Purple talent

Le médian revient, après un été de blessures, et on attend à nouveau beaucoup de lui. Portrait d’un leader en devenir.

Début avril, Henri Odjidja nous parlait de son fils Vadis, âgé de 24 ans, qui semblait enfin assumer le rôle de leader auquel il semble voué depuis des années et était une des révélations du Club Bruges pendant les play-offs.

Henri venait de lire les compliments de Philippe Clement, l’entraîneur adjoint, à l’égard de son rejeton, sous contrat jusqu’en 2016. Clement soulignait la sensibilité du médian, sous ses airs nonchalants. Odjidja avait digéré l’échec de son transfert à Everton et les suites de son opération au genou. Il avait accompli un grand pas en avant.

 » Avant, il s’occupait surtout de lui-même. Il était très critique, ce qui constitue une qualité en soi mais après une mauvaise passe, il lui fallait un moment pour se reconcentrer. C’est terminé. Il est maintenant capable d’entraîner ses camarades dans une spirale positive.  »

Henri était fier de ce fils qui s’occupe tant de sa famille mais ne se dévoile jamais.  » Il appelle ça le mur. Il pèse chaque parole.  » Le langage corporel trahit parfois les pensées. Or, si le Vadis de tous les jours est généralement de bonne humeur, sur le terrain, il s’irrite vite.

 » Je lui ai souvent conseillé de ne plus discuter avec les arbitres, même s’ils ont commis une erreur, mais il estime que ceux-ci doivent au moins la reconnaître. Il ne supporte pas la défaite non plus. Il s’énerve trop.  »

Moteur

Le 26 avril, la nouvelle tombe : la saison d’Odjidja est finie. À la fin de l’entraînement de la veille, dans un banal duel, Lior Refaelov est tombé de tout son poids sur la jambe de Vadis. Diagnostic : dislocation du tibia.

Le 11 juin, encore une mauvaise nouvelle. Avant même la reprise officielle, il est à nouveau out. Il s’est fracturé un os du pied pendant ses vacances. Résultat : une absence de huit à dix semaines. Son championnat débute le 25 août, contre Gand. Trop tard pour éviter à Bruges une élimination en Coupe d’Europe.

Le lendemain de son entrée au jeu, Franky Van der Elst déclare à un quotidien :  » Quand on voit les brèches laissées à Gand… Le Club a besoin de plus d’abattage. Vadis est le principal maillon de l’entrejeu.  »

Hugo Broos ? » Odjidja ne résoudra pas tous les problèmes mais il va faire la différence. Avec lui dans l’équipe, on peut jouer au football sans plus se contenter de balancer des longs ballons en avant.  »

Arnar Grétarsson opine :  » Vadis a besoin de temps mais il peut apporter un plus. Laissez-lui trois semaines.  »

Elles sont écoulées. Depuis, il est entré au jeu contre Waasland-Beveren. En fin de partie, le battant a ressurgi. Les caméras ont également enregistré l’instant durant lequel il a perdu son self-contrôle. Est-il prêt à assumer la pression qui va s’abattre sur lui ?

Retour à Henri, qui avait relevé que son fils était rarement capitaine.  » Or, c’est le capitaine qui est le meneur. Las, comme Vadis ne supporte pas la défaite, il se laisse parfois aller à des actes ou des propos déplacés. Il tente de se rattraper en en faisant plus et c’est en cela qu’il est un leader mais on ne lui attribuera jamais ce rôle. Je préfère dire qu’il est le moteur de l’équipe.  »

Rendement

Henri poursuit :  » Vadis aime aider les autres. Il repère ce qui ne va pas, comme une mission tactique qui n’est pas exécutée. Par exemple, sur un coup franc, tout le monde se place mais on oublie de surveiller l’adversaire. Évidemment, quand vous dictez leur conduite aux autres et que vous commettez une erreur, elle vous est doublement portée en compte.  »

On en arrive à son rendement et aux attentes qu’il éveille.  » Il est encore très jeune. Si chacun fait son travail, les joueurs de talent peuvent s’exprimer. Mais si l’équipe comporte trois ou quatre maillons faibles, ils n’y parviendront que pendant dix ou quinze minutes. Mettez Messi à Bruges : il disputera des matches brillants mais si l’équipe sombre, il coulera en même temps. Comme Vadis. Parfois il est bon, d’autres fois moins bon.  »

Henri estime que son fils n’a pas la puissance requise pour faire basculer un match.  » Vadis fait ce qu’on lui demande. Une fois, il a une tâche offensive, une fois, il est plutôt défensif. On l’aligne même à droite, à gauche et une fois, il a joué en défense. Il obéit. Bruges a déploré beaucoup de blessures. C’est peut-être la cause de ses déplacements sur le terrain, puisqu’il est polyvalent. C’était déjà comme ça à Anderlecht.  »

Anderlecht, l’adversaire de dimanche, est aussi l’ancien club de Peter Smeets, qui a fait la connaissance d’Odjidja à Bruxelles et assure maintenant le suivi de joueurs pour le compte de Christophe Henrotay, manager d’Odjidja, entre autres. Smeets :  » En fait, il s’agit surtout d’aider les jeunes à trouver leur équilibre dans ce monde difficile.  »

Il accomplit ce travail depuis des années.  » Tout le monde se souvient de mon travail avec Romelu Lukaku mais en fait, j’ai commencé avec Vadis. Nous nous connaissons depuis quinze ans et nous sommes bons amis, même si j’ai gardé profil bas tant que je travaillais pour Anderlecht, puisqu’il jouait pour le Club. Vadis allait encore à l’école quand il est arrivé au Sporting et c’est de notre expérience avec lui qu’est né le projet purple talents, qui consiste notamment à améliorer la combinaison sport-études. J’ai ainsi fait la connaissance de toute la famille, assisté aux communions, etc. Vadis est devenu un petit frère.  »

Relais

Odjidja a déjà traversé des périodes très pénibles : le divorce de ses parents alors qu’il n’avait que trois ans, la garde alternée puis le décès de sa belle-mère. Autant de blessures.  » Il est toujours resté lui-même. Il va manger du chou-fleur chez sa mère, il rend visite à son père, il s’occupe de ses soeurs.

Il passe ses vacances à Miami, Monaco et Marbella mais ses meilleurs amis sont toujours ses anciens copains de Gand, qui n’ont rien à voir avec le football et qu’il connaît depuis plus de quinze ans. Il a mûri rapidement et il a beaucoup de caractère, comme son père. D’ailleurs, pour émerger si vite, il faut une fameuse trempe. Vadis a été obligé de survivre, sans accompagnement digne de ce nom.  »

Est-il un leader ? Smeets pense que oui.  » Il en recèle les qualités depuis toujours. Il peut coacher, il ne se dissimule pas et il ne recule pas devant la confrontation. Il est le relais de l’entraîneur. Jacky Mathijssen le répétait : – Il exécute parfaitement ce que je lui demande. Vadis est aussi capable de s’effacer au profit de l’équipe, même si son rendement en pâtit. Il a occupé cinq ou six postes différents la saison passée.  »

Henri opine :  » Il s’est très bien développé sur le plan humain. Avant, il acceptait mal la critique, par exemple, même quand elle venait de son club ou de moi-même. Je lui rétorquais que, de la tribune, j’avais une meilleure vision du jeu que lui mais il répondait que non, car je ne connaissais pas les directives de l’entraîneur. Maintenant, quand on discute avec lui, il écoute avant de donner son opinion. Nous ne sommes pas souvent d’accord pour la cause mais au moins écoute-t-il.

Je lui serine qu’un bon match est le début d’un problème. Quand on ne joue pas bien, on n’intéresse pas les gens. Dans le cas inverse, les gens attendent de vous la même prestation la fois suivante, voire une meilleure, semaine après semaine. Les supporters, l’entraîneur, le président, la presse et… moi. Il est difficile de toujours bien jouer.

Il faut être très fort mentalement, apprendre à se juger, afin de doser ses efforts quand on se sent moins bien et qu’on n’est pas capable d’abattre autant de terrain. Il faut alors limiter ses déplacements et compenser en distillant de bonnes passes. Garder sa position pour ne pas devoir courir plus. Il commence à le comprendre.

Pression

Mais avant… Il était très jeune. Il jouait un bon match et recevait des coups de fil de ses copains… Il a compris que ceux qui le félicitaient après un bon match étaient aussi les premiers à lui tirer dessus quand ça allait mal.  »

La pression, les attentes… Henri :  » Il apprend à gérer la pression. Il faut être intelligent et fort pour ne pas se laisser dévorer par la pression. Je lui ai expliqué maintes fois qu’il devait prendre conscience du poids que représentait la célébrité. Si le Club n’est pas champion, tous les joueurs vont être soumis à la pression. Chacun sera examiné à la loupe.

Il ne peut rien changer aux prestations de ses collègues mais il doit faire en sorte qu’on juge ses performances à 90 ou à 95 %. Si, à cause de la pression, il n’atteint que 40 ou 50 %, il n’aura pas été bon. La balle est dans son camp. Vadis est capable de faire la différence mais il ne peut pas faire tout à lui seul, même si c’est sans doute ce que certaines personnes attendent de lui. On adresse des reproches à tout le monde en cas de défaite mais Vadis en reçoit souvent plus que sa part. « ?

PAR PETER T’KINT – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Vadis a compris que ceux qui le félicitaient après un bon match étaient aussi les premiers à lui tirer dessus quand ça allait mal.  » Henri Odjidja, son père

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