joao Carlos m’a libéré « 

Ces craintes liées au départ de Joao Carlos étaient-elles non fondées ?

EricMatoukou : Le Brésilien est un joueur de qualité, je ne vais pas prétendre le contraire. J’ai longtemps évolué à ses côtés. Je n’ai pas peur de le dire : il m’a fait un peu d’ombre. Il était la star, le footballeur élégant par excellence. Moi, j’étais chargé de le couvrir, de faire le sale boulot. Aujourd’hui, avec Torben Joneleit, les rôles sont un peu inversés. C’est l’Allemand qui se retrouve dans l’ombre. Pas parce que ses qualités sont moindres, mais parce que c’est un joueur qui ne fait pas de vagues, qui se contente de remplir son rôle, bien utile cependant. Le départ de Joao Carlos m’a libéré.

Votre complémentarité avec Joneleit saute aux yeux…

Torben est surtout un joueur très calme et il mériterait une plus grande reconnaissance. Il travaille beaucoup, contribue à stabiliser la défense et répond toujours présent au bon moment. Son calme rejaillit sur moi, qui suis d’un naturel plus impulsif. Est-ce pour autant que mon rôle est devenu plus offensif ? Pas nécessairement. Frankie Vercauteren a constaté qu’à un moment donné, nous prenions trop de buts. Il nous demande donc de corriger ce défaut. Notre rôle, à Torben et à moi, est essentiellement défensif. On ne doit sortir qu’à bon escient. La communication fonctionne très bien entre nous, on se parle beaucoup.

Vous êtes aussi couvert par un jeune gardien qui a déjà pris beaucoup de points pour Genk…

Ah oui ! Ce serait injuste de ne pas le souligner. Thibaut Courtois a déjà gagné 30 points à lui tout seul, cette saison. Bon, d’accord, j’exagère un peu, mais il est phénoménal. Il n’y a pas de bonne défense sans bon gardien. Lors de certains matches, il a sorti des arrêts extraordinaires à des moments-clefs. C’est un élément fondamental. Une défense peut se montrer impeccable pendant 89 minutes, mais une seconde d’inattention suffit parfois à encaisser un but. Lors de cette seconde-là, Thibaut s’est manifesté… Moi, je lui tire mon chapeau ! Je l’ai vu grandir, au club, depuis plusieurs années. La pression ne semble avoir aucune prise sur lui. Il garde son flegme en toutes circonstances. A travers Courtois, je voudrais aussi souligner le travail de l’entraîneur des gardiens, Guy Martens. Si Genk a déjà produit des gardiens du calibre de Logan Bailly et Sinan Bolat, ce n’est pas un hasard. Thibaut Courtois est le digne successeur de ces gardiens-là. Et derrière, il y a encore Koen Casteels.

 » Le Vercauteren de Genk, ce n’est plus celui d’Anderlecht « 

Quel rôle a joué Vercauteren dans votre épanouissement ?

Un rôle énorme. Il a toujours été derrière moi, et si je lui dois en grande partie mon évolution. A l’entraînement, il s’est directement aperçu de mes défauts. Dix fois, vingt fois, il m’a crié dessus. Chaque jour, il tapait sur le même clou. Il m’a forcé à me rebeller, est parvenu à me mettre la pression sans pour autant insérer le doute en moi, ce qui est le plus difficile. Car, lorsqu’on engueule quelqu’un, cela peut avoir des effets pervers. Avec Vercauteren, j’ai compris que les remarques n’avaient pour seul objectif que de me faire progresser. J’ai l’impression que l’entraîneur que je côtoie actuellement et l’homme dont on avait dressé le portrait à l’époque où il a été viré d’Anderlecht sont deux personnes différentes. Il s’efforce de chercher des solutions à tous les petits problèmes, parle énormément avec les joueurs qui se sentent un peu moins bien et essaie d’impliquer tout le monde. Il correspond parfaitement à la philosophie que Genk souhaite se donner.

Vous jouez à Genk depuis janvier 2004, vous avez donc connu les bons et les mauvais moments…

Je garde de très bons souvenirs des périodes vécues avec René Vandereycken et Hugo Broos. Il y a eu aussi la finale de la Coupe de Belgique, remportée en 2009 : mon seul trophée, puisque je suis arrivé dans le Limbourg juste après le dernier titre de 2002. Mais cette Coupe était l’arbre qui cachait la forêt, car la saison, dans son ensemble, avait été plutôt décevante. J’apprécie d’autant mieux la saison actuelle, magnifique d’un bout à l’autre, durant laquelle je suis passé de l’ombre à la lumière. Je n’ai pas été formé à Genk, mais le Racing est le club qui m’a fait grandir. J’arrive en fin de contrat. J’ignore encore de quoi mon avenir sera fait. Je devrai peser le pour et le contre, afin de déterminer ce qui sera le mieux pour ma carrière sportive mais aussi pour le bien-être de ma famille. D’un côté, j’ai 27 ans, l’âge de la maturité footballistique, c’est sans doute le bon moment de franchir un palier. D’un autre côté, mes enfants sont bien intégrés à Genk, où ils fréquentent une école néerlandophone. Moi-même, je parle un peu le néerlandais. Est-ce inquiétant de n’avoir pas encore été prolongé ? Oui et non. Ce n’est peut-être pas le bon moment, en pleins play-offs, pour négocier des contrats. On connaît mes qualités dans le Limbourg, sinon je ne serais pas resté ici autant d’années.

 » RWDM : un rêve et un cauchemar à la fois « 

Vous vous souvenez de votre arrivée en Belgique, au RWDM ?

Et comment ! C’était très dur, de passer du Cameroun à la Belgique. En plus, je suis arrivé en hiver. D’un côté, c’était un moment extraordinaire car en posant les pieds sur le continent européen pour y devenir footballeur, j’avais réalisé un rêve. D’un autre côté, qu’est-ce que j’ai souffert… Je grelottais. Il y a eu des matches où j’ai joué et où je suis sorti… sans que personne ne s’en apercevait. J’avais un contrat de six mois avec option. J’avais donc une demi-année pour faire mes preuves. Mais, s’habituer au football européen, au climat belge, à une nourriture différente : cela ne se fait pas en un claquement de doigts. Je sentais que l’avis de la direction allait être négatif : l’option n’allait pas être levée. J’ai dû rentrer au Cameroun pour renouveler mes papiers, car mon permis de séjour était arrivé à expiration, et à mon retour, le RWDM avait été déclaré en faillite. Je me retrouvais sans club, mais gratuit et libre sur le marché. J’ai eu la chance d’avoir livré une très bonne prestation contre le Racing Genk de Moumouni Dagano et Wesley Sonck. Genk m’a engagé, avec un contrat de quatre ans à la clef, et même si j’ai dans un premier temps été prêté à Heusden-Zolder avec d’autres joueurs comme Igor de Camargo, Bailly ou le Japonais Takayuki Suzuki, cela a été le vrai départ de ma carrière. Au RWDM, je n’ai pas été payé pendant six mois, mais je n’ai rien dit, de peur de recevoir mon billet de retour et de décevoir ma mère qui fondait tellement d’espoirs en ce fils footballeur. Elle a consenti de nombreux sacrifices pour éduquer ses six enfants, et voilà que grâce au ballon rond, j’avais l’occasion de lui rendre tout ce qu’elle m’avait apporté. Comment aurais-je pu lui expliquer qu’après six mois, je rentrais au pays ? Vous savez, les images que l’on reçoit en Afrique du football européen correspondent au paradis sur terre. Je ne connaissais personne à mon arrivée en Belgique, je n’avais pas d’argent mais je jouais en D1 et je passais à la télévision. Beaucoup de personnes, au Cameroun, m’enviaient. Mais, entre le rêve et la réalité, il y a parfois un monde. J’ai eu la chance de tomber sur un entraîneur très humain en la personne d’Emilio Ferrera et sur un homme comme Freddy Smets. Alors qu’Eric De Prins et la direction me laissaient un peu tomber, ils m’ont toujours aidé, allant même jusqu’à m’avancer un peu d’argent de poche pour pouvoir survivre. Je partageais un appartement avec Aloys Nong. Lui aussi, pourrait raconter beaucoup de choses sur sa période bruxelloise. Aujourd’hui encore, je me demande comment nous avons fait pour nous en sortir. Je songe souvent à un proverbe en vogue au Cameroun : – N’oublie jamais les oiseaux du ciel ! Ils trouvent toujours à manger, même dans le désert.

A l’époque, vous collectionniez les cartons…

C’est clair ! Combien de cartons, jaunes ou rouges, ne m’a-t-on pas adressé ? Quand j’étais lancé, je ne freinais jamais. Que ce soit dans mes propres 16 mètres ou dans le rectangle adverse. L’image que l’on avait de moi ne correspondait pas à mon personnage. En dehors du terrain, je suis quelqu’un de très doux, de très sociable. Depuis lors, j’ai appris à contrôler mon impulsivité. Cette saison, après 33 matches de compétition, je n’ai encore récolté que quatre cartons jaunes. Une suspension me pend donc au nez, mais ce chiffre est significatif de mon évolution.

Songez-vous encore aux Lions Indomptables ?

Je fonde beaucoup d’Espoirs dans le nouveau sélectionneur, l’Espagnol Javier Clemente. J’ai déjà eu quelques sélections avec Arie Haan, Artur Jorge et Otto Pfister. En revanche, Paul Le Guen m’a ignoré. La bonne saison que je livre actuellement devrait me permettre d’attirer l’attention. Je sais que j’ai déjà figuré sur une liste provisoire, il y a deux mois. A moi de confirmer.

Vous connaissez donc Samuel Eto’o ?

Bien sûr. J’ai eu l’honneur de jouer avec lui. Je le revois parfois lorsque je rentre au pays ou que je me rends à Paris. Mais c’est très difficile, il est très occupé. Parfois, on s’envoie des messages de félicitations.

PAR DANIEL DEVOS – PHOTO: REPORTERS

 » Au RWDM, Emilio Ferrera a parfois dû m’avancer de l’argent pour survivre. « 

 » Dix fois, vingt fois, Vercauteren m’a crié dessus. Il m’a forcé à me rebeller. « 

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