PROTOETOILE

Pierre Bilic

Les Mauves ont vu trop de gardiens météores et feront tout que l’ex-Louviérois s’adapte à sa nouvelle planète.

Un peu d’astronomie : l’évolution d’une protoétoile vers une étoile dure environ un million d’années. Le nuage de matière stellaire se condense lentement, au rythme de l’histoire du cosmos.

Mais s’il veut devenir une star chez les Mauves, Silvio Proto n’a pas la nuit des temps devant lui. L’ancien Louviérois devra se mettre tout de suite sur orbite sinon il se retrouvera vite, comme tant d’autres avant lui, à la belle étoile. Samedi passé, contre l’équipe anglaise de First Division (deuxième division) de Southampton, une équipe B d’Anderlecht, Proto étrenna sa nouvelle vareuse contre des durs. Pieds en avant, saignants comme des steaks dans les mains d’un boucher, ils ne lui ont pas fait de cadeaux et sa prestation fut assez hésitante. Dommage pour ses premiers pas dans son nouveau club…

Mais la défense était privée de ses éléments de base : Anthony Vanden Borre, Vincent Kompany, Hanu Tihinen et Olivier Deschacht. Proto signa une performance très moyenne et sa responsabilité fut engagée sur un but. Il manque de compétition et n’avait qu’un match amical jusqu’à présent avec La Louvière face à Nice. Ses dégagements furent souvent trop longs et imprécis. Il a besoin de temps afin de procéder à des réglages, à mieux communiquer avec sa défense.

Frankie Vercauteren a préféré ne pas faire d’analyse individuelle après le match. Il s’en est tenu aux globalités collectives. Intelligent, il ne veut pas se jeter tête baissée dans une radiographie de chaque gardien de but. Avant le match contre Bakou, le coach bruxellois avait même préféré que Proto s’entraîne à part. Il ne désirait pas que ce transfert prenne le pas, dans la tête, sur la qualification européenne. Mais Vercauteren nous a bien dit :  » Je veux un gardien qui gagne des points « . Or, Anderlecht a perdu en match amical à Southampton où Proto ne fut pas étincelant et ce n’est pas passé inaperçu comme cela aurait pu être le cas à La Louvière.

 » Silvio ne vit plus sur la même planète. « , affirme Jacky Munaron.  » Il devra s’y faire « .

Il faut le savoir : Anderlecht dévore ses gardiens de but et ne leur pardonne pas la moindre erreur. Le club s’est aussi fourré le doigt dans l’£il la saison passée en n’établissant pas une hiérarchie entre ses gardiens de but, ce qui a eu pour finalité d’emporter Daniel Zitka et Tristan Peersman vers le doute et de permettre au troisième larron, Jan Van Steenberghe, de jouer à la rustine. Les errements des gardiens de but, leurs incertitudes, leurs gaffes et leur incapacité à rapporter des points au groupe dans les moments de haute tension ont finalement empêché les Bruxellois de tenir la roue de Bruges.

Vercauteren, le maître mauve, et Munaron, l’entraîneur des gardiens de but d’Anderlecht, tempèrent cette analyse. Pour eux, le résultat d’un championnat est un tout : le total de 34 prestations collectives. Ils assument leur rôle, ne veulent pas faire porter plus de poids à un secteur qu’à un autre. Ce n’est pas l’avis des joueurs car entre les lignes, les sourires, les non-dits, et ce qu’on ne doit pas noter, on a deviné depuis longtemps que le groupe veut du solide devant ses filets.

Les attentes à propos du gardien de l’équipe nationale sont dès lors très importantes. Sera-t-il capable de les justifier sur le terrain et dans la vie de tous les jours ?

 » Pour nous, cela ne fait pas de doute « , avance Vercauteren.  » Si nous avons fait appel à lui, c’est qu’il répond à ces critères comme nos autres gardiens de but. A mes yeux, le rôle d’un gardien est facile à résumer : il doit gagner des points. Silvio est rapide, explosif, présent dans le trafic aérien, sait relancer le mouvement et a franchi beaucoup de paliers à La Louvière. Un gardien ne vit pas sur une île. Sa réussite sera celle du groupe. La communication ne devrait pas lui poser de problèmes. Il s’est déjà adapté à d’autres situations. Le jeu sera assez différent de ce qu’il a vécu jusqu’à présent. A Anderlecht, un gardien a peu de ballons à négocier. La concentration ne peut pourtant jamais être relâchée. Notre défense doit jouer haut et le gardien doit suivre : être capable de sortir de son grand rectangle, etc « .

 » Il a faim de succès  »

Munaron ne se fait pas trop de soucis à propos du défi mental et technique qui attend Proto :  » Anderlecht le suit depuis des années. Je l’avais remarqué lors d’un entraînement de jeunes internationaux au Stade Roi Baudouin. S’il plaisait déjà à tout le monde par sa gentillesse et sa tête d’enfant bien élevé, c’était un leader. Silvio donnait ses ordres, corrigeait le placement de ses arrières. Or, il ne parlait pas le néerlandais et la plupart de ses équipiers provenaient de clubs flamands. Cela ne l’a pas empêché de se faire comprendre. Sa jeunesse est un énorme atout. Il a faim de succès. Je me suis imposé à Anderlecht à 23 ans, plus ou moins au même âge que lui. Pourtant, Silvio a de gros avantages par rapport à mon aventure. J’avais longtemps patienté derrière les Nico de Bree, Friedrich Koncilia, etc. J’avais bien montré le bout du nez mais on avait même évoqué la possibilité d’un transfert avant que je ne saisisse ma chance. Silvio, lui, a déjà passé le cap des 100 matches en D1, a vu l’ambiance de la Coupe de l’UEFA, s’est adapté à plusieurs groupes au Tivoli, est devenu le gardien de l’équipe nationale dans des conditions difficiles. Geert De Vlieger s’était blessé et les Diables Rouges se cherchaient. Il a assuré cette succession puis, à Belgrade, a prouvé que la pression ne lui posait pas trop de problèmes. A Anderlecht, ce poids et celui de la concurrence sont quotidiens. Les autres gardiens ne lâchent rien non plus « .

Yves Vanderhaeghe apprécie la personnalité de Silvio :  » Un bon gardien de but n’est surtout pas un showman. Il doit opter pour l’efficacité, la simplicité, la sécurité. Il faut rassurer, intervenir au bon moment, être limpide. Silvio est solide dans sa tête. Il sait gérer les responsabilités, maîtriser tous les paramètres. Il avait été blessé avant le match de la Belgique en Serbie mais a vécu ce problème très sereinement, sans se stresser, avant de sortir un match de derrière les fagots. Cela a été une confirmation au top car il n’a pas tremblé et ce n’était pas facile. Il est très sympa, ouvert aux échanges, a déjà joué avec les trois-quarts de la défense d’Anderlecht en équipe nationale : Vanden Borre, Kompany, Deschacht, Sa lecture du jeu court ou long est bonne. Il possède un long dégagement de qualité. Il connaît son job et se fondra sans problème dans son nouvel environnement « .

Michel Piersoul l’a patiemment façonné à La Louvière et le suivra désormais à distance.  » Anderlecht va progressivement découvrir un phénomène « , avance l’entraîneur des portiers des Loups.  » A 22 ans, un gardien n’a pas atteint son sommet. J’aurais aimé bosser une saison de plus avec lui pour terminer le travail. Ce sera le rôle de mon collègue, Munaron. Silvio est un gros travailleur qui ne gamberge pas après un match. Il sait ce qui a été ou pas. Pas besoin pour lui d’un sophrologue pour analyser ses performances et gérer la pression. Silvio n’est pas un glandeur. Quand quelque chose cloche, il veut le savoir, cerne ce qu’il faut faire et en avant la musique. Il est solide mentalement, exigeant pour lui et pour les autres. A La Louvière, il a sans cesse poussé ses équipiers vers la performance. Au repos des matches, Silvio réveillait souvent tout le monde. Son tonus enrichit forcément un groupe. Puis, il y a les atouts sportifs qui ont attiré Anderlecht vers lui : facilité dans le trafic aérien, réflexes, solidité sur ses appuis, placement, vitesse d’exécution, déplacement latéral, relance extraordinaire avec des dégagements au pied très profonds. Il ne dégage pas à la Michel Preud’homme même si le ballon va aussi loin. Michel expédiait ses ballons très haut. Ses attaquants étaient grands, aimaient ce genre de ballons, les pivots les gardaient en attendant du renfort ou les déviaient. Mais les arrières adverses avaient aussi le temps de voir venir le ballon. Avec Silvio, nous avons beaucoup travaillé la volée tendue sud-américaine comme cela se fait surtout en Espagne et en Argentine. Du plat de la main, le gardien présente le ballon dans la direction et le percute en volée. La trajectoire est profonde, plus rapide, précise et moins élevée. L’attaquant la réceptionne plus confortablement, sur la poitrine, dans les pieds et le défenseur adverse a moins de solutions, commet plus de fautes « .

C’est un élément de réflexion qui intéresse Mbo Mpenza : Anderlecht joue souvent dans des espaces restreints et il faut exploiter à fond la moindre possibilité de monter un contre. Si le gardien réalise ses idées avec vitesse et précision, c’est du temps gagné. Une fraction de seconde permet de créer plus facilement la surprise. Et si le ballon est précis et plus facile à négocier, cela constitue d’autres facteurs très importants. Comme je ne suis pas un pivot, j’adore forcément ce genre de ballons. C’est une des spécialités de Silvio « .

 » Il ne faudrait pas qu’on lui pourrisse la face  »

Munaron :  » Cet atout est important et sera cultivé dans un autre contexte. Ces dégagements seront moins nombreux à Anderlecht. Au Tivoli, si Proto en ratait un, ce n’était pas grave. Il avait aussi plus de temps pour calibrer ses relances. Pas à Anderlecht où tous les espaces adverses sont contrôlés. Pour bien relancer, il faut réagir, dégager très vite et avec grande précision. Il y a une terrible différence de rythme qu’on travaille. Silvio s’en est rendu compte dès le premier entraînement avec le groupe. Je l’ai observé : à un moment, il avait la figure bien rouge tant cela allait vite. Tout est exécuté tout le temps à du 200 à l’heure. Et cela ira de plus en plus vite. Or, la précision ne peut pas en souffrir « .

Avec son 1,84 m et ses 79 kilos, Proto n’est pas du style de Bree, cet hercule des rectangles, mais est plus proche du style Preud’homme. Il est vif, très rapide avec une prise de balle en mouvement qui lui permet d’enchaîner tout de suite la phase suivante et même d’être capable de réagir en cas de perte de balle. Un gardien puissant qui se contente d’aller au contact n’a pas ce temps de réflexion d’avance. Piersoul rappelle que Proto était le plus rapide du groupe sur 10 et 20 mètres à la Louvière. Droitier, il a beaucoup travaillé son pied gauche. Si certains gardiens exigent qu’on leur propose un ballon sur leur côté préféré, Proto est plus à l’aise à droite mais ne sera pas en difficulté à gauche. A La Louvière, il ne prenait pas de risques, dégageait en touche en cas d’alerte rouge.

 » A mon avis, Silvio jouera plus facilement avec les arrières d’Anderlecht « , avance Munaron.  » Ils sont doués techniquement et le gardien de but comprend plus aisément leurs intentions. Cette connaissance commune se travaille aussi en semaine. Il a tout mais il devra encore aller plus loin, tous les jours, tout le temps. Jouer à Anderlecht, c’est cela. J’ai connu Koncilia à Anderlecht. Un monument autrichien. A l’entraînement, c’était la classe mondiale. Je n’avais jamais vu cela. En match, c’était différent. Il était écrasé par le prestige du club. Ici, on gagne, c’est ce qui compte le plus. Cela passe par l’attaque mais s’il y a défaite, le gardien est celui dont on parle le plus alors que la vérité est le plus souvent collective. C’est souvent injuste mais c’est ainsi et marquer un but contre Anderlecht est un événement. La pression des médias est permanente. Koncilia n’a pas résisté à ce poids mais est redevenu lui-même en Autriche et a même réalisé une bonne phase finale de la Coupe du Monde 78 en Argentine. La saison passée, c’est finalement le plus taiseux, Van Steenberghe, qui fut le plus efficace. Un an plus tôt, Anderlecht avait pourtant été champion avec Zitka et Peersman…  »

Il y a beaucoup d’autres cas de crashes impressionnants. Ainsi, Ranko Stojic, qui avait cassé la baraque durant deux ans au FC Liégeois, fut acquis avec ambition. Il quitta le banc à l’issue d’un match de gala d’avant saison car Aad de Mos ne l’avait pas aligné au moins une mi-temps et lui préféra Filip De Wilde pour la circonstance. Moustache de fer ne l’oublia pas. Stojic ne joua pas un match de championnat (!), fut transféré à Charleroi et prolongea brillamment sa carrière, notamment à Seraing. Se gérer, contrôler ses émotions : c’est vital à ce niveau. Plus loin dans le temps, d’autres détails, privés ceux-là, brisèrent la carrière d’ Arpad Fazekas. On affirmait que ce Hongrois aurait eu une liaison amoureuse avec l’épouse d’un de ses équipiers. Sa maîtresse lui aurait même offert, disait-on, 50.000 francs et il fut même question d’un vol chez cette dame. Une sombre affaire qui coula le gardien auteur, de plus, d’une prestation catastrophique en Coupe des Champions contre le FC Dundee en 1962-1963.

Et la pression augmente encore quand les critiques viennent des… équipiers, comme celles de… Peersman.  » A distance, je n’ai pas du tout compris. « , affirme Michel Piersoul.  » Il ne faudrait pas qu’on lui pourrisse la face ( sic). Qui est Peersman par rapport à Proto ? Zitka a été le plus correct, s’est abstenu de tout jugement. Pour le reste, je viderais le vestiaire au profit d’un jeune mais ce n’est pas mon problème. Les gardiens, c’est un monde à part. Ils vivent ensemble et s’il n’y a pas de respect et d’hiérarchie, il suffit d’une pomme pourrie pour que ce soit la catastrophe. A La Louvière, il y avait un numéro 1, un numéro 2 et un jeune « .

 » Il devra vite montrer les dents  »

Anderlecht n’est pas le Tivoli et a besoin de plusieurs gardiens de but afin d’être présent sur tous les tableaux.  » Pour durer, il faut se concentrer sur son métier. « , répète Jacky Munaron.  » A sa place, je n’écouterais pas ce qu’on raconte dans les médias « . Proto a la chance d’avoir un couple solide et s’établira dans le Brabant wallon afin d’être rapidement sur le lieu de son travail. Sa compagne a fait des études de langues et il s’est promis d’apprendre au plus vite le néerlandais. Munaron en avait fait de même et cela lui avait permis de s’intégrer plus facilement dans un club bilingue. Michel Preud’homme s’est rapidement exprimé en néerlandais à Malines et son image médiatique nationale n’en fut que plus forte.

 » Nous avons des gardiens trop gentils « , rappelle Nenad Jestrovic.  » A ce poste-là, comme à d’autres, il faut être une personnalité qui montre les dents. Le charisme pour un gardien, c’est important. Il tient la clef de notre coffre. Tout le monde rêve de réaliser un hold-up, de mener à la marque et de boucher sa cage. Ce n’est déjà pas facile mais si le gardien n’est pas à la hauteur, c’est délicat. A Belgrade, je me suis présenté deux fois face à lui. Je n’ai pas été parfait mais, lui, il l’a été. Il m’impressionnait déjà mais, là, ce fut fort. Il a de la présence. Silvio est rassurant et si cela convient à la défense, il en va de même pour l’attaque « .

Munaron est bien placé pour parler du stress et de la tension permanente. Il accompagnera Proto dans cette découverte tant à Anderlecht qu’en équipe nationale :  » Au Sporting, le gardien est sous tension tout le temps. Et je l’étais même plus quand je n’avais pas beaucoup de travail. Si on n’a que deux ballons il faut bien les négocier. Cela demande une concentration de tous les instants et j’étais plus vidé après un match sans ballons chauds. Je n’avais pas l’occasion d’évacuer la tension. Anderlecht est présent sur la scène internationale et il faut souvent s’adapter à d’autres styles de jeu. Ce n’était pas le cas de La Louvière malgré un séjour en UEFA. Tout peut et doit être couramment corrigé. Même si La Louvière a souvent joué en ligne et disposait d’une bonne défense, Anderlecht joue encore beaucoup plus haut. Ces 20 mètres en plus, c’est le problème de beaucoup de gardiens. C’est un écart immense qu’il faut apprendre à gérer pour sortir au bon moment, être un keeper volant en cas de nécessité. Cela demande du temps, du travail, des automatismes, du caractère. Silvio en a : on ne va pas à la guerre avec des nouilles. S’il a encore une marge de progression ? 20 % ? C’est évident. On va travailler tout ça…  »

1. Henri Meert (33 x Diable, 75 ans)

2. Jean Trappeniers (12 fois Diable Rouge, 63 ans)

3. Jan Ruiter (Pays-Bas, 58 ans)

4. Jacky Munaron (8 fois Diable Rouge, 48 ans)

5. Filip De Wilde (68 fois Diable Rouge, 4O ans)

Pierre Bilic

 » Le rôle d’un gardien est clair : il doit GAGNER DES POINTS  » (Frankie Vercauteren)

 » Silvio n’est PAS UN GLANDEUR  » (Michel Piersoul)

 » Un bon gardien de but n’est SURTOUT PAS UN SHOWMAN  » (Yves Vanderhaeghe)

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