Psychologie, diplomatie, stratégie

Les entraîneurs des Lakers et des 76ers ont joué sur tous les tableaux cette saison.

Ce n’est pas un hasard si Robert Waseige -qui rime, non sans raison, avec stratège- est féru de basket-ball et de NBA en particulier. En matière de finesse tactique, d’intellectualité pourrait-on même dire, ce sport taquine sans cesse les sommets. Et très souvent, dans les dernières minutes d’une rencontre surtout, les plans élaborés frôlent le suprême.

Derrière le symbolisme des petites croix, des flèches, des traits et des cercles tracés sur un tableau noir se trouvent des maîtres tacticiens qui se doublent de professeurs. Larry Brown et Phil Jackson sont évidemment de ceux-là. Chacun à leur façon.

LE COMPAGNON BÂTISSEUR

A la tête des Philadelphia 76ers depuis 1997, Larry Brown correspond entièrement à ce qu’un employeur américain exige de son employé : du progrès et rien que du progrès! Après une première saison catastrophique (31 victoires et 51 défaites, soit une moyenne de 37,9 %), il a merveilleusement redressé la barre en passant successivement à 56 %,59 % et, cette saison, à 68 % de victoires. On ne peut pas rêver mieux.

Tout au long de sa carrière de coach, qui dure depuis 26 ans au sein de six équipes différentes avec quelques allers et retours, le père Brown a bâti, enseigné, conseillé, gagné et puis changé d’air pour recommencer le même cycle.

« Ça m’a pris pas mal d’années pour arriver où je suis », explique-t-il. « La plupart du temps, quand les équipes gagnent, elles ne font pas appel à un nouvel entraîneur. D’ailleurs, je pense qu’il est plus difficile d’entraîner une bonne équipe. Il doit être ardu de tirer le maximum de vedettes. J’ai toujours eu des jobs dont personne ne voulait et ce ne furent pas toujours des réussites. »

La modestie l’étouffe. Il n’a connu en tout et pour tout que trois saisons négatives. C’est peu. En contrepartie, il est vrai, durant toutes ces années, le natif de Brooklyn n’a jamais remporté le moindre titre national, et en soi, c’est une lacune difficile à assumer.

A chacune de ses équipes (Denver, New Jersey, San Antonio, L.A. Clippers, Indiana et Philadelphie), il a inculqué l’importance d’une défense en béton, d’une grande cohésion, d’un équilibre et d’une solidarité à toute épreuve. C’est par conséquent avec dépit qu’il a hérité d’ Allen Iverson, arrivé à Philadelphie en 1996 après deux années passées à l’Université de Georgetown.

« A cette époque », se remémore le coach, « Allen m’irritait profondément par son irresponsabilité et je peux même dire sa provocation. Je ne vais pas rentrer dans les détails mais il arrivait par exemple tout le temps en retard aux entraînements et il les prenait par-dessus la jambe. Il estimait que dès le moment où il remplissait son rôle lors des matches, tout était bien et qu’il pouvait faire n’importe quoi. Inutile de préciser qu’entre nous, ça a souvent explosé. »

Il a fallu que le coach le menace, à l’entre-saison, de se débarrasser de lui pour que tout rentre dans l’ordre. « Ce fut le déclic. Une métamorphose complète. Depuis, Allen et moi sommes devenus de véritables amis. Plus je partage la vie des joueurs et plus je les comprends et ça m’aide à devenir non seulement un meilleur entraîneur mais aussi un conseiller, un confident et même un pote. »

Les joueurs le lui rendent bien et en particulier Iverson: « Le coach a remis pas mal de choses en perspective », dit-il. « Je crois en lui, je lui fais confiance. Il est très attentif et c’est surtout pour lui que je joue de manière aussi concentrée. Sans ses conseils, je ne serais pas où je suis. » Pour rappel, Iverson vient d’être élu meilleur joueur du meilleur championnat au monde.

LE CUEILLEUR DE LAURIERS

La bague, ici, est le symbole du succès. Offerte indifféremment à l’homme ou à la femme, elle consacre des étapes importantes de la vie. Le diplômé en reçoit une, sur laquelle est gravée l’année de sa « graduation ». On la décerne aussi au sportif qui conquiert un titre. Phil Jackson, l’entraîneur des Lakers, n’aura bientôt plus assez de doigts pour porter ses anneaux. Après six titres (en neuf ans!) avec les Chicago Bulls, il fait à nouveau la course en tête avec les Lakers, qui risquent bien de ne pas s’arrêter en si bon chemin. Pour lui, pas question de construire une équipe de but en blanc. Son truc à lui, c’est d’attacher l’arbrisseau au sommet du gros oeuvre, pas de poser les briques une à une.

A Chicago, il a croisé le meilleur joueur de tous les temps: Michael Jordan. Il l’a épaulé d’un fidèle serviteur, Scottie Pippen, et les titres ont déferlé sur les plages du Lac Michigan. Après une année de repos, il a accepté de présider aux destinées des Los Angeles Lakers en juin 99.

Jackson réussit ce que peu d’autres parviennent à faire: travailler avec des mégastars. « Au cours de mon année sabbatique », explique-t-il, « j’ai parlé avec de nombreux clubs de la NBA. J’ai dû réfléchir et imaginer ce que ça pouvait être de disposer d’un joueur issu du draft et de perdre peut-être une soixantaine de rencontres pendant deux ou trois saisons avant de voir le bout du tunnel. Cette perspective ne m’a pas séduit. Mon expertise est probablement de jeter mon dévolu sur de bonnes équipes et de les amener à un niveau supérieur encore. Mon truc à moi, c’est de travailler avec une base solide, et non pas de battre la campagne pour dénicher l’oiseau rare ici ou à l’étranger, sélectionner des équipiers complémentaires et puis former tout ce petit monde. J’ai besoin de joueurs matures et prêts. »

Sa recette, sur papier tout au moins, est simple: « Le coaching, c’est de la vente. C’est vendre des principes, des techniques, des stratégies. C’est aussi se vendre. Gagner la confiance des joueurs et les convaincre qu’ils doivent donner le meilleur d’eux-mêmes mais surtout qu’ils doivent jouer en équipe, les uns pour les autres. »

On ne peut s’empêcher ici de penser à la querelle intestine entre Shaquille O’Neal et Kobe Bryant. Une lutte de prestige entre les deux joueurs-phares des Lakers dont Phil Jackson est resté relativement à l’écart. Ferme mais pas sévère, il reste fidèle à sa ligne de conduite du non-interventionnisme. « Les joueurs sont des adultes », aime-t-il à répéter, « et tôt ou tard, ils se rendent compte de leurs erreurs et les corrigent eux-mêmes. Il y va de leur propre intérêt. » Serein et confiant, deux qualités qu’il puise dans les lecteurs et méditations philosophiques, le plus titré des entraîneurs inspire lui-même ces traits à ses propres joueurs. Un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, il contribue à l’épanouissement des moins douées de ses ouailles.

Tactiquement, Jackson aime surprendre. Adepte du triangle offensif, il aime souvent rendre le jeu aussi limpide que possible. Mais pas nécessairement simple. Les stratégies qui sous-tendent ces mouvements sont très élaborées. A Chicago par exemple, elles permettaient à Michael Jordan de déployer son plein potentiel et à ses coéquipiers de s’épanouir et de devenir de meilleurs joueurs, tactiquement surtout. « Un terrain rempli de joueurs compétents », expliquait le gourou, « augmenterait la difficulté pour l’adversaire de contrer Jordan. » Il avait raison. Si la moyenne des points personnels de la superstar baissa quelque peu après la venue de l’entraîneur, l’efficacité du joueur atteignit rapidement des sommets.

Parfois aussi, il sort de son chapeau de magicien quelques lapins roses. Un exemple. Dès sa première année à Los Angeles, et en dépit de la tradition « hollywoodienne » du club (le show, donc des paniers et encore des paniers), il a insisté sur l’aspect défensif du jeu. Résultat: les Lakers ont remporté 67 de leurs 82 rencontres de la saison régulière. Le record absolu en NBA. Autre record: sa moyenne de victoires, elle aussi la plus élevée de toute l’histoire du basket professionnel aux Etats-Unis: 73,8 %.

Mais ce ne sont pas les chiffres qui le font sourire. Pour lui, la vraie satisfaction, celle qui rend heureux, c’est à l’entraînement qu’il la trouve. « Quand une douzaine de gars se sont donnés à fond, ont travaillé dans la bonne humeur et appris ou amélioré un aspect de leur répertoire. » Le progrès, rien que le progrès!

Bernard Geenen, à Chicago

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