Prothèses, broches et anti-inflammatoires

Leurs actions ont enchanté les supporters. Mais quel prix les ex-footballeurs paient-ils dans leur vie de tous les jours?

Il y a quelques mois, Enzo Scifo a prononcé ces mots en mettant fin, abruptement, à sa carrière active : « Un jour, je devrai porter une prothèse à la hanche ». Un an avant lui, Philippe Albert, touché au genou, a également dû renoncer prématurément au football. Dirk Medved souffre tellement de sa cheville qu’il doit consommer régulièrement des médicaments. Marc Wilmots vient de subir la énième opération de sa carrière. Il avoue lui-même être capable d’arrêter du jour au lendemain s’il le fallait, pour ne pas hypothéquer le reste de sa vie.

Tous sont encore jeunes. D’autres le sont moins, mais leur carrière les a « rattrapés » au tournant: la succession de chocs et d’efforts a prématurément usé leur corps. Heureusement, ces cas graves semblent ne constituer qu’une minorité. Tous les joueurs ne sont pas égaux face au destin: un traumatisme important peut encore mettre fin à une carrière, des erreurs se produisent encore, malgré les progrès de la médecine, et l’usure ne frappe pas tous les sportifs de la même façon.

Philippe Albert : plus de tennis, plus de golf!

Philippe Albert (34 ans) a été opéré des ligaments croisés en 1994, alors qu’il venait d’être transféré à Newcastle. A la longue, même si, d’après lui, son genou était redevenu stable et n’avait subi aucune perte musculaire, le cartilage s’est irrité. Le moindre effort provoquait gonflements et douleurs. Transféré à Charleroi à l’aube de la saison 1999-2000, il s’est blessé en février, à l’entraînement, tout seul.

« On a procédé à une arthroscopie. J’avais une chance sur deux de rejouer. La rééducation s’est bien déroulée, jusqu’au moment où j’ai augmenté le rythme des entraînements et de la course. Ça n’allait plus. J’ai préféré renoncer ».

Albert ne peut faire ce qu’il veut. Passionné de golf, il reste sur sa faim. « Dès que je reste debout trop longtemps, j’ai mal au genou. J’espère reprendre le golf dans quelques mois. Je ne peux pas courir ni jouer au tennis. J’aimais bien mais après un match, je suis out pour deux ou trois jours. Pour me maintenir en forme, je fais du cardio tous les matins, essentiellement du step et du vélo. Ça m’aide à conserver mon poids de forme et donc à ménager mes articulations. Je ne cultive pas de regrets. Ce n’est pas dans mes habitudes. Je savais que mon genou s’userait. Couper les ponts du jour au lendemain a toutefois été dur, comme arrêter de faire du sport. Les contacts deviennent plus rares, on perd tout le monde de vue ».

Christian Piot : genou bloqué

« J’ai été opéré à cinq reprises, au même genou! Les ligaments croisés, le ligament antérieur, la capsule, une attache musculaire rompue, j’ai tout eu », explique Christian Piot (54 ans). « Les quatre premières interventions ont été effectuées dans le but de me guérir et de me permettre de rejouer mais il n’y a pas eu d’amélioration entre la troisième et la quatrième opération. Ma carrière était donc achevée et on a essayé de stabiliser mon genou, pour m’assurer une vie normale. Le Pr. Jodoigne a prélevé un tendon du mollet pour le fixer au genou, qu’il a bloqué à 90° en flexion. Ça veut dire que je ne peux pas ramener mon pied sur mes fesses. Ni même faire de vélo, faute de flexion. Par contre, je peux encore frapper le ballon et entraîner… sinon le Standard ne m’aurait pas engagé pour m’occuper des gardiens! Avec les années, l’arthrose s’en est mêlée. Je peux faire la météo. Certains mouvements sont impossibles. Je ne pratique pas de sport. Je n’ai pas voulu prendre de risques. J’ai disputé quelques matches de bienfaisance, mais avec prudence. Je me suis fait une raison. Se lamenter ne sert à rien. Le football n’a pas nui à ma santé. Il s’agissait d’accidents de jeu. Je pense que quelqu’un comme Paul Van Himst a été bien plus exposé. Celui-là, ses adversaires le cherchaient! Un gardien souffre moins d’usure que les joueurs de champ, je pense ».

Henrik Andersen: complètement rouillé.

Juin 1992. Rappelé de vacances in extremis pour participer, avec le Danemark, à l’EURO suédois, à la faveur de la suspension de la Yougoslavie, en pleine guerre, Henrik Andersen (36 ans) s’apprêtait à vivre une fête. Qui tourna au cauchemar. Nul n’a oublié les images insoutenables de son genou déboîté, presque arraché de son corps, alors que les caméras effectuaient sur le joueur allongé au sol, des plans du genou massacré. Diagnostic: fracture de la rotule. Un an plus tard, c’était au tour du genou gauche et des ligaments croisés. En 1994, le joueur du FC Cologne était opéré du ménisque, sans oublier ses chevilles: une opération des cartilages de la cheville droite, et un pied gauche qui se déboîtait au moindre mouvement brusque. « J’avais eu trop de blessures pour retrouver le niveau de la Bundesliga. Jusqu’à l’âge de 27 ans, j’avais été relativement épargné, à l’exception d’une opération à la cheville en 1982 et d’une aux abdominaux en 1987. J’ai disputé mon dernier match parmi l’élite en novembre 1997″.

Devenu manager FIFA, Henrik Andersen n’est plus remonté sur un terrain pendant trois ans, dégoûté par les tourments traversés. Puis, la saison passée, l’envie lui en est revenue. « Je me suis réentraîné avec l’AS Eupen et j’ai disputé quelques matches de D3. Arrêter complètement est mauvais pour la santé. J’avais besoin de me sentir fatigué après l’effort, de suer. Je n’ai pas joué souvent avec Eupen. Le football n’était pas non plus l’idéal mais mon problème, c’est qu’il me faut une balle. Le vélo, la course, ce n’est pas mon truc. La musculation non plus, même si verrouiller les genoux ne serait pas une mauvaise chose. Le tennis n’est pas bon non plus. J’aime le badminton. A condition de jouer sur une surface souple, je ne devrais pas avoir trop de problèmes. Je suis doué en badminton. Je viens de prendre une semaine de vacances au Danemark. J’ai couru deux fois et j’ai joué. J’avoue avoir eu du mal à me lever ensuite! Je dois toutefois rester actif… Je pèse 93 kilos pour 1m85 mais je les porte bien. Avant, je pesais 86-87 kilo. J’ai toujours été lourd ».

Henrik Andersen a cumulé accidents et usure. « J’ai couru pendant seize ans. Mes problèmes aux chevilles sont dus à l’usure. Les blessures au genou que j’ai eues laissent toujours des séquelles. Il s’agissait d’atteintes articulaires extrêmement graves. Elles auraient pu être pires encore. Je marche et je vis normalement. Les séquelles ne constituent un handicap que pour le sport. Lorsque j’ai arrêté, j’étais las des rééducations, des efforts incessants pour revenir ».

Le Danois se demande toutefois de quoi sera fait son avenir : « Je devrais faire des exercices pour entretenir spécifiquement ma musculature mais j’ai déjà subi trop de rééducations. Je suis rouillé. Deux ou trois fois par semaine, je dois prendre du Voltaren. J’ai diminué les doses depuis que je ne joue plus. C’est tout mon corps qui est usé, pas seulement les genoux. J’essaie toutefois de trouver un anti-inflammatoire moins agressif. Je n’ai pas de problème d’estomac mais à la longue… Parfois, je me demande comment je serai à 50 ans, car déjà maintenant, il m’arrive d’avoir l’impression d’en avoir 60. J’ai parfois l’air d’un vieillard quand je me lève ou que je m’assieds. Le football n’est pas le sport le plus doux pour le corps. Beaucoup de joueurs auront des problèmes plus tard. Ça fait partie de notre métier. Toutefois, je n’ai aucun regret. Si c’était à refaire, je n’agirais pas autrement. Je ne voudrais pas que mon cas effraie les jeunes. D’ailleurs, mon propre fils joue au football. Tout le monde n’est pas victime de blessures aussi graves. Moi, j’ai été frappé de plein fouet par le destin, en 1992 ».

Jan Verheyen : une nouvelle hanche

Energique en diable, intarissable, Jan Verheyen (57 ans), l’ancien joueur d’Anderlecht, père de Gert, est en pleine forme. A l’entendre et à le voir, bien malin qui pourrait deviner qu’il a subi une opération à la hanche il y a sept semaines. Il revient de sa rééducation: il travaille deux heures par jour, avec un enthousiasme incroyable, avec un kiné ou seul. « Si ça va? A 100%! Marcher reste un peu difficile mais c’est transitoire. C’est le médecin de l’équipe nationale, le Gantois Marc Goossens, qui m’a opéré. La guérison est très rapide, dans mon cas, mais je suis léger, d’une part, puisque je ne pèse que 69 kgs pour 1m72, et je suis en parfaite condition ».

Jan Verheyen est en effet passionné de cyclisme. Il roule 15.000 kilomètres par an et n’a pas l’intention d’abandonner, une fois qu’il sera rétabli. D’ailleurs, il a déjà réenfourché un home-trainer. « Je ne ressens pas la moindre douleur à la hanche mais mes muscles ont fondu pendant l’opération. Je travaille tous les jours avec un kiné mais je fais aussi des exercices seul, avec un élastique. Lieven Maesschalk m’a donné de précieux conseils mais il habite trop loin pour que je fréquente son cabinet tous les jours ».

Jan Verheyen ignore d’où vient cette usure prématurée de la hanche. Il ne peut jurer que le football en est responsable. « Je souffrais en fait de l’aine. Je ne sentais rien de particulier à la hanche. D’ailleurs, j’avais déjà des problèmes à l’aine durant ma carrière mais quel joueur n’en a pas? En plus, au terme de ma carrière, j’ai joué au football en salle, sur une surface dure, où il fallait sans cesse stopper, repartir, stopper. Depuis trois ou quatre ans, ça allait de mal en pis. Même le cyclisme devenait source de douleurs. Ma jambe gauche se tournait un peu vers l’extérieur. Je ne pouvais plus la maintenir dans l’axe. Un scanner a révélé que je souffrais d’arthrose. Prendre une telle décision n’est pas facile mais ma hanche me causait tellement de problèmes que je n’avais plus le choix ».

Les prothèses ne sont pas éternelles. Après un certain temps, il faut les remplacer et donc subir une nouvelle opération lourde. Jan Verheyen le sait. « Le chirurgien m’a dit que cette prothèse, le dernier cri, pouvait tenir vingt ans dans des conditions normales. On utilise maintenant de la céramique. Mais pédaler 15.000 kilomètres par an, ce n’est pas idéal avec cet artifice. Donc, je dois m’attendre à ce qu’il faille remplacer la prothèse avant vingt ans. Je n’ai pas du tout l’intention de faire moins de vélo. Tant que je le pourrai, je continuerai. De toute façon, avec l’âge, mes performances vont diminuer et mon kilométrage se réduira. Mais le sport est une drogue. Un sportif de compétition veut toujours aller plus loin, dépasser ses limites et battre les autres ».

Gert a subi plusieurs blessures. Son père pourrait s’inquiéter à son sujet? « Le sport de haut niveau n’est pas bon pour la santé et c’est pire maintenant qu’à mon époque. Le jeu est plus rapide, plus physique, les joueurs disputent beaucoup plus de matches par saison. De mon temps, le championnat comptait seize équipes, ce qui faisait 30 matches, et nous étions appelés en équipe nationale quatre ou cinq fois par an, sans oublier quelques rencontres en coupes d’Europe. Maintenant, les Anderlechtois, avec la Ligue des Champions, passent allègrement le cap des cinquante matches. C’est énorme. Ils n’ont plus le temps de récupérer. Je n’ai pas peur pour Gert mais je sais qu’il souffrira également de séquelles plus tard. Ça fait partie du métier… »

Paul Van Himst: deux nouvelles hanches!

Lorsque Jan Verheyen a appris qu’il devrait porter une prothèse à la hanche, il a téléphoné à Paul Van Himst, promu malgré lui spécialiste en la matière. Le Footballeur du Siècle, âgé de 57 ans, n’a pas été épargné par les blessures, ni d’ailleurs par les coups pendant sa carrière, mais il est d’un naturel philosophe. Il relativise les interventions subies et leur portée dans la vie de tous les jours. Il a subi deux opérations au genou mais dit n’en plus souffrir, pas plus que des chevilles. Toutefois, il a passé quelques années difficiles, peu après son éviction de l’équipe nationale. Il a été opéré des hanches à deux reprises, il y a quatre ans puis il y a un an et demi.

« En fait, les premiers symptômes remontent à la fin de ma carrière à Anderlecht mais j’ignorais que mes hanches en étaient responsables. Je souffrais des adducteurs, je manquais de souplesse. Je ne savais plus me retourner. Est-ce dû aux contacts? Pas seulement. Il s’agit d’une usure des hanches, provoquée par la répétition des chocs, des coups, des tirs. Ensuite, j’ai eu mal au dos mais cette douleur-là venait également des hanches ».

Pour placer une prothèse, il faut ôter l’articulation et scier une partie du fémur. Une intervention qui ressemble à de la boucherie et qui frappe l’imagination. Elle implique également une revalidation importante, qu’il a suivie chez Lieven Maeschalk. Paul Van Himst ne s’y est pas soumis de bon gré, évidemment. « En fait, j’ai remis l’opération le plus longtemps possible mais je ne savais même plus monter sur un vélo. Pourtant, malgré son côté spectaculaire, c’est une opération technique. J’ai deux hanches artificielles mais je ne souffre d’aucune séquelle. Je marche normalement, je peux même courir et je peux refaire du vélo. Mon corps n’a plus 25 ans, évidemment, mais je ne peux pas me plaindre. Dans l’ensemble, ça va. Je m’adonne au cyclisme, mon second sport, surtout le week-end. Parfois, j’arrive à grappiller une heure, voire une heure et demie en semaine. C’est le sport idéal pour se maintenir en condition sans torturer les articulations » .

Pascale Piérard

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