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Le retour de Lucien D’Onofrio serait-il une bonne chose pour le Standard?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Architecte du retour de l’Antwerp au sommet, Lucien D’Onofrio voit son nom se rapprocher de Sclessin depuis l’arrivée de François Fornieri dans le capital rouche. Le Don se promène avec des valises de questions, entre réseaux vieillissants et coups toujours fumants. Est-il encore l’homme de la situation?

Il y a des mots qui pèsent plus que d’autres. Ceux de José Mourinho, souvent plus spectaculaire face aux micros que sur le terrain, sont presque recueillis dans une fiole, goutte après goutte. Le résultat d’années de trash talk, qui rendent les compliments d’autant plus précieux. Dans la salle de presse du Bosuil, en guise d’échauffement de la deuxième journée d’Europa League, le Special One profite de l’occasion pour saluer un vieil ami: « J’ai hâte de voir Lucien demain. C’est une personne très importante. C’est un honneur de jouer contre son équipe. »

Intéressé par Anderlecht, Lucien fait machine arrière quand le retour de Vincent Kompany se précise et que les pouvoirs semblent devoir se partager.

Lucien D’Onofrio, puisque c’est de lui qu’il s’agit, laisse les autres parler pour lui. Comme souvent. L’ancien directeur sportif du Standard, aujourd’hui vice-président de l’Antwerp, a toujours alimenté la boîte à fantasmes, à force de laisser apercevoir sa silhouette partout, sauf face aux micros, qu’il ne rencontre qu’à quelques occasions soigneusement planifiées. Ses marmites de pouvoir se savourent à la petite cuiller, comme on déguste un mets d’exception. En marge du tirage au sort de la Coupe d’Europe, il laisse ainsi savoir qu’il a envoyé un message à Mourinho en vue de la confrontation entre son Great Old et les Spurs. Comme pour rappeler, subtilement, que la taille compte, et que celle de son bras reste sans égale sur le sol belge.

Il y a désormais trois ans, c’est déjà cette puissance en coulisses qui convainc Paul Gheysens, grand argentier du renouveau de l’Antwerp, de confier les clés de l’équipe à Don Luciano, charmé par la puissance financière et historique du matricule 1: « Qui, mieux que Lucien D’Onofrio, avec ses réseaux et sa grande expérience du football international, peut nous aider à construire le grand club que ce public mérite? », questionne alors monsieur Ghelamco, au moment de présenter son nouveau bras droit. Une participation aux play-offs 1, une Coupe de Belgique et un retour sur la scène européenne plus tard, la question de l’avenir de l’enfant de Castelforte, petite commune du Latium, s’envisage pourtant valise à la main. Au mois d’août dernier, un certain François Fornieri débarque dans l’actionnariat et le conseil d’administration du Standard. L’homme fort de Mithra a toujours déclaré que s’il prenait un jour en mains la destinée des Rouches, ce serait pour confier les rênes sportives au Don, son ami de toujours. Dans tous les bureaux du pays, la rumeur enfle: le retour de Lucien D’Onofrio au Standard ne serait désormais qu’une question de temps.

FLIRTS ZÉBRÉS ET MAUVES

« Il veut finir le travail à l’Antwerp, mais il pense au Standard, j’en suis sûr », prêche un Paul Stefani convaincu. Longtemps présenté comme l’homme de paille de D’Onofrio, suspendu de ses activités d’agent à cause de condamnations et d’activités dans les clubs, Stefani réfute l’accusation, mais a toujours été proche du Prince de Liège et amoureux d’un club rouche où il rêve de voir revenir son allié historique: « Lucien est très proche de Fornieri. Quand je lui en parle, il me dit toujours non, mais Lucien, c’est le Standard. »

Une affirmation à laquelle le principal intéressé n’a pas souhaité réagir. Contacté par téléphone, Lucien D’Onofrio ne nie pas, mais botte en touche: « Je ne veux pas parler de tout ça. Je suis à l’Antwerp pour le moment et je ne veux surtout pas parler de tout ça. Ça ne me regarde pas ce qu’il se passe au Standard, aujourd’hui. » Tuuut.

Entre Lucien et le Standard, l’amour a parfois des airs d’idylle à sens unique. Si, dans les travées de Sclessin, l’évocation du nom de l’architecte des deux seuls titres liégeois du siècle fait frémir les supporters de plaisir, Don Luciano ne s’est jamais empêché d’aller voir ailleurs. Avant de lier sa destinée à celle de l’Antwerp, il a notamment déposé un million d’euros sur la table d’Eupen pour sauver les Pandas de la faillite, avant le rachat du club des Cantons de l’Est par les Qataris d’Aspire. Quelques mois plus tard, quand Charleroi fait son retour au sein de l’élite et qu’ Abbas Bayat souhaite se séparer de son encombrant jouet, Lucien tient longtemps la corde pour prendre en mains la destinée des Zèbres, rivaux historiques de ses anciennes couleurs.

Don Luciano a toujours entretenu de bonnes relations avec Roger Vanden Stock, qui a tenté de l'attirer à Anderlecht par le passé.
Don Luciano a toujours entretenu de bonnes relations avec Roger Vanden Stock, qui a tenté de l’attirer à Anderlecht par le passé.© BELGAIMAGE

C’est avec l’autre grand rival que les flirts seront les plus prononcés. S’il collabore avec Herman Van Holsbeeck dans plusieurs transferts majeurs, dont le retour en Belgique de Steven Defour depuis un club de Porto où il a toujours ses entrées, D’Onofrio est surtout très proche de Roger Vanden Stock, qui tente déjà de l’attirer chez les Mauves dès son départ du Standard. Au cours de l’année 2017, Lucien est également mis au courant très tôt de la future revente du club bruxellois, et tente d’ailleurs de convaincre Paul Gheysens de prendre en sa compagnie les rênes du club-phare de la capitale, alors que le but initial de la relation initiée par l’homme d’affaires flamand était de relancer l’Antwerp.

L’échec de la reprise n’est pas encore le dernier chapitre de la longue histoire entre le Liégeois et le RSCA. Au mitan de l’année 2019, c’est Marc Coucke qui sollicite les réseaux du Don grâce à leur ami commun François Fornieri, associé de Coucke chez Mithra. Conscient du manque d’expertise de l’équipe qu’il a mise en place à Anderlecht, le président cherche un nouveau capitaine sportif pour donner le cap de l’avenir du club. Initialement intéressé, Lucien fait machine arrière quand le retour de Vincent Kompany se précise et que les pouvoirs semblent devoir se partager. « Quand tu as été le numéro un, tu ne veux pas être le numéro deux », explique Paul Stefani, comme pour justifier ce refus. « Même à l’Antwerp, il décide de tout, mais il n’a pas le pouvoir. Et quand tu as été le patron quelque part, ce n’est pas quelque chose qui te convient. Lucien, il doit être le numéro un. »

DISCIPLES ET ATHÉES

Un statut qui doit forcément se justifier. Est-ce encore le cas, un an après les retours au pays décevants de Steven Defour et Kevin Mirallas sur le sol belge, témoins involontaires d’un répertoire qui semble parfois commencer à sentir la naphtaline? Les avis divergent. Dans les couloirs du Bosuil, ses disciples n’ont pas perdu la foi, promettant monts et merveilles à un Ivan Leko qui s’inquiète parfois publiquement de la tournure de ce mercato estival à rallonge. « Fais confiance à Lucien, il ne déçoit jamais, on aura une équipe incroyable », répète-t-on souvent à l’oreille du Croate. Un clan auquel appartient visiblement un proche de l’un des rares jeunes joueurs du noyau anversois: « Je pense que ses réseaux sont toujours là. Il a prouvé à l’Antwerp qu’il n’y avait sans doute pas meilleur en Belgique pour reconstruire une équipe en peu de temps. »

« Il fait du bon boulot à l’Antwerp, mais dans un contexte particulier, où Ghelamco éponge les dettes chaque année », nuance un dirigeant majeur du football belge. « L’Antwerp, ce n’est pas un modèle de gestion. Je ne sais pas si un retour au Standard serait une si bonne nouvelle pour le club. Lucien n’est plus le même qu’il y a dix ans. Il a pris de l’âge. »

À l’image d’un grand-père un rien réfractaire aux nouvelles technologies et aux signes chiffrés de l’air du temps, le Don serait ainsi un farouche opposant à l’aide des datas dans le recrutement, au point de refuser certains profils quand ils lui sont présentés à partir des éloges d’une base de données. Et si on le présente comme un grand connaisseur du jeu, on raconte également qu’il connaît de moins en moins les joueurs, quand on gratte au-delà du vernis initial.

Visiblement conscient des réalités de sa carte d’identité, D’Onofrio choisit désormais de s’entourer pour conquérir les nouveaux marchés qui lui échappent, et qu’il n’a plus l’énergie d’investir. C’est dans cette logique que s’était inscrite l’arrivée d’ Olivier Renard au Bosuil l’été dernier. Avant de traverser l’Atlantique pour rejoindre l’Impact Montréal, l’ancien directeur sportif du Standard avait ainsi eu le temps d’amener Martin Hongla ou Wesley Hoedt sous le maillot du matricule 1. Et de s’offrir un sacré shoot d’expérience: « Je dois dire qu’en quelques mois, il m’a appris beaucoup de choses. Dans la gestion humaine, notamment. J’ai eu affaire à un très grand dirigeant belge, si pas le plus grand. »

Charleroi, Eupen, Anderlecht, Don Luciano ne s’est jamais empêché d’aller voir ailleurs.

LE CAMÉLÉON

Le contact humain, c’est probablement la plus grande force conservée par Don Luciano en 2020. Depuis toujours, l’homme a la conversation facile et la compagnie agréable. Un trait de caractère qu’il partageait avec son ami Michel Daerden, lui aussi caméléon social, capable de se mêler à n’importe quel niveau de discussion et de tenir tous les registres avec le même naturel. Ce sont ses mots, autant que les billets de Paul Gheysens, qui ont maintenu un Dieumerci Mbokani en fin de contrat à bord du navire anversois cet été. Là où beaucoup craignaient de voir le Taureau d’or s’envoler vers la Chine, D’Onofrio a toujours su que son poulain resterait au Bosuil. Malgré les désirs de Philippe Clement de le voir porter le maillot de Bruges, c’est sans doute lui qui a été le plus proche de rapatrier Junior Edmilson sur les pelouses belges, voyageant notamment jusqu’au Qatar pour tenter de convaincre celui qu’il avait déjà voulu amener à l’Antwerp, via Porto, quelques mercatos plus tôt.

Lucien sait toujours séduire, et tirer sur les bonnes ficelles au meilleur moment. Quand il prend en mains la destinée sportive du Great Old, en plus de pouvoir compter sur ses réseaux portugais pour attirer quelques joueurs prometteurs, il tente de profiter de ses bonnes relations avec Antero Henrique, ancien de Porto devenu cet été-là directeur sportif du PSG, pour attirer la révélation d’Eupen Henry Onyekuru au Bosuil, en prêt via un transfert dans le club de la capitale française. Finalement doublé par Anderlecht, il montera tout de même une équipe compétitive, et surtout sublimée par la préparation physique éreintante et la tactique musclée de Laszlo Bölöni, également séduit par le projet anversois et les mots de son ancien patron à Sclessin.

Lucien D'Onofrio a laissé de bons souvenirs au Standard.
Lucien D’Onofrio a laissé de bons souvenirs au Standard.© BELGAIMAGE

Le décor des opérations séduction peut varier, car le Don est à l’aise partout. Même chez lui, on change de décor comme de sujet de conversation. « J’ai visité sa maison. Enfin, son hôtel particulier, dans une petite ruelle du centre-ville de Liège », rembobine un agent belge, également actif sur le marché britannique. « On a commencé dans un salon, on a terminé dans un autre. Il n’arrêtait pas de nous déplacer, comme pour nous montrer l’immensité du truc. Tout était très tape-à-l’oeil, m’as-tu-vu. Ce n’est jamais bon signe dans ce milieu où on sait pourtant qu’il vaut mieux être discret. »

L’ART DÉLICAT D’ÊTRE AIMÉ

Licio – son vrai prénom – lui, sait surtout où il faut être vu. Cet été, il est l’un des rares privilégiés à assister sans écran intermédiaire au Final 8 de la Ligue des Champions, disputé dans une ville de Lisbonne où il a évidemment ses quartiers. Il y invite notamment des agents, avec lesquels il fera affaire dans les mois qui suivent pour renforcer son noyau dans le money-time du mercato. Dans le milieu, sa personnalité continue de plaire, et de fasciner. Pour rapatrier Cristian Benavente en Belgique, alors que le Péruvien a longtemps été proche d’un retour à Charleroi – finalement avorté par l’absence de qualification européenne des Zèbres – il peut compter sur Mitch Bakkovens, un agent bien introduit au Proche-Orient avec lequel il a déjà oeuvré par le passé. Le retour de Nana Ampomah sur les prés de Pro League est, quant à lui, le fruit d’une collaboration avec Mohamed Al Faiech, l’influent agent d’ Ishak Belfodil. Et pour faire venir Frank Boya au Bosuil, le Don fait jouer ses bonnes relations avec Pini Zahavi, agent du milieu camerounais via un collaborateur italien.

Apprécié, craint ou admiré par les agents, D’Onofrio bénéficie d’une aura plus écornée au sein des instances du football belge. Conscient de son manque de popularité dans les couloirs de la Pro League, l’Antwerp a d’ailleurs fini par présenter Sven Jaecques au moment de l’élection des nouveaux membres du CA de la Ligue, coeur des décisions majeures du football professionnel belge. Lucien, lui, campe plutôt le costume du franc-tireur, montant au front par presse interposée pour prendre pour cible Mehdi Bayat et ses multiples casquettes suite à l’arrêt des compétitions au printemps dernier. « Lucien, c’est l’Ancien régime », rétorque l’administrateur délégué des Zèbres sur le plateau de Super Sunday, le talk foot de la chaîne d’informations LN24. Une pensée partagée par de nombreux dirigeants du jeu national, loin d’être de grands fans du personnage construit par le puissant Liégeois.

La prochaine étape de son retour vers les sommets passe-t-elle par le Bosuil, ou par un retour triomphal à Sclessin? Du côté de la Principauté, on murmure que François Fornieri pourrait prendre les pleins pouvoirs en fin de saison, en rachetant les parts de Bruno Venanzi, et installer Lucien D’Onofrio dans le costume de conseiller sportif aujourd’hui occupé par Michel Preud’homme. À Anvers, si le scénario est loin d’être considéré comme une certitude, son départ est toutefois prudemment anticipé à certains niveaux.

« Je compte me donner trois à cinq ans pour réussir », déclarait le Don au moment de son arrivée au Bosuil, évoquant sa mission de « faire de l’Antwerp un grand club. » La quatrième saison est en cours, et le Great Old semble avoir retrouvé les sommets. « Même s’il n’y a plus d’argent au Standard, il trouvera des gens pour y investir », affirme déjà un Paul Stefani confiant. Et à l’heure de savoir si ce retour serait une bonne chose, un agent nous invite au voyage dans le temps, se remémorant une rencontre en milieu de décennie: « Il m’avait laissé l’impression d’être un agent sur le retour. En contact avec des gens vieillissants. Finalement, force est de constater que je m’étais trompé. Un an après, il remettait l’Antwerp sur pied. Du coup, aujourd’hui, j’aurais peut-être encore tendance à penser que c’est la fin pour lui, mais rien ne dit que j’ai plus de flair que la première fois. »

La machine à fantasmes tourne à plein régime. Elle diffuse un épais brouillard de questions, et laisse à peine filtrer quelques silhouettes en guise de réponses. Tout est toujours un peu flou, avec Lucien D’Onofrio.

Lucien D'Onofrio a bien profité du TPO avant que la pratique ne soit interdite par la FIFA.
Lucien D’Onofrio a bien profité du TPO avant que la pratique ne soit interdite par la FIFA.© BELGAIMAGE

Lunettes noires pour zone grise

« Quand j’ai vu l’émission de France 2, c’était juste la confirmation qu’on avait mis les mains dans la mauvaise farine ( sic). » La phrase est signée Emmanuel Kayembe. Sept ans plus tard, le papa de Joris Kayembe rêve encore parfois la nuit d’ Elice Lucet, du nom de cette journaliste d’investigation française qui aura rendu virale la cavalcade de Lucien D’Onofrio dans les rues du centre de Liège, au cours d’une séquence de l’émission Cash Investigation qui s’intéresse en ce soir de septembre 2013 à « La face cachée du foot business ».

Une partie du reportage est alors consacré au transfert du défenseur français Eliaquim Mangala du Standard vers le FC Porto. Et met ainsi en lumière l’implication de Lucien D’Onofrio dans des transferts ou acquisitions de droits économiques de joueurs – tierce propriété ou TPO. Diffusé le mercredi 11 septembre 2013, une dizaine de jours seulement après la finalisation du transfert de Joris Kayembe des équipes de jeunes du Standard vers celle du FC Porto, le documentaire fera écho bien plus loin que dans le seul cocon familial des Kayembe.

Deux ans après sa diffusion, en 2015, la FIFA interdira officiellement le recours à la tierce propriété. Et comblera ainsi un vide juridique qui aura participé à la sulfureuse réputation de l’agent 1.0 du football belge. Sur le seul transfert de Joris Kayembe, Lucien D’Onofrio aura, par exemple, touché quelques 2.615.000 euros. « Cela ne fait pas de lui un bandit, mais il parvient toujours à se glisser dans la zone grise », affirme un autre agent bien introduit en Belgique. « Pour beaucoup, le TPO a longtemps été une limite, lui en a profité pour s’y engouffrer. Et dans les faits, les pragmatiques auraient raison de crier au génie. »

Les autres le mettront de côté. Souvent pour toujours. « Je ne sais pas s’il est si affable que ça », tempère d’ailleurs Emmanuel Kayembe. « Moi, j’ai été une fois chez lui, je n’ai pas même pas eu droit à un verre d’eau. Autant vous dire que si je dois le recroiser en rue, je ne le suis serrerai pas la main. Mon fils non plus. » Et en même temps, par les temps qui courent, on les comprend.

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