PUR ET DUR

À Jérusalem, seul le mur des lamentations est plus important que le Beitar, le club juif, qui a de plus en plus de problèmes avec La Familia, son noyau dur de supporters anti-arabes.  » Nous cherchons un grand joueur arabe qui oserait se produire pour nous, car il ouvrirait la voie à d’autres  » avoue son président, Itzik Kornfein.

Le Teddy Kollek Memorial Stadium, le stade communal où le Beitar dispute ses matches à domicile, est juché sur une colline, à Malhab. Situé au sud-ouest de Jérusalem, l’endroit s’appelait autrefois al-Maliha mais ce village arabe a subi une purification ethnique et a été placé sous contrôle juif en 1948, pendant la guerre d’indépendance d’Israël. En face de l’Itztadion Teddy se trouve le centre commercial dont le personnel d’entretien, arabe, a été victime d’une attaque des supporters du Beitar, le 22 mars 2012. Pendant l’agression, ceux-ci ont scandé  » Mort aux Arabes  » et  » Mohammed est mort « . Les caméras de surveillance ont filmé le clash, des témoins ont parlé de tentatives de lynchage mais le lendemain, le quotidien israélien de qualité Haaretz a annoncé sur son site que personne n’avait été arrêté. Pourquoi ? Parce que, selon la police, nul n’avait déposé plainte.

Ce n’est pas tout. Le 16 août, au Zion Square, le centre de la Jérusalem juive, un jeune Palestinien a été tabassé par un groupe de jeunes de son âge, jusqu’à ce qu’il ne bouge plus. Le réceptionniste du Jérusalem Little Hôtel a été témoin de la scène.  » On ne sentait plus son pouls. C’est un miracle qu’on ait pu le réanimer. Je suis sûr que les agresseurs étaient des membres de La Familia, le noyau de supporters racistes du Beitar. On se demande d’ailleurs comment il peut détenir un tel pouvoir et poursuivre ses exactions sans être inquiété. On n’intervient pas assez énergiquement contre lui. La conclusion de l’enquête de l’attaque du centre commercial de Malha est d’ailleurs éloquente : le personnel d’entretien arabe aurait commencé.  »

Testostérone

La problématique a pris une nouvelle ampleur fin janvier, quand Arkadi Gaydamak, le propriétaire russe du Beitar, a engagé deux joueurs de confession musulmane du Terek Grozny, Dzhabrail Kadiyev et Zaur Sadayev. A l’occasion du premier entraînement, quelque 150 supporters ont insulté et conspué les deux Tchétchènes et les ont menacés de mort, de même que l’entraîneur, le président et le propriétaire du club. Lors du match suivant, La Familia a déployé une banderole géante :  » Beitar pur à 100 %.  » À notre arrivée, le vendredi matin suivant, le foyer des joueurs, au complexe de Bayit Vegan, venait d’être incendié. Il est sis au sud-ouest de Jérusalem, là où se trouve le monument aux victimes de l’Holocauste, dédié aux cinq à six millions de Juifs européens exterminés sous l’ère du nazisme, parce qu’ils  » menaçaient la pureté de la race germanique.  »

 » Ça ne fait qu’empirer « , explique Dan, l’homme qui nous a gentiment conduit au complexe d’entraînement, après un entretien sur le parking du Teddy Stadium.  » J’aimais assister aux matches quand j’étais jeune mais maintenant, ce n’est plus un plaisir. Cette violence est le résultat de cet éternel conflit israélo-palestinien. Nous sommes devenus un peuple violent. Nous sommes tous contraints à passer au moins trois ans à l’armée. Nous avons alors 18 ans, nous sommes déjà costauds et ce long service militaire booste encore un peu plus notre taux de testostérone. Il n’est pas toujours facile de se contrôler. J’ai été officier chez les paras. J’ai porté un uniforme, j’ai mené mon commando sur le terrain, tenté d’user de ma puissance, sans en avoir envie. À la longue, on oublie la réalité, on ne distingue plus le vrai du faux, on profère des choses dont on pense ensuite : – Mais comment ai-je pu dire ça ?

À ce moment, on n’est plus vraiment conscient que les gens avec lesquels on est en conflit sont en fait comme vous et moi. La langue constitue la seule différence et encore : l’hébreu et l’arabe sont des langues du même groupe, sémite, et sont assez proches. Celui qui ne me connaît pas et se base sur mon nez et la couleur de ma peau et de mes cheveux me prendra pour un Arabe alors que je suis Juif. La différence n’est pas physique mais culturelle. Pourtant, certains de mes amis arabes sont habillés comme des Juifs et parlent hébreu sans accent. C’est un conflit d’intérêts, c’est politique mais en sport, ce qui compte, c’est d’être le meilleur.  »

C’est loin d’être le cas du Beitar. Il a connu une période de gloire quand Arkadi Gaydamakl’a acheté, fin 2005, et a investi de grosses sommes en joueurs. Avec le budget le plus important du championnat israélien, il a remporté le titre en 2007, le doublé en 2008 et la Coupe en 2009. Il en est resté là. Gaydamak nourrissait d’autres ambitions et il a fondé un mouvement, Social Justice, en 2007, lequel est devenu un parti politique. Gaydamak voulait devenir bourgmestre de Jérusalem et il a fait campagne auprès des quelque 300.000 Palestiniens qui vivent à Jérusalem-Est, en vain. Il n’a obtenu que 3,6 % des suffrages aux élections communales, fin 2008. Il s’est retiré et, depuis lors, le club est à vendre. Endetté, le Beitar a rejoint le ventre mou du classement. Il est actuellement deuxième de la poule des play-offs qui lutte contre la rétrogradation.

 » Les supporters qui se manifestent vivent en fait le football d’une manière religieuse « , explique Dan.  » C’est extrêmement important pour eux. La plupart sont pauvres, ils mènent une existence pénible et il est tellement facile d’en attribuer la responsabilité aux musulmans. Car qui est là pour les défendre ?  »

Club sioniste

En filigrane, le conflit israélo-palestinien et sa concentration sur Jérusalem, la ville sainte des Juifs, des musulmans (et des chrétiens), capitale à la fois d’Israël et de la Palestine. C’est la source du problème du Beitar.  » Mais n’oubliez pas qu’on parle de 500 des 300.000 supporters que compte le club dans tout Israël « , précise Itzik Kornfein, le président du club, dont il est devenu un monument après avoir défendu son but pendant douze ans.

 » La Familia représente une centaine de personnes qui n’assistent même pas aux matches et les autres sont en général des adolescents. Les meneurs sont des activistes de la droite radicale qui trouvent dans un club de football populaire la plateforme idéale pour répandre leurs idées auprès de jeunes supporters malléables. Cela écorne notre image et j’en souffre car ils sont même venus manifester devant mon domicile mais en même temps, je suis plutôt optimiste car il existe une loi antiracisme.

La xénophobie n’a pas sa place dans la société ni dans le sport. Quand cette loi est enfreinte, nous ne pouvons rien faire sans l’intervention de la police et la décision d’un tribunal. Nous avons besoin d’aide car cela dépasse le cadre du Beitar. Les autorités du pays doivent unir leurs forces pour éliminer ce genre de comportement. L’enseignement et l’armée peuvent apporter leur contribution également.  »

Si le Beitar s’attire de tels comportements, c’est aussi à cause de son identité. Ce club est issu du mouvement de jeunesse du même nom, qui émane de l’aile de droite nationaliste d’un mouvement sioniste. D’ailleurs, le bureau de Kornfein s’orne d’un portrait de Ze’evJabotinsky, le fondateur et leader politique, militaire et spirituel du parti sioniste dans la seconde moitié du siècle dernier. Aux yeux de beaucoup d’Israéliens, le Beitar Jérusalem reste le club des Juifs. L’emblème du club, revu à plusieurs reprises, comporte toujours une menora, un chandelier à sept branches qui est un des plus anciens symboles du judaïsme.

 » Penchez-vous sur le patrimoine de Jabotinsky et sur l’histoire du club : vous n’y trouverez pas le moindre élément raciste « , poursuit Kornfein.  » Au contraire. Jabotinsky expliquait que nous devions vivre avec nos voisins dans le plus grand esprit de tolérance.  »

L’homme a mené une guerre territoriale contre les Arabes tout en requérant le respect et des droits équivalents dans tous les secteurs de la vie publique pour la minorité arabe du futur Etat juif pour lequel il se battait. Jabotinsky a même plaidé en faveur d’un cabinet au sein duquel on aurait, en alternance, un Premier ministre juif et un vice-premier arabe. C’était un des principes figurant dans la déclaration d’indépendance publiée par Israël en 1948, pour assurer l’égalité des droits sociaux et politiques de tous ses habitants.

Mais le gouvernement actuel ne témoigne pas de beaucoup de respect à l’égard des Palestiniens. Son Premier ministre, Benjamin Netanyahu, est supporter du Beitar. Il est un de ces politiciens du Likoud qui apparaissaient au balcon, pour s’adresser aux supporters du Beitar, quand celui-ci collectionnait les succès. Par ailleurs, le Beitar n’a entamé sa marche en avant, à partir de la Division Deux, qu’après l’arrivée au pouvoir de la droite en Israël, dans les années 70.

Pur à 100 %

 » Nous sommes un club de football. Notre objectif est de gagner des matches, sans faire de politique « , assure Kornfein.  » Nous ne vivons plus au siècle dernier. Nous sommes un club professionnel, doté d’un propriétaire privé. Nous sommes conscients de jouer un rôle dans l’éducation de la jeunesse. Les footballeurs professionnels sont des modèles pour beaucoup d’enfants. Chaque semaine, nos joueurs se rendent donc dans des écoles de Jérusalem. Ils plaident en faveur de la patience et de la tolérance, ils s’insurgent contre le racisme et la violence. C’est préventif. Le problème, c’est que 70 % des membres de La Familia vivent en dehors de la ville et sont donc difficiles à atteindre.  »

Mais pourquoi aucun Arabe n’est-il plus repris dans l’équipe nationale d’Israël et pourquoi aucun ne joue-t-il au Beitar Jérusalem, après 77 ans ? Pourquoi le club est-il resté  » pur à 100 %  » tout ce temps, de sorte qu’en 2013, La Familia puisse encore appeler au respect de cette tradition ? Le président fait remarquer qu’à deux reprises, un musulman a joué pour le Beitar : l’Albanais Viktor Pacha, dont on n’a appris qu’il était islamiste qu’après la signature de son contrat, et, il y a neuf ans, le Nigérian Ibrahim Nadala, qui n’a pas résisté un mois aux insultes des supporters.  » Nous leur avons offert tout le soutien nécessaire à leur réussite mais c’est difficile « , poursuit Kornfein.  » Pour réussir, il faut évoluer dans une bonne ambiance et vous voyez ce qui arrive. Les footballeurs arabes que nous avons contactés n’ont pas osé se produire pour nous, redoutant des problèmes avec le public au stade et chez eux. Pour y parvenir, nous devons trouver le bon joueur, doté du bon caractère. Nous cherchons un grand joueur arabe qui oserait porter notre maillot et serait à même de résister à la pression. Je suis convaincu que nous réussirons. Il sera alors suivi par beaucoup d’autres. Nous voulons changer les choses.  »

La semaine de l’incendie s’est achevée par un match à domicile contre l’équipe arabe qui compte le plus de succès en Israël : Hapoel Bnei Sachnin, qui a gagné la Coupe en 2004, représenté Israël en Coupe d’Europe et qui se profile en club où Juifs et Arabes cohabitent en paix. Le duel est souvent prétexte à des heurts. Selon Itzik Kornfein, 700 agents de police et stewards sont présents pour assurer l’ordre et la sécurité dans le stade. En plus, le match se déroule un 10 février, trente ans jour pour jour après l’attentat à la grenade qui a coûté la vie au pacifiste Emil Grunzweig. On déploie d’immenses banderoles devant le Teddy Stadium :  » Jérusalem tolérante pour toujours  » et  » A La Familia : tu ne nous ôteras jamais notre amour.  » À l’entrée du stade, Channel 2 interviewe l’international israélien Itzik Zohar, un ancien joueur du Beitar qui nous consacre ensuite un peu de son temps.  » J’espère qu’aujourd’hui, la victoire se situera dans les tribunes et non sur le terrain. Pourvu que les gens se souviennent qu’un musulman, Viktor Pacha, a joué ici et qu’ils soient assez malins pour comprendre qu’il s’agit de sport, que le reste n’est qu’une vaste connerie.  »

Les bourgmestres de Jérusalem et de Grozny ainsi que le ministre de la Culture et du Sport en Israël prennent place dans la tribune d’honneur. Avant le coup d’envoi, la police évacue quelques dizaines de supporters des deux camps : ceux du Beitar à cause de chants racistes, ceux des visiteurs pour avoir fait trop de bruit pendant l’hymne national israélien. Peut-être faudrait-il songer à y ajouter une strophe à l’attention des non-Juifs.

Huées et applaudissements pour Kadiyev

Zaur Sadayev(23 ans) est blessé, Dzhabrail Kadiyev (19 ans) fait banquette. Quand il s’échauffe, à la mi-temps, en compagnie des autres réservistes, il est hué à chaque touche de balle. Cela dure un quart d’heure, jusqu’à ce qu’il quitte le terrain et se réinstalle sur le banc. Les sifflements reprennent quand l’entraîneur l’enjoint de s’échauffer le long de la ligne et ils atteignent leur apogée quand il entre au jeu, à la 80′, alors que le Beitar est mené 1-2. Ils se poursuivent chaque fois qu’il est en contact avec le ballon. En contrepartie, il est encouragé par la tribune d’honneur, avec d’autant plus de ferveur que le médian défensif entre immédiatement dans le match et que le Beitar égalise.  » J’espère que La Familia a compris que le pas était franchi et que nous ne ferons plus marche arrière « , nous déclare le président Itzik Kornfein au coup de sifflet final.

Une heure plus tard, tout est calme au Zion Square. Le tenancier du magasin du coin regarde les faits saillants du match – et des incidents – sur une petite télévision portable. Il est supporter du Beitar depuis 40 ans.  » Cela ne me fait pas plaisir mais en même temps, je suis content car c’est l’occasion d’arrêter. Si on le veut, on peut mettre fin à cette violence. Mais jusqu’à présent, tout le monde ne le voulait sans doute pas. Maintenant, il est impossible de se voiler la face. Le club demande le soutien de la police et du gouvernement et je suppose qu’il va le recevoir. S’il le faut, qu’on jette ces 500 personnes en prison !

Il y a longtemps, le Beitar a peut-être été le club des Juifs mais depuis qu’Israël a regagné Jérusalem-Est durant la guerre des Six Jours, en 1967, beaucoup de choses ont changé. Nous cohabitons avec les Arabes. On en rencontre dans toutes les rues. Des Arabes font leurs emplettes dans mon magasin et des taximen arabes me conduisent. Ils me souhaitent une bonne année et moi, je leur présente mes voeux au ramadan. Pourquoi des joueurs arabes ne pourraient-ils pas aider le Beitar à gagner les trois points ? Il y a des fanatiques partout mais ceux qui ont la tête à l’endroit veulent la paix. Nous devons travailler ensemble.

C’est ce que je fais depuis toujours et pourtant, j’ai bien survécu à vingt attentats. Gamin, je me trouvais dans cette boutique, aux côtés de mon père, quand on a déposé un réfrigérateur de l’autre côté de la rue. Quinze personnes ont perdu la vie dans son explosion. Des éclats ont volé jusqu’ici. Mais je vous le dis : le jour où nous connaîtrons la paix, ce sera le plus bel endroit sur terre. On avait l’intention de diminuer le nombre des forces armées. Elles coûtent de plus en plus cher et nous payons de plus en plus de taxes. Qui en a envie ?  »

Après quatre revers consécutifs, le dimanche 3 mars, le Beitar ouvre la marque à la 48′, contre le Maccabi Netanya. Le but ranime l’espoir de se qualifier pour les play-offs 1 et de lutter pour le titre. Le but a été marqué par Sadayev. Quelque 300 supporters du Beitar quittent le stade.

La semaine prochaine : Hilal Al Quds, club palestinien de Jérusalem-Est

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE À JÉRUSALEM

L’emblème du Beitar comporte toujours une menora, chandelier à 7 branches symbole du culte hébraïque.

En 2004, le Nigérian Ibrahim Nadala n’avait pas résisté plus d’un mois aux insultes de La Familia, le noyau de supporters racistes du Beitar.

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