Les clés de la renaissance carolo portent aussi le sigle de l’approche mentale parfaite de l’entraîneur limbourgeois.

La scène se passe au soir du partage concédé par le Sporting de Charleroi sur le terrain du Brussels (2-2). François Sterchele glisse des caméras de télévisions au micro des journalistes pour raconter les sensations ressenties après son premier but en D1. Vient alors le tour de la presse écrite quand déboule Jacky Mathijssen, furieux sur son joueur. Il lui reproche le fait de ne pas encore avoir pris sa douche et le somme de rejoindre sur le champ le vestiaire pour ne pas faire attendre ses partenaires.

C’est cela la méthode Mathijssen. Son rôle commence par veiller aux moindres détails de son équipe. Comme par exemple éviter que son nouveau buteur ne se laisse gagner par l’euphorie mais au contraire qu’il continue à vivre à 100 % sa vie de professionnel…

 » Il doit apprendre que cela ne se fait pas et il doit l’apprendre vite « , explique le coach limbourgeois.  » C’est à moi à faire attention « . Pourtant, et Mathijssen est le premier à l’avouer, l’ancien avant-centre de La Calamine et d’Oud-Heverlee n’est pas du genre à se laisser griser par les circonstances. Mais le coach est comme ça. Humble et toujours à regarder dans le rétroviseur pour se souvenir d’où vient son groupe :  » Je dois sans cesse rappeler aux joueurs les raisons qui nous ont poussés à réaliser une bonne saison. C’est parce qu’on s’est sans cesse remis en question, même dans les bonnes périodes. Surtout dans les bonnes périodes. C’est une bonne base pour devenir meilleur « .

Mathijssen, 42 ans, entame sa deuxième saison pleine au Pays Noir. Le temps et les excellents résultats l’ont inscrit dans le paysage régional et national. Tout le monde sait désormais que derrière le miracle carolo se cache un nom. Mais, malgré cela, l’ancien gardien reste mystérieux. Ses recettes magiques ont l’air si simples qu’elles paraîtraient presque suspectes. En plus, l’homme cache plusieurs facettes derrière son personnage. Celle d’un homme posé, qui a pris la peine de réfléchir à son rôle d’entraîneur et d’être humain, parfaitement à sa place dans l’environnement carolo. Mais également celle d’un passionné, capable de s’emporter lorsqu’un quatrième arbitre vient le réprimander alors qu’il vit intensément son match. Celle d’un homme communicatif mais également celle de quelqu’un de réservé.

Pourtant, son groupe continue à le suivre comme un seul homme. Cette équipe dont on expliquait le début des succès par une faim de victoires inassouvie depuis de nombreuses années, a inscrit le terme régularité dans son carnet de route. Et cela sans changer d’approche.

 » Depuis qu’il est arrivé à Charleroi, Jacky Mathijssen est un homme qui est resté sensiblement le même, notamment grâce à sa faculté énorme de se remettre toujours en question « , explique le capitaine Frank Defays.  » On travaille toujours de la même façon. Mais pourquoi changer ? Même quand il y a deux heures d’entraînement, on a toujours l’impression d’en faire une heure trente tellement c’est varié et constructif par rapport au match du week-end. Et comme l’adversaire change chaque semaine, l’entraînement n’est jamais routinier « . Pourtant, maintenir un groupe en haleine pendant plusieurs saisons reste une tâche importante.

Lors de sa troisième et dernière saison à Saint-Trond, Mathijssen confiait à Sport/Foot Magazine :  » Par moments, je me demande si je dois modifier certaines choses, si les joueurs écoutent encore ce que je raconte ou s’ils sont dans les nuages. Cela devient de plus en plus difficile, mais ce n’est pas pour me déplaire « .

Et il confirme que son travail a évolué avec le temps à Charleroi aussi :  » Je dois avouer honnêtement que motiver le groupe est moins facile cette année que la saison dernière. Il faut obliger les joueurs à se rappeler les mauvaises périodes, mais quand on est dans un moment faste, cela n’est pas toujours évident. Certains joueurs n’ont pas vécu cette passe difficile, d’autres ont oublié. Cela demande plus de travail et d’attention. Mais je perçois cela et j’essaie de rétablir l’équilibre par des petites remarques. C’est utopique de croire qu’il suffit de faire la même chose pour obtenir les mêmes résultats. Pour espérer réaliser le même parcours, je dis bien espérer, chacun doit ajouter 15 à 20 % d’effort supplémentaire. Pourquoi ? Mais pour toute une série de raisons : le Sporting n’est plus sous-estimé, on a mis nos cartes sur la table, on s’est mis plus de pression sur les épaules et l’adversaire ne commet plus les mêmes erreurs « .

Très proche du groupe

Pour ne pas tomber dans le piège du fléchissement, Mathijssen a toujours joué la carte de l’immersion au sein du groupe, que ce soit à Saint-Trond ou à Charleroi.

 » Quand il entraînait Saint-Trond, il était très proche du noyau « , explique Peter Delorge, capitaine actuel du STVV.  » Cela coulait de source puisqu’il était encore joueur huit mois avant de reprendre l’équipe en mains. C’était un bon vivant et il n’hésitait pas à venir boire un verre avec nous « .

Propos corroborés par Gunther Verjans, actif aujourd’hui à l’Antwerp :  » Il était toujours jeune d’esprit et vivait tout de l’intérieur. Chaque semaine, il y avait des repas entre nous et il participait à toutes ces sorties. Il mettait un point d’honneur à ce que l’on forme une famille et cela se ressentait inévitablement sur le terrain. Il faisait particulièrement attention de maintenir cette ambiance. Il se montrait très convivial mais à Saint-Trond, c’était difficile de ne pas l’être tellement l’atmosphère s’y prêtait « .

Certes, il était plus jeune à Saint-Trond et il connaissait parfaitement le noyau puisqu’il avait été le co-équipier de la plupart de ceux qu’il dirigeait. Mais, si les ingrédients sont différents à Charleroi, la recette continue de fonctionner.

 » Pour lui, être très proche du groupe constitue une chose essentielle « , ajoute Defays.  » Il sent tout de suite quand quelque chose ne va pas « .

Et le coach de confirmer :  » Je veux tout savoir et tout sentir. Je parle avec les joueurs. Pour moi, un entraîneur, ce n’est pas quelqu’un qui met un papier sur le mur pour annoncer sa sélection et qui ne donne aucune explication aux joueurs. Il faut se montrer franc avec chacun. J’essaie d’être le plus honnête possible et d’être le même entraîneur pour tous les éléments du noyau, que ce soit Fabian Cremers ou Bertrand Laquait. Pour moi, ils ont les mêmes droits et les mêmes obligations. Et je les respecte autant l’un que l’autre. Ce qui me ferait plaisir, c’est que les joueurs de Saint-Trond disent de moi que j’étais disponible pour tout le monde. Cela me rendrait plus fier que d’entendre des louanges sur mon travail ou mes résultats. Et j’espère que l’on dira cela aussi de moi à Charleroi quand je partirai « .

 » Si tu as des problèmes, tu peux toujours aller le voir, il te prêtera une oreille attentive « , renchérit Delorge.

Mais, derrière cette façade très humaine, Mathijssen présente également un côté plus sévère.  » J’ai précisé que j’essayais d’être disponible mais on ne l’est pas toujours, que ce soit vis-à-vis de la presse ou des joueurs. Moi aussi, j’ai mes mauvais jours « . Ce côté sévère s’explique également par sa passion pour son travail. Là, il devient pointilleux.

 » Il a l’£il pour les détails « , commente Delorge.  » C’est ce qui fait de lui un entraîneur complet. Il veille à ce que mentalement, tu sois bien dans ta tête et il essaye d’apprendre des choses tactiques et techniques aux joueurs. Il s’occupe de tout ce qui forme un footballeur « . Quant à Verjans, il ajoutera simplement que  » c’est une personne qui exige beaucoup de son groupe. Il veut obtenir le maximum « .

Arrivé en pleine tempête à Charleroi, il a directement consolidé les fondations.

Un joueur :  » Quand on répète les phases de jeu, il est particulièrement attentif et il nous oblige souvent à recommencer quand c’est bâclé. Il demande beaucoup de choses à ses titulaires et remplaçants, mais ce ne sont quand même pas des choses extraordinaires. Il met l’accent sur la concentration et la rigueur, et le noyau est conscient qu’à chaque fois qu’il a respecté les consignes, cela a payé « .

Simplicité, ténacité et nervosité

Car pour que le message passe, Mathijssen ne lance pas de grands discours.

 » Il disait simplement à chacun qu’il devait croire en ses possibilités et que chacun avait des qualités, sinon il ne ferait pas partie d’une équipe de D1. Et puis, il poussait chacun à oser des gestes audacieux « , dit Delorge.

 » J’essaie d’anticiper le plus possible les événements « , se défend Mathijssen.  » Je sais que cela ne sert à rien de parler aux joueurs de toutes les situations qui ont peu de chances d’arriver. Je me braque sur l’une d’elles dont je suis certain de la voir se dérouler de temps en temps. Et parfois, lors de la théorie, j’énonce une deuxième idée qui est plus aléatoire. En dégageant seulement une ou deux idées, je simplifie le message. Si je vois que suite à certains événements de match, je dois rectifier le tir, je le fais sur le terrain durant la rencontre « .

En bref, l’entraîneur résume tout ce qu’il sait en deux idées maîtresses qu’il lâche à ses joueurs. A lui de changer son fusil d’épaule lors des rencontres. Ce qui peut expliquer sa nervosité et son excitation particulière sur le banc de touche.

 » Il vit son match à 100 % « , explique Frank Defays.  » Je n’ai pas encore eu l’occasion d’être sur le banc, mais il paraît que c’est chaud. Comme s’il cadenassait toute son énergie pendant la semaine et qu’il la faisait exploser le jour du match « .

Mais est-il plus nerveux maintenant que lors de ses débuts ? Est-ce le fait d’être à l’aube d’une carrière qui pourrait prendre son envol ?  » Il était déjà comme cela à Saint-Trond « , corrige Verjans,  » et quand il évoluait encore comme gardien, il avait déjà ce côté têtu. C’est une tête dure et quand il a quelque chose dans la tête, il poursuit son idée. Il a du caractère et il essaie de l’insuffler à son groupe lors des rencontres « .

Et si cela peut s’avérer comme une qualité, cela peut également se retourner contre lui, comme en témoigne son exclusion à Genk qui lui vaudra une suspension de banc de touche d’un mois.

 » On doit toujours exagérer son comportement sur un banc de touche « , argumente Mathijssen,  » Je suis là pour aider. Si j’étais persuadé d’être impuissant, je resterais assis les bras croisés, mais ce n’est pas le cas. Je crois sincèrement que je peux faire passer un message. Et dans cette ambiance de match, avec le bruit et l’enjeu, si tu veux aider ton équipe, tu es obligé d’exagérer. Mais c’est vrai que, sur le banc, je n’ai peut-être pas trouvé le bon équilibre. Je devrais sans doute changer mon comportement. Cependant, je peux être fâché sur un arbitre ou un joueur pendant la rencontre, mais une fois le coup de sifflet final donné, c’est fini. Je redeviens calme et posé « .

Un accident bénéfique

Il reste alors juste à cerner l’indétectable. Cette petite part de lui qu’il cache comme cette cicatrice qui lui vient de son terrible accident survenu alors qu’il jouait à Lommel, en 1997. Quand il faillit perdre la vie après avoir percuté de la tête un attaquant du RWDM, ses convictions ont été ébranlées pour la première fois.

Et si c’était là le début de sa méthode basée autant sur la rigueur que sur le plaisir ?  » Ce qui m’est arrivé remet directement les pieds sur terre. Tu retrouves l’essence même de la vie : sentir que l’on t’entoure, que l’on t’aime et que l’on te respecte. Depuis lors, il y a une part de moi qui s’est toujours dit qu’il y avait bien une raison pour laquelle j’étais encore ici. Je suis sûr que quelque chose de spécial m’attend. Et puis, cela t’aide aussi à tout relativiser et à penser à ce qui va suivre. Cela se ressent aussi dans mon travail d’entraîneur. Par exemple, dans la seconde où l’on marque, je réfléchis aux moyens à employer pour ne pas connaître de relâchement car, statistiquement, un autre but tombe souvent dans les cinq minutes suivantes. J’anticipe déjà…  »

 » Jacky Mathijssen est quelqu’un d’ambitieux. Cela se voit à sa manière d’entraîner, de préparer les matches avec des analyses avant et après les rencontres « , explique Gunther Verjans. Et c’est sans conteste son ambition qui a l’a fait quitter Saint-Trond à un moment où il sentait que le club ne désirait plus investir pour continuer à aller de l’avant.

 » Il avait vu qu’il ne pouvait plus aller plus haut avec ce groupe et il sentait que les finances du club s’effritaient « , ajoute Verjans. La question de son avenir à Charleroi ne manque pas de se poser puisqu’il a toujours clamé haut et fort qu’il ne resterait dans un club que deux ou trois ans maximum, et ce même s’il vient de prolonger.

Mathijssen :  » Je suis persuadé que si un club garde la même base, ta vie dans ce groupe est limitée. Je suis quelqu’un qui n’hésite pas à montrer mes fautes et mes émotions en m’investissant à fond et si je vois que le club, quel qu’il soit, ne veut pas progresser avec moi, je ne reste que deux ans au maximum. Cependant, à Charleroi, j’ai trouvé un club capable de grandir et d’accueillir du talent. La différence entre moi, gardien de but et moi, entraîneur, c’est que lorsque j’étais gardien, j’ai senti mes limites. En principe, avec le corps qui était le mien, ce n’était pas possible de jouer 15 ans en D1. Maintenant, comme entraîneur, je n’ai pas encore trouvé mes limites. Je peux encore évoluer, grandir et je le veux « .

Stéphane Vande Velde

 » On doit toujours exagérer SON COMPORTEMENT SUR LE BANC  »

 » DANS LA SECONDE où on marque, je réfléchis aux moyens de ne pas se relâcher  »

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