Profil tranchant

On a dit de lui qu’il était arrogant, frondeur, perturbateur… mais le meneur de jeu de l’Inter Milan n’a jamais été du genre à faire marche arrière.

« Donnez-moi un enfant jusqu’à sept ans et je vous donnerai l’homme « , dit une ancienne maxime jésuite du 17e siècle. Les premières années de la vie forgeraient le caractère de l’adulte et cette maxime s’applique certainement au lumineux médian de l’Inter et de l’équipe nationale des Pays-Bas. Nous avons nommé Wesley Sneijder

Son extraordinaire habilité technique et sa détermination à se frayer un chemin vers le sommet étaient déjà bien présents alors qu’il n’était encore qu’en maternelle. Repéré par l’Ajax Amsterdam à 7 ans, il fut rapidement intégré au sein de l’académie des jeunes de la capitale néerlandaise. Déjà très autonome, le jeune gamin originaire d’Utrecht était prodigieux dans sa conduite de balle, sa compréhension du jeu et sa vivacité d’esprit.

 » Je l’ai vu arriver à l’Ajax comme petit garçon et je n’ai pas douté un seul instant qu’il réussirait à se faire un nom « , se souvient David Endt, ex-journaliste devenu team manager des Amstellodamois.  » Il était clair que nous avions affaire à un phénomène. Certains émettaient des critiques au sujet de sa taille ou de son physique un peu frêle mais ces commentaires avaient le don de le motiver encore davantage. Il ne se décourageait jamais. Dès le début, il fut très ambitieux. Il avait pleine confiance en ses capacités et souhaitait toujours donner tort à ses détracteurs. Il portait une sorte de rage qu’il canalisait de la meilleure façon qui soit, sur le terrain.  »

Le talent, cependant, ne suffit pas. Même pour les meilleurs. Il faut y ajouter une dose illimitée de cran et de punch pour tracer sa voie jusqu’au top. Sneijder possède les deux en abondance. Lorsqu’un professeur d’anglais lui dit un jour en classe qu’il devait prendre plus au sérieux ses ambitions postscolaires, parce que son rêve de devenir footballeur pro était hors d’atteinte, il lui répondit :  » S’il y en a bien un seul qui terminera le cycle de formation complet à l’Ajax, ce sera moi « .

Malgré cette suffisance naturelle et sa propension à dire tout haut ce qu’il pense, il se montra très discipliné et gravit comme il se l’était promis les échelons jusqu’en équipe fanion de l’Ajax.

Tellement heureux de faire partie du club, il se balada en équipement complet et chaussures à crampons autour de son domicile après son premier jour à l’académie ajacide. Wes était prêt à sauter tous les obstacles que ses entraîneurs mettraient sur sa route pour parvenir à ses fins. Ceux spécifiques aux jours de matches, mais aussi les examens techniques auxquels il devait se soumettre toutes les semaines : jongler avec le ballon avant de l’envoyer dans un panier – son favori -, les rapports écrits à rédiger sur les joueurs de l’équipe A, l’apprentissage de tous les secteurs de jeu et les sessions de préparation de coordination spécifique dont il bénéficie toujours aujourd’hui, à l’en croire.  » Lorsque je dribble, c’est comme si je dansais « , affirme-t-il.

A l’Ajax, une partie importante de la formation consiste à tester en permanence la mentalité et l’engagement dont font preuve les jeunes. En termes d’esprit combatif, Wes n’a jamais montré de faiblesse. Il est vrai qu’il était né dans une famille de footballeurs. Son grand-père Benny – qui a évolué à une reprise aux côtés du légendaire médian Wim Van Hanegem – et son père Barry étaient tous deux de bons joueurs du DOS d’Utrecht. Et avec son frère Jeffrey, qui avait entamé la formation à l’Ajax avant d’être freiné dans ses ambitions par une grave blessure, le tableau était complet. C’est comme s’il avait eu une vision en tunnel de sa carrière, rien ne l’arrêterait.

Autre témoin privilégié de son ascension, l’ancien international et capitaine de l’Ajax Danny Blind – aujourd’hui dans le staff – se remémore le jeune Sneijder lorsqu’il entraînait Jong Ajax, les Espoirs du club :  » Il n’avait pas vraiment de défauts, il avait littéralement toutes les qualités que l’on recherche chez un jeune. Il possédait un bagage technique complet, une vision du jeu hors du commun et, le plus important, il détestait perdre. Bien sûr, nous avons dû encore le modeler. Nous avons passé beaucoup de temps à améliorer ce qui était alors son plus mauvais pied, le gauche. Je me souviens que le coach Jan Olde Riekerink arrêtait le jeu lorsque Wesley effectuait une passe ou un tir du droit. Autre aspect que nous avons corrigé : sa tendance à perdre sa concentration durant quelques instants en perte de balle ou après une occasion de but manquée. Nous devions lui inculquer le fait qu’il n’avait pas le luxe de s’endormir : pour ce faire, nous l’avons aligné au médian défensif. Il a ainsi réalisé qu’il ne pouvait pas abandonner ses coéquipiers lorsque quelque chose ne se passait pas comme prévu.  »

Le grand saut pose problème

Une fois ces leçons-là bien assimilées, Sneijder était prêt pour le grand saut. Il fut élu meilleur jeune joueur des Pays-Bas en 2002 et disputa la même année la demi-finale de la Coupe avec les Réserves de l’Ajax, ironiquement contre Utrecht. Sa percée n’allait plus être qu’une question de temps. Au milieu de la saison 2002-2003, le jeune homme de 18 ans plein de confiance fit ses débuts en Eredivisie, marquant les esprits par sa vivacité, son imagination, sa propension à toujours demander le ballon et sa maîtrise des coups de pied arrêtés.

De façon amusante, l’inconstance et l’orgueil causaient pas mal de soucis à Sneijder une fois arrivé en équipe fanion de l’Ajax. Son attitude condescendante à l’égard de ses adversaires – mais aussi de ses coéquipiers – ne joua pas en sa faveur. Ses réactions par rapport à ce qu’il percevait comme injustices découlaient souvent en exagérations émotionnelles. Lors de la Supercoupe 2004 au cours de laquelle il marqua un but important, il perdit la boule en faisant un show devant son entraîneur Ronald Koeman qui l’avait maintenu trop longtemps sur le banc à son goût. Il se vit aussi signifier une suspension de 4 matches pour avoir traité l’arbitre Ruud Bossen de  » chien aveugle plein de puces  » lors d’une rencontre contre le Sparta Rotterdam.

 » Il a souvent été victime de son désir absolu de victoire « , clame son père.  » Il était tellement absorbé par un match qu’il se perdait parfois. Il n’avait pas de patience et prêchait par précipitation, il fallait que tout aille vite, tout de suite… Depuis cette époque, il a appris à mieux se contrôler, à exprimer cette part de colère dans son jeu et pas dans ses paroles. « 

Plutôt que de craindre les jeunes joueurs débordant de caractère fort et d’égos à mater, l’Ajax les a toujours chéris. Sneijder le lui a bien rendu, remportant un titre de champion et deux Coupes. Sneijder a beau avoir une triple dose d’arrogance, il jouait comme un dieu et donc le club lui confia de plus en plus de responsabilités, pour contrer ses excès.

 » Plusieurs joueurs étaient aptes à devenir le patron de l’entrejeu, mais il m’a semblé logique que ce rôle revienne à Wesley « , affirme l’ancien entraîneur amstellodamois Henk Ten Cate.  » Je lui ai dit qu’il devait mener l’équipe et être directif sur le terrain. C’est lui qui décidait lorsque nous attaquions, lorsque nous effectuions un pressing et qui se chargeait des phases arrêtées. Je savais qu’il allait se transcender dans ce rôle de c£ur de l’équipe. Il en rêvait et a rempli son job à merveille.  »

Foutre le bordel

Malheureusement, Sneijder ne fait pas toujours l’unanimité autour de son nom. De nombreux observateurs du football néerlandais le considèrent comme un gamin des rues qui tire du plaisir à foutre le bordel et distille une influence néfaste sur l’équipe nationale des Pays-Bas. Sa querelle avec Robin van Persie, qui trouve son origine dans une bagarre sur un terrain d’entraînement lors de l’EURO 2008 pour savoir qui botterait un coup franc, a été de notoriété publique. Fin 2009, il eut encore plus mauvaise presse lorsque Hugo Borst, un éditorialiste d’outre-Moerdijk, affirma avoir la preuve d’une conversation dénigrante de Sneijder avec un coéquipier en équipe nationale. Le sale gamin aurait demandé au gardien de Vitesse Arnhem, Piet Velthuizen, combien il gagnait. Celui-ci aurait répondu 400.000 euros, suscitant une réponse cinglante de Sneijder :  » Dis Piet, ne trouves-tu pas marrant que je gagne 20 fois plus que toi ? »

Bien que Sneijder ait plus tard tenté de faire passer cet épisode comme une vulgaire plaisanterie de footballeur, d’autres continuent à douter de sa bonne foi, affirmant que le nouvel enfant prodige du foot batave devenait tout doucement une superstar méprisante. Lors du programme télé Studio Voetbal sur la NOS, Borst insinua que de nombreux joueurs chez les Oranje se plaignaient de l’attitude de Sneijder, désigné comme une bombe à retardement potentielle et que l’entraîneur national Bert van Marwijk, également présent en studio, doutait de la motivation du joueur – une accusation immédiatement réfutée par le coach qui traita Borst de menteur.

Son triplé historique avec l’Inter

Pourtant, il ne faut pas uniquement retenir le Sneijder rebelle suffisant. Il y a un autre Sneijder, celui qui a patiemment forgé sa place en équipe orange, qui dans sa carrière a souvent dû ranger ses allures de diva pour travailler et arriver à confirmer sa place de titulaire. Lorsqu’à 19 ans, il élimina à lui tout seul – avec quand même trois buts de Ruud van Nistelrooy – l’Ecosse lors du match de barrage retour pour l’EURO 2004, inscrivant le premier but d’un superbe lob et offrant deux assists, on le voyait parti pour devenir le pion indispensable chez nos voisins du nord. Mais au lieu de cela il dut prendre son mal en patience. Lors du Championnat d’Europe 2004 au Portugal, il dut jouer les seconds couteaux derrière le trio Phillip Cocu, Edgar Davids et Clarence Seedorf. Et lors du Mondial 2006, il fut comme un chien dans un jeu de quilles, confiné par Marco van Basten dans un rôle d’exécutant.

 » J’ai failli me noyer « , déclarera-t-il après coup.  » Je n’ai jamais discuté avec van Basten de sa décision. L’auriez-vous fait ? J’avais 22 ans et c’était ma première Coupe du Monde.  » Pas vraiment trace d’une insubordination notoire dans ce cas-ci, donc.

La vraie consécration de Sneijder en équipe hollandaise eut lieu à l’EURO 2008, qu’il illumina de ses passes, de ses rushes efficaces vers l’avant, de ses goals aussi. Ensuite, c’est allé crescendo pour lui : il enchaîna le gain de la Ligue des Champions avec l’Inter et une campagne de Coupe du Monde sud-africaine mémorable pour nos voisins néerlandais. Sneijdertje (le petit Sneijder) fut la courroie de transmission de son équipe, celui qui sublima les autres jusqu’à cette finale contre l’Espagne et remporta deux distinctions : celui de meilleur buteur ex-aequo (5 buts) et élu deuxième meilleur joueur de ce Mondial derrière l’Uruguayen Diego Forlan.

Fier comme un paon de son talent hors du commun et de ses résultats, Sneijder ne s’est jamais vraiment soucié de son image, de son efficacité ni même de son statut de star. Mais même celui qui paraît afficher le plus d’assurance peut traverser des moments de doutes. Nous nous remémorons notamment l’été 2009, lorsqu’il fut mis sur la liste des transferts par le Real Madrid. Pour la première fois, il goûta l’amertume d’être rejeté. Après une très bonne saison inaugurale à Santiago Bernabeu, sa deuxième année avait été marquée par la poisse : une blessure au genou qui le tint écarté trois mois et sur le plan privé par son divorce avec Ramona. Même s’il avait de bonnes raisons d’être amer, il put rebondir à l’Inter Milan, où José Mourinho s’était montré insistant (plusieurs sms l’attestent).

Et comme on ne peut réprimer un caractère si fort très longtemps, les supporters interistes ne tardèrent pas à redécouvrir Wesley Sneijder sous son meilleur jour lors de la saison 2009-2010. Il fut l’un des rouages essentiels dans le système qui permit au club milanais de réaliser un triplé historique. Lionel Messi a beau avoir été élu Ballon d’Or 2010, le vainqueur moral était Wesley Sneijder…

PAR NICK BIDWELL (ESM)

4 matches de suspension pour avoir traité l’arbitre Ruud Bossen de  » chien aveugle plein de puces  »  » C’est lui qui décidait lorsque nous attaquions, effectuions un pressing et qui se chargeait des phases arrêtées.  » Henk Ten Cate

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