PRODUIT FRAIS

 » Si mon père m’avait emmené à la piscine, je serais devenu nageur « . Mais voilà, il l’a conduit au football et il dévore tout.

Quel que soit le nombre de buts qu’il marquera encore – et il en inscrit quasiment chaque semaine – Thierry Henry (28 ans, 1m88 et 83 kg) sera poursuivi jusqu’à la fin de ses jours par des questions sur le penalty en deux temps qu’il a raté fin octobre contre Manchester City. La première question de cette interview est donc logique : tentera-t-il encore d’exécuter correctement ce coup de réparation avec son compatriote et coéquipier Robert Pires ?

 » C’est justement là la question : il était correctement exécuté. La prochaine fois, je me chargerai de la passe. Et pourvu que ça marche ! Notez que je ne rejette pas la faute sur Robert. C’était mon idée mais parfois, on ne contrôle pas tout à fait la situation. Pour être franc, ce fut une expérience bizarre. J’étais convaincu que nous botterions bien ce penalty et j’attendais bêtement le ballon. Qui n’est pas arrivé. C’est le football… On élabore des plans, on essaie des trucs mais ils ne réussissent pas toujours « .

Quand avez-vous décidé de convertir un penalty ainsi ?

Thierry Henry : J’en rêve depuis mes 16 ans mais je n’ai trouvé personne qui veuille m’y aider. Alors que je l’avais dénichée, il est apparu que ce n’était pas la bonne. Vraiment, je n’en veux pas à Robert. On peut sans doute m’en vouloir parce que je n’ai pas botté ce coup de réparation normalement alors que nous menions 1-0. Aurait-ce vraiment été mieux ? On peut très bien botter le penalty parfait sans marquer. Or, j’avais vraiment l’intention d’être efficace. Je ne voulais absolument pas faire du show. D’aucuns diront sans doute que le moment était mal choisi pour tenter ce numéro. D’autre part, cela aurait eu moins d’impact dans un match amical ou si nous avions mené 6-0. Je suis parti d’une bonne intention qui a mal tourné. La prochaine fois, j’enverrai le ballon à un coéquipier.

Pourquoi avez-vous toujours refusé de botter un penalty sifflé suite à une faute commise sur vous ? Par superstition ?

Non, ça n’a rien à voir. Je sais, par expérience, qu’on n’est jamais concentré à 100 % quand on doit botter un coup de réparation dans ce cas de figure. Je sais de quoi je parle car ça m’est souvent arrivé. J’ai ainsi raté beaucoup de tirs car je n’étais pas assez affûté mentalement. En pensées, j’étais encore dans la phase de jeu précédente.

Dorénavant, je botterai tous les penalties. Ainsi, tout le monde sera peut-être content. Personne ne pourra plus demander : Mais pourquoi Henry ne s’en occupe-t-il pas ? En revanche, on constatera qu’il m’arrive d’en rater. Cela mettra peut-être fin à toutes ces inepties.

Wright n’était même pas triste

Qu’avez-vous ressenti en battant le record de club de Ian Wright, qui était le meilleur buteur de l’histoire d’Arsenal avec 186 buts ?

C’est un moment important de ma carrière. Il est d’autant plus spécial que j’ai marqué le but du record en Ligue des Champions, contre le Sparta Prague, et que c’était un goal important. J’aurais tout aussi bien pu l’inscrire dans un match perdu. Ce but a offert un avantage de 2-0 à Arsenal et nous avons ainsi pu contrôler la rencontre. C’est une expérience magnifique. Pendant une fraction de seconde, j’ai pourtant été déçu de n’avoir pas battu ce record à Highbury mais ce sentiment s’est vite estompé.

Wright est venu me féliciter avant le coup d’envoi de notre match suivant à Highbury. J’ai été surpris qu’il soit si heureux que j’aie amélioré son record. Il était un vrai battant qui allait jusqu’au bout de lui-même. Peut-être était-il triste, en son for intérieur, mais il n’en a rien montré. Il avait l’air enchanté. Moi, je suis certain que je serai déçu le jour où un autre améliorera mon record.

Aviez-vous entendu parler de Wright avant votre arrivée à Arsenal ?

Je l’ai vu à l’£uvre pour la première en finale de la Cup 1990. Il se produisait pour Crystal Palace, qui a réalisé un nul 3-3 face à Manchester United. Je me souviens aussi de ses matches contre le Paris Saint-Germain en Coupe des Vainqueurs de Coupe. Je l’ai vu contre Auxerre. Je savais donc qu’il était un avant redoutable. Je conservais en mémoire quelques-uns de ses superbes buts et je savais qu’il était le meilleur buteur de tous les temps d’Arsenal. J’ai toujours été surpris qu’il ne soit pas international anglais. Le football est parfois étrange…

Vous attendiez-vous à marquer autant pour Arsenal ?

J’y ai débuté en pointe puis j’ai glissé sur le flanc, jusqu’à ce qu’Arsène Wenger me replace en attaque. En arrivant à Arsenal, mon ambition première était de jouer. Ensuite, j’ai voulu bien jouer et marquer. Je n’ai pas pensé un seul instant à battre un record.

Connaissiez-vous bien Arsenal avant d’y être transféré ?

Oui. A la télévision, je regardais tout le temps les matches joués à Highbury. Plus tard, les internationaux français d’Arsenal m’en ont appris davantage. Manu Petit, Patrick Vieira et Nicolas Anelka étaient toujours élogieux à l’égard d’Arsenal. Ils avaient réussi un doublé et n’avaient que des expériences positives. Je connaissais donc bien Arsenal en débarquant à Londres mais pas toute son histoire, évidemment.

Avez-vous rejoint Arsenal pour quitter la Juventus ?

Non. Je ne voulais pas la fuir à n’importe quel prix quand même. Quand j’ai souhaité en partir, j’ai clairement expliqué que je souhaitais me produire pour Arsenal. Cela n’a pas été facile. Les clubs ont mis du temps à trouver un accord mais Arsenal était mon choix. Je n’en ai pas démordu.

Saviez-vous que le Real Madrid s’intéressait à vous ?

Non mais je sais en revanche que je figurais sur leur liste depuis mes 18 ans, ce qui a suscité un bel émoi en France. J’ai discuté avec le Real mais ensuite, il n’a plus montré le moindre signe d’intérêt. Quoi qu’il en soit, je visais Arsenal.

La vache grasse de la presse

Comment avez-vous commencé à jouer au football ?

Si mon père m’avait d’abord emmené à la piscine, je serais certainement devenu nageur mais il m’a conduit au foot et me voilà donc footballeur. J’avais quatre ans quand, un samedi, il est allé jouer au foot avec moi dans un parc.

Admiriez-vous des joueurs en particulier ?

Michel Platini était l’icône du football français mais je préférais Marco van Basten.

Quels entraîneurs préfériez-vous ?

Arsène Wenger, alors à Monaco, m’a beaucoup influencé. Cependant, c’était la grande époque de l’AC Milan et j’admirais beaucoup Fabio Capello, respecté par toutes ces vedettes internationales. Marcello Lippi a fait de l’excellent travail à la Juventus. J’ai eu la chance de travailler avec lui un moment, avant son limogeage.

Avez-vous jamais imaginé jouer plus tard à l’étranger, à vos débuts ?

L’étranger ? Je ne pensais même pas devenir professionnel alors… Il n’y avait d’ailleurs pas encore autant de footballeurs étrangers dans les différents championnats.

Beaucoup de rumeurs circulent sur votre contrat. Comment réagissez-vous ?

Cela ne m’intéresse pas. Je pense qu’on peut le remarquer en me voyant sur le terrain. C’est un sujet en or pour la presse. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on publie quelque chose à ce sujet. Cela devient ennuyeux, à la longue. Je peux comprendre qu’on s’intéresse à mon contrat mais j’ai dit tout ce que j’avais à dire en début de saison. Depuis, je n’ai pas changé d’avis. Si les gens m’observaient vraiment quand je joue, ils le sauraient.

Le Mondial à 20 ans

Passons à l’équipe de France. Au Mondial 1998, vous avez disputé tous les matches sauf la finale. Pourquoi et qu’avez-vous ressenti en étant écarté ?

Avant tout, gagner le championnat du monde à 20 ans, devant son public, est un événement extraordinaire. J’enrageais quand même de ne pas disputer la finale. Je devais normalement entrer en cours de jeu mais Marcel Desailly a été exclu en seconde mi-temps, ce qui a bouleversé nos projets. Néanmoins, quand j’ai pu brandir le trophée, à mon tour, j’ai oublié ma déception.

Ensuite, la France a raté le Mondial asiatique. Que s’est-il vraiment passé ?

Je ne cherche pas d’excuses mais la plupart d’entre nous évoluaient dans les principaux championnats d’Europe et sont allés loin en Ligue des Champions. Le Mondial a commencé juste après, sans guère de pause. La France n’a pas été la seule à rejoindre ses pénates prématurément. Le Brésil a gagné la Coupe du Monde mais Ronaldinho jouait alors au Paris Saint Germain, qui n’était pas en Coupe d’Europe et a terminé dixième du championnat. Rivaldo était sur le banc à Barcelone. Ronaldo revenait de blessure. Ce sont les joueurs qui ont fait la différence. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient frais. Pourquoi la Corée du Sud est-elle allée aussi loin ? D’accord, elle avait une équipe formidable, mais, surtout, ses joueurs étaient frais. Les Turcs ? Leurs batteries n’étaient pas à plat quand ils ont entamé le tournoi final.

Le scénario s’est reproduit deux ans plus tard au Portugal ?

Tout à fait. Les grandes équipes aux innombrables vedettes ont été éliminées prématurément. Celles-ci avaient tout simplement joué trop de matches, plus qu’elles ne le pouvaient. C’est un problème délicat. Je suis le premier à dire que je veux participer à tous les matches mais nous ne sommes que des êtres humains, pas des machines. Parfois, l’adversaire nous le rappelle cruellement. En outre, nous n’avons pas bien joué au Portugal.

Jacquet était un dieu

Vous avez connu une série de sélectionneurs : Aimé Jacquet, Roger Lemerre, Jacques Santini et maintenant Raymond Domenech. Qu’en pensez-vous ?

Aimé Jacquet était un dieu en France après notre victoire en Coupe du Monde. Gamin, j’étais supporter de Bordeaux, qu’il entraînait alors. Donc, quand nos chemins se sont croisés en équipe nationale, je le respectais, à l’instar de tous mes collègues d’ailleurs. On ne peut en dire autant de la presse. Elle l’a vraiment démoli. Si nous n’avions pas été champions du monde, il aurait dû fuir la France. Jacquet a uni les joueurs. Nous n’étions pas des vedettes mais une équipe de travailleurs. Nous n’avions pas d’attaquant exceptionnel. Nous devions donc nous appuyer sur notre défense et notre esprit de groupe. Nous avons montré qu’on pouvait aller loin de cette façon. Nous n’avons encaissé que deux buts sur tout le tournoi.

Roger Lemerre était le premier adjoint de Jacquet et a continué dans la même ligne. Le Mondial 2002 a été un échec mais n’oubliez pas que nous avons été champions d’Europe en 2000 avec lui, au terme d’une superbe performance.

Jacques Santini était différent, comme son approche. Alors qu’auparavant, nous jouions toujours en 4-5-1, il a préféré le 4-4-2. Nous nous sommes aisément qualifiés pour l’Euro 2004. Là, nous avons été battus par la Grèce parce que nous avons raté trop d’occasions. Si nous avions atteint les demi-finales, tout le monde aurait dit : -Mission accomplie. Au lieu de cela, nous avons échoué et Santini a tout encaissé. Pourtant, il n’a pas mal travaillé, dans l’ensemble. Notez, je ne partage pas l’avis de ceux qui affirment qu’atteindre le cap des demi-finales constitue déjà une performance, car cela ne vous vaut aucune médaille.

Raymond Domenech a hérité d’une tâche terriblement ardue. Pratiquement toute une génération – et laquelle ! – a raccroché. Il a dû former une nouvelle équipe avec des jeunes, ce qui requiert du temps, un ingrédient que le sélectionneur n’a justement pas eu puisque les matches de qualification ont commencé trois mois plus tard. Au début, tout semblait indiquer que nous allions être recalés. Domenech était le bouc émissaire rêvé. Finalement, Zidane et Thuram sont revenus et nous nous sommes qualifiés. Maintenant, toute la France se demande si Domenech est bien l’homme susceptible de conduire la France en finale.

Qu’en pensez-vous ?

Je ne pense pas encore au Mondial. Nous sommes qualifiés, c’est tout ce qui compte. Quelques joueurs chevronnés sont de retour. Nous verrons ce que l’été 2006 nous apportera.

KEIR RADNEDGE, ESM

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