Pure Juice

Au Celtic, le défenseur a franchi un cap tout en restant lui-même.

Waow. Grâce à une bourde de Numan, Hartson se retrouve seul face à Klos, il le passe, au prix d’un ultime effort, mais Amoruso sauve à même la ligne. Corner. Scrimmage. Contre. Balde dévie en corner un tir d’ Arveladze. Caniggia reprend de la tête, Douglas sauve. Larsson tire sur la jambe de Klos, qui dévie comme il peut des essais de Petrov et de Lambert, dans la cohue qui s’ensuit. Larsson tire sur le poteau.

An electric start, à couper le souffle. Nous assistons à Celtic Glasgow-Glasgow Rangers, en demi-finale de la Coupe de la Ligue, à Hampden Park. Sept minutes de jeu, quatre corners, cinq occasions de buts, quelques vilains tackles mais pas encore une seule faute sifflée.

Crazy! Aucune équipe n’est encore parvenue à aligner deux passes de suite. Non qu’elles aient de mauvais joueurs, au contraire, mais ils n’ont pas le temps de chercher un partenaire démarqué. Tout va trop vite. Le rythme est mortel. On se bat comme des fous, même pour des ballons perdus. Le public, divisé en catholiques (le Celtic) et en protestants (Rangers), détermine le rythme, un public irlando-écossais qui applaudit un tackle réussi à 80 mètres du but adverse comme s’il s’agissait d’une occasion de but.

Ronald de Boer sombre sous cette violence, alors qu’il doit essayer de faire mal au Celtic entre les lignes. Celui-ci n’aligne que trois défenseurs en zone, confrontés à trois attaquants. Certes, il s’agit de grands garçons, forts mentalement et physiquement, mais quand même: couvrir à trois un espace de 70 mètres tend au surréalisme, dans de pareilles conditions. Les espaces à couvrir sont énormes. Se faire dribbler une seule fois peut avoir des conséquences fatales. Ça n’arrive pas, notamment grâce à un brillant Joos Valgaeren. ( Juice sera d’ailleurs récompensé de sa performances par d’excellentes cotes dans les journaux écossais).

Pourtant, les Rangers, qui n’alignent que deux Ecossais, mènent au repos: vif comme l’éclair, Lovenkrands reprend brillamment un ballon dévié, après un duel aérien.

Le derby le plus chaud d’Europe, voire du monde

Le jeu ne se calme qu’à l’heure. Suite à une collision dans le rectangle des Rangers, trois joueurs sont à terre, immobiles. Moore est évacué en civière. Ensuite, the Old Firm reprend de plus belle.

A terre suite à un accrochage, Balde égalise. Deux minutes plus tard, de l’autre côté du terrain, il bouscule Lovenkrands. Involontairement, mais les faits sont là. Bobo, les bas tirés au-dessus des genoux, est particulier. Un physique de décathlonien. Un corps idéal pour étudier l’anatomie. S’il le faut, il saute au-dessus d’un adversaire, voire de deux en même temps. Un contact avec Bobo fait mal et Bobo n’est pas un brave garçon. Il est d’ailleurs l’objet d’une controverse: les images TV ont démontré que contre Hibernian, sur un corner, il a infligé un flying elbow in the face à son adversaire direct, derrière le dos de l’arbitre. Bobo, que les supporters du Celtic n’aiment guère, sera sanctionné. Arveladze botte le penalty au-dessus.

Au terme d’un autre duel dans le rectangle, Flo tire sur le montant. Peu après, Amoruso s’occasionne une blessure ouverte à la cuisse. Neil Lennon n’en finit plus de donner des coups. L’international d’Irlande du Nord, version extrême de Roy Keane, a dans le regard un éclair à faire fuir des chiens de garde. C’est en quelque sorte inné chez ces garçons.

La lutte dure deux heures, à cause des prolongations. Elle reste implacable, comme si les 22 joueurs étaient électrisés par l’énergie que dégagent les 44.000 supporters déchaînés dans les tribunes.

Finalement, c’est l’équipe de Bert Konterman, les Rangers, qui l’emporte. A six minutes du terme, il arme son tir, des 25 mètres, dans la lucarne. Dans les dernières minutes de jeu, il dévie encore un ballon sur la ligne, encaissant par la même occasion un coup sur la poitrine mais Bert est de taille à le supporter. D’ailleurs, il ne s’était pas comporté comme un saint jusque-là.

Après cinq revers consécutifs, les Rangers, deuxièmes du championnat à 13 points du Celtic, remportent enfin le derby de Glasgow. En mars, ils joueront la finale de la Coupe de la Ligue. Cette saison, son rival peut donc oublier le triplé. You can put our trebble in your ass, chantent des dizaines de milliers de personnes à la fin du match.

L’arbitre a été tolérant. Il a quand même dû distribuer dix cartes jaunes. Qu’en pense Joos Valgaeren?

« C’était un Old Firm très paisible » affirme le Belge, dénué de toute crainte. « Les rencontres opposant le Celtic aux Rangers sont incomparables. Elles sont toujours plus agressives, mais ce soir, je trouve que le match a été très correct. Tout le monde en est ressorti indemne. D’ailleurs, les deux équipes ont fini à onze, ce qui est très rare pour un Old Firm« .

Il y a un an, une autre demi-finale de la Coupe de la Ligue entre le Celtic et les Rangers s’était achevée avec onze cartes jaunes et trois rouges. Dans les années 70, il y a même eu un mort, sur le terrain. « Avant, on se dit qu’il ne faut pas aller trop loin car nous voulons terminer à 11 mais au coup de sifflet… C’est comme si on oubliait tout. L’émotion du public nous submerge et nous entraîne ».

Pas de tralala

Qu’on aligne moins d’Ecossais n’y change rien. C’est toujours pareil. Le match Celtic-Rangers est une déclaration de guerre. Le lendemain, dans un restaurant du centre de Glasgow, Joos Valgaeren commente:

« Pourtant, avant, tout est calme. Je veux dire: en Belgique et aux Pays-Bas, on est très strict quant à la discipline et à la concentration. Avant la finale de la Coupe avec Roda, il régnait un silence incroyable dans le car. Dans le vestiaire, on aurait entendu voler une mouche. Rien de tout ça ici. Nous avons un lecteur CD dans le vestiaire et nous passons des CD jusqu’au coup d’envoi. Oui, je vous le jure, on n’éteint l’appareil que quelques minutes avant le début du match. L’entraîneur profite de ces quelques minutes pour nous préparer au match et c’est tout. Pas de rituels de motivation, pas de discussions. Rien de spécial.

On plaisante et on rigole pendant l’échauffement. Tout le monde est très détendu. Je ne sais pas comment ça se fait. Ça change au coup d’envoi. Nous restons concentrés jusqu’au coup de sifflet final. A l’entraînement, il n’y a guère de tralala non plus. On s’entraîne tranquillement, on s’amuse. On s’entraîne moins et de manière plus décontractée. Les matches, c’est une autre paire de manches.

Il y a un an et demi, jamais je n’aurais cru pouvoir rester en forme en m’entraînant aussi peu. Les exercices sont basés sur les matches. Et ça marche. Au Celtic Park, nous avons fait joujou avec Valence pendant 120 minutes, alors que c’est quand même une des équipes les plus en forme d’Europe. Je ne sais pas pourquoi ça marche.

La principale différence, ici, c’est qu’on est en forme pour le match. On peut très bien dire: -Je ne suis pas assez bien pour m’entraîner pendant deux ou trois jours, pour une raison ou l’autre. Ce n’est pas un problème. Mais on veille à ce que vous soyez en condition pour le match. On vous donne un programme spécial, sur un home-trainer ou d’autres appareils qui vous maintiennent en condition tout en ménageant votre genou ou une autre articulation, de telle sorte que vous commencez et achevez le match en bon état. Aux Pays-Bas, vous ne pouviez jouer si vous ne vous entraîniez pas le vendredi matin.

Ici, on attend le plus parfait professionnalisme des joueurs. Vous êtes professionnel, vous savez ce dont vous avez besoin pour tout donner le samedi. On ne vous ennuie pas si vous n’abusez pas, ce qu’on remarquerait très vite à la qualité de vos prestations. Sans dépasser certaines limites, chacun est libre de concocter son programme personnel, sur base de ce qu’il ressent, de ce dont il a besoin. Au vert, on peut manger ce qu’on veut. Enfin, quand même pas de frites ni de mayonnaise.

Quand je jouais sous la direction de Sef Vergoossen, c’était différent. Il ne pense qu’à son boulot, jour et nuit. Il ne vit que pour le football. Nous nous entraînions beaucoup, nous devions surveiller notre alimentation. Il tentait de réunir toutes les conditions pour que vous puissiez vous concentrer sur le football, sans que rien ne puisse vous en détourner. A l’époque, je pensais: -C’est comme ça qu’on arrive. Puis j’arrive ici et je constate que ça peut marcher autrement. Quelle est la meilleure méthode? Je l’ignore. Tous les chemins mènent à Rome. Celui de Sef aussi, sans aucun doute ».

Joos Valgaeren a progressé au Celtic, surtout sur le plan mental. Il en faut beaucoup pour le désarçonner. Les événements qui se produisent autour de lui ne l’influencent guère. Il en faut beaucoup pour qu’il perde sa superbe. Il a confiance en lui, en la vie. Du moins, c’est ce qu’il semble.

« Ce qui se passe ici m’a mûri mais le match contre la Suède, lors de l’EURO 2000, reste la principale étape de ma carrière », explique-t-il. « La pression était terrible. Tout le monde attendait ce moment: voilà, l’EURO belge commence, nous devons être prêts. Une fois ce cap franchi, les autres sont plus faciles. Si j’étais passé comme ça de Roda JC au Celtic Park, je pense que j’aurais eu le souffle coupé en disputant mon premier Old Firm.

Au fil des ans, on constate que la vie recèle énormément de possiblités mais je reste très réaliste, je pense. Je l’espère, en tout cas. On peut dégringoler la pente très vite, plus vite qu’on ne l’a gravie. Vous devez savoir que gamin, je n’étais pas du tout fou de football. Je ne le suis toujours pas. Avant de me produire pour le Club Malinois, je n’ai pas assisté à cinq matches de D1. A l’école primaire de Herselt, jamais je n’aurais imaginé que, quelques années plus tard, quand j’entrerais dans un restaurant de Glasgow, je m’entendrais saluer: -Bienvenue, quelle place préférez-vous?

J’ai rejoint Malines durant ma dernière année de collège. J’ai pesé le pour et le contre avant de prendre ma décision. Je me suis dit: – Je vais essayer de devenir professionnel et si ça ne marche pas je réuissirai autre chose. Quoi, je l’ignore. Je suis bien incapable de dire ce que je ferai dans dix ans. Ça ne me tracasse pas.

En fin de compte, je suis très satisfait de mon sort, comme je l’ai toujours été. J’ai déjà vécu 25 belles années. J’ai eu une belle jeunesse. J’ai été heureux à l’école, au Club Malinois, je me suis plu à Roda JC. Trois années plus tard, j’ai accompli un autre pas en avant, j’ai signé ici pour cinq ans… Un footballeur vit quand même dans le luxe. Pourquoi se plaindre, se lamenter?

Je ne pense à rien d’autre. J’étais dans la même disposition d’esprit à Roda où je savais évidemment qu’il y avait beaucoup de moyens de franchir un cap supplémentaire alors qu’ici, il n’est pas aussi évident de progresser, qu’il s’agisse de l’aspect sportif, de l’argent et de l’accompagnement. Mon amie se plairait en Italie ou en Espagne et je suis prêt à tenter l’aventure mais ça ne m’intéresse pas. Je n’y pense pas. Je sais que pour certaines personnes, en Belgique, le football écossais ne représente pas grand-chose. Pourtant, celles qui prennent la peine de se déplacer sont unanimes: c’est bien. Je n’ai pas le sentiment de devoir réaliser l’un ou l’autre rêve ou de devoir faire mes preuves aux yeux des autres: regardez quelle belle carrière j’ai réussie. Pas du tout, je suis très heureux et ce qui doit arriver arrivera »

Christian Vandenabeele, envoyé spécial à Glasgow.

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