Psychologiquement pas prêt

La Coupe du Monde aura lieu en Asie dans un an. Elle sera coorganisée par le Japon et la Corée. Impressions du Japon.

Si vous êtes à la recherche de quiétude, vous ne devez pas passer quelques jours à Tokyo. Un simple regard sur les transports en commun, en surface ou souterrains, suffit à vous rendre malade. Il n’y a aucun doute là-dessus: si autant d’Européens devaient partager la même superficie, ils se taperaient dessus rapidement.

La masse de gens qui vivent dans la capitale japonaise suit une étiquette sociale très stricte. L’air est extrêmement pollué mais tout est prévu: les habitants se protègent la bouche avec de petits mouchoirs. La vie est très chère. A moins de survivre à coups de boîtes de café froid que proposent les distributeurs automatiques, vous êtes sûr de vous exposer à des frais colossaux. Pour le prix qui vous donnerait droit, ailleurs dans le pays, à une confortable chambre d’hôtel, vous n’obtenez à Tokyo qu’une espèce de cellule où vous avez tout juste la place pour ouvrir votre valise.

Mais vous pouvez oublier votre portefeuille quelque part et être sûr qu’on vous le renverra à l’autre bout du monde, intact, s’il le faut. Les Japonais craignent la pluie. Lorsqu’il pleut, ils ne sortent que s’ils y sont contraints et presque personne n’assiste aux matches de foot.

Les bêtises de la FIFA

On peut aussi se demander si la Fifa World Cup 2002 devait avoir lieu au Japon et en Corée du Sud? « L’ironie de la situation, c’est que beaucoup de gens pensent que le Japon et la Corée du Sud se ressemblent et s’entendent alors qu’ils sont deux extrêmes, tant du point de vue du caractère que des coutumes, de la cuisine et du footballl ».

Ces paroles sont de Fred Varcoe, le responsable du sport au quotidien Japan Times. Cet Anglais habite depuis plus de dix ans à Tokyo et a épousé une Coréenne : « Les Japonais sont plutôt calmes et passifs. Ils prestent de nombreuses heures mais c’est surtout dû au fait qu’ils ont besoin de beaucoup de temps pour tout régler. Les Coréens sont plus expressifs, agressifs et durs. Ils donnent l’impression d’être moins bien élevés et moins agréables mais ils sont plus sincères. Les Japonais rechignent à s’exprimer directement. On le voit dans leur football. Il est bien organisé mais manque d’initiative, de culot et de flair individuel. Les Coréens ne sont pas patients. Ils veulent tout en vitesse. Leur football est un peu décousu. Très agressif et rapide, il s’appuie sur une mentalité ultra-offensive. Parfois superbe à voir mais aussi très risqué ».

S’il n’y avait que ça… Il y a surtout ce problème historique qui oppose les deux nations depuis toujours et qui vient encore de susciter une querelle politique, quand le Japon a publié son histoire d’une manière un peu trop subjective. La Corée n’a en effet jamais oublié la répression honteuse que le Japon lui a imposée durant la première moitié du vingtième siècle. Elle n’a pas davantage admis que les vingt mille victimes coréennes qui travaillaient à Hiroshima lorsque la bombe atomique a ravagé la ville ne soient mentionnées sur aucun des monuments du parc de la paix. La discrimination criante dont les personnes d’origine coréenne ont été victimes au Japon dans les décennies suivantes n’ont pas davantage disparu de la mémoire collective.

 » Sepp Blatter était opposé à une coorganisation », explique Fred Varcoe. « Mais une fois le troisième candidat, le Mexique, éliminé, la FIFA ne pouvait plus faire autrement. Elle ne voulait pas octroyer l’organisation à l’un des deux candidats. Ce n’était pas politique. La FIFA a pensé à l’importance du développement du football dans ces deux pays. Comment octroyer l’organisation au Japon alors qu’il n’avait encore jamais atteint un tour final alors que la Corée du Sud y était déjà parvenue à quatre reprises? Même si son économie est en récession, depuis lors, le Japon constitue évidemment un marché extrêmement important et demeure un pays très prospère. La FIFA pouvait donc y faire de l’argent facile. Mais la coorganisation a engendré une situation extrêmement délicate. Elle réunit deux nations d’abord rivales pour l’attribution de cette Coupe et maintenant obligées de collaborer. Les deux pays en ont conclu que leur véritable ennemi n’était autre que la FIFA. Tout a foiré dès le début.

Il est incroyable que la FIFA ne se soit déplacée ici que cinq fois, au vu de tous les problèmes qui se posent. Elle aurait dû installer un bureau en Asie dès 1996, pour guider les deux pays et prendre les décisions adéquates. Mais non, le coordinateur FIFA pour le Mondial 2002 est basé à Kuala Lumpur, en Malaisie. C’est évidemment un bullshit incroyable ».

Quelle réaction japonaise face à la fièvre du foot étranger?

Fred Varcoe a suivi la Coupe des Confédérations au Japon, le mois dernier. Il s’agissait de la répétition générale du Japon : « Les stades sont pour ainsi dire prêts. Je ne pense pas qu’il y aura des problèmes financiers. Même s’ils prétendent manquer d’argent, ils en ont assez pour organiser une Coupe du Monde. Je suis sûr qu’ils peuvent d’ailleurs en trouver davantage, par exemple en augmentant les contributions des gens comme moi.

Les places seront certainement toutes vendues. Sur ce plan, il n’y aura aucune perte financière. Je ne sais pas si les stades seront combles pour autant. Comme le tirage au sort n’a lieu qu’en décembre, il est fort possible que des gens qui ont acheté un billet dans l’espoir d’assister à Brésil-Pays-Bas doivent se contenter d’Australie-Bulgarie. Ces gens-là se donneront-ils la peine d’assister quand même à la rencontre? Je l’ignore.

Selon moi, en fait, le Japon n’est pas prêt sur un seul plan: l’aspect psychologique. Les gens ne comprennent pas vraiment ce qui se prépare ni ce qu’un tel événement sportif représente, pour leur pays. J’ai parfois l’impression que les Japonais s’imaginent qu’il s’agit d’un événement mineur. Tous ces supporters qui vont débarquer ici, venus de 32 pays. Le peuple japonais va être un peu choqué. Non seulement la culture footballistique leur reste un peu étrangère mais ils ne connaissent pas non plus le style européen. La J-League professionnelle ne date que de 1993. Elle se porte très bien, jamais le football n’a été aussi populaire mais l’ambiance est paisible, sans chahut ou noyaux durs. Face à l’explosion de fièvre footballistique que vont importer les supporters des autres continents, les gens vont avoir peur. Je ne suis pas sûr que les villes soient prêtes à accueillir tous ces étrangers.

Je suis également curieux de voir comment on réagira à la violence. Les Coréens répondront, c’est certain. Ces gens ont tous servis à l’armée pendant de nombreuses années, ils ne se laisseront pas malmener par des hooligans. Déjà qu’un Coréen ne se risquera pas à se battre avec une femme car les Coréennes ont toutes appris le taekwondo (il rit). J’ignore comment les Japonais réagiront. Ils seront confrontés à un phénomène nouveau. Je ne pense pas qu’ils veuillent se battre, ne serait-ce que pour préserver leur image internationale. Une ville comme Tokyo me paraît extrêmement difficile à contrôler pour les forces de l’ordre.

Sendai constitue un autre problème potentiel. Le stade se trouve à une heure de la ville, dans un bois. Les supporters doivent effectuer la navette en train puis en bus. Indépendamment du fait que les trains sont déjà bourrés maintenant, je me demande combien de bus il faudra pour transporter cinquante mille personnes? Imaginez qu’on y joue Angleterre-Allemagne. Je ne sais pas si les supporters seront disposés à faire gentiment la file après le match pour attendre le bus 500…

Les vols opérant la jonction entre la Corée et le Japon constituent le principal problème. La capacité hebdomadaire maximale est de 80.000 places mais il faudra sans doute la porter à 400.000. J’ignore comment on va résoudre ce problème. C’est pour ça qu’il est stupide de faire changer les équipes de pays après le premier tour au lieu de faire simple jusqu’à la finale. La FIFA commet là une grave erreur » .

Christian Vandenabeele, envoyé spécial à Tokyo.

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