« Produire du jeu »

Pierre Bilic

But annulé pour hors-jeu discutable à St-Trond, mais les Loups ne sont pas battus dans la lutte pour le maintien.

Voyager le long des frontières du vieux Staaienveld n’a jamais été chose aisée. Daniel Leclercq se réjouissait à l’idée de découvrir cette ambiance spéciale, unique, souvent hargneuse mais toujours positive qui fait la légende de l’antre de St-Trond. Il y avait beaucoup en jeu. Les Canaris et les Loups se battent de toutes leurs forces afin d’entretenir l’espoir de rester en D1. Le débat fut dès lors poignant, intéressant, indécis avec son lot d’actions, d’émotions et de leçons. Le résultat constitue la conclusion du travail de toute une semaine : 1-1 et un goût d’injustice.

« Il ne pouvait pas y avoir hors-jeu sur le but de Jean-Jacques Missé Missé, c’est une décision bizarre », disait Daniel Leclercq au terme de la rencontre. A La Louvière, l’entraîneur bleu-blanc-rouge avait préparé cette rencotre avec une minutie qui épata ses joueurs. Côté boulot, on retiendra le test de Cooper organisé le lundi 5 mars sur la piste du Tivoli (parcourir en courant la plus grande distance possible en douze minutes) dominé par le vieux Rudy Moury (3.350 mètres) et deux des gamins du Tivoli : Marcos Lucas et Onder Turaci.

Daniel Leclercq dirigea la plupart de ses entraînements l’après-midi. Une excellente façon de préparer les événements de St-Trond où le choc a eu lieu dimanche à quinze heures. En général, les footballeurs n’aiment pas trop jouer l’après-midi.

« C’était mon cas aussi car j’ai toujours trouvé qu’on respirait plus aisément en soirée », affirme Leclercq. L’optimisme était de rigueur auprès des Loups lors de l’approche du rendez-vous limbourgeois mais le Druide précisa : « Je ne lâcherai pas mes hommes d’une semelle car si éclaircie il y a, le temps n’est pas encore au soleil ».

L’homme maintiendra la pression mais le facteur humain jouera toujours un grand rôle dans son approche. Ce fut certainement le cas quand Daniel Leclercq fit la bise à Rudy Moury pour lui souhaiter un joyeux anniversaire. La semaine passée, Onder Turaci évoqua l’Aïd el Kebir, la grande fête des musulmans, qui s’est déroulée cette année sans sacrifice du mouton pour raison de fièvre aphteuse. Turaci souligna que tous les siens se retrouvèrent quand même avec plaisir. Toujours cet esprit de famille qui, s’il est sain et sans faille, peut être la bouée de sauvetage des Loups.

Le succès décroché face aux jeunes d’Alost vous avait-il permis de mieux cerner les potentialités de votre groupe?

Daniel Leclercq : Oui, j’ai trouvé que tous les joueurs étaient transfigurés par cette victoire méritée, même si elle ne fut pas toujours parfaite dans l’expression technique. Ils étaient très désireux d’y aller à fond. Il y avait eu des signes annonciateurs contre Bruges et Malines (deux matchs nuls) mais nous attendions tous le fameux déclic de la victoire qui donne une autre dimension à tout, au match, à l’atmosphère mais surtout au goût du travail quotidien qui retrouve toute sa finalité. La gagne était importante mais je ne voulais pas que nous arrivions à nos fins par tous les moyens. Non, il fallait le faire, histoire aussi de bien préparer les semaines à venir, par la qualité de notre jeu. Je les ai vus faire d’excellentes choses lors des entraînements et il fallait réussir cela en compétition. Ils étaient bien dans leurs têtes et cela leur a permis de remplir leur tâche très naturellement.

Je ne dis pas qu’ils accomplissent exactement ce que je veux voir sur une pelouse mais j’ai remarqué beaucoup de plaisir dans tous leurs comportements. Quand cette notion est à nouveau bien au centre du débat, on peut arriver au progrès, au dépassement de soi et à la fierté. Tout cela sera très utile tout au long des combats qui seront les nôtres jusqu’en fin de saison. L’état d’esprit est en concordance avec ce qu’on attend d’un footballeur, surtout quand son club est dans une situation difficile au classement général. Je n’ai pas du tout à me plaindre de leur profil mental. Il y a l’une ou l’autre exception : ceux qui n’ont pas la rage ne m’intéressent pas, mais tous savent qu’il faut se sortir les tripes pour aller chercher quelque chose. Ce n’est pas encore suffisant mais il y a progrès et il faut continuer.

Comment situez-vous les atouts louviérois dans le cadre du championnat de Belgique?

La Louvière a tiré son épingle du jeu contre le Club Brugeois il y a quelques semaines. Cela pourrait signifier qu’il n’y a pas un monde entre les clubs de l’élite. Or, il suffit de s’attarder sur le classement général pour constater que c’est tout à fait faux. C’est bel et bien un championnat à trois vitesses avec, en tête, dans le premier wagon, Anderlecht et Bruges. Le Standard peut, éventuellement, faire partie de cette catégorie. Derrière, il y a la deuxième classe de ceux qui visent la Coupe de l’UEFA ou vivent dans le ventre mou de l’élite. L’écart est déjà grand entre ces catégories de clubs. Enfin, il y a les autres, qui luttent afin de ne pas descendre. Les différences sautent aux yeux. Ce n’est pas un championnat homogène et il ne m’appartient pas d’analyser le phénomène, je constate. Il n’en va pas de même en France ou Lille, par exemple, fait douter les clubs les plus huppés, c’est-à-dire les plus riches, et domine le débat. Il n’est pas impossible que les Lillois s’emparent du titre. Cela veut dire que tout le monde peut battre tout le monde et la concurrence est tout à fait permanente, donc source de défis et de progrès. Je ne vois pas un Lille en Belgique, un club qui pour le moment serait capable de contester la hiérachie.

Dans ce contexte, et pour tenter de rester en D1, La Louvière est, en gros, passé du 4-4-2 au 4-3-3 : est-ce un changement de cap facile à digérer pour les Loups?

Rien n’est jamais facile. Je ne voulais pas me retrouver dans un schéma uniquement défensif car cela n’a souvent pas de sens. Défendre, défendre, rien que défendre, et être battu malgré tout sans avoir présenté ses atouts plus généreux, les seuls qui vous permettent de progresser: non, je ne désire pas travailler dans ce sens-là. Il faut agir, même et surtout si la situation n’est pas très brillante au classement général, pour imposer son jeu. Je n’aime pas subir volontairement les événements. Cela ne signifie pas qu’on ne se retrouve jamais devant ses bases défensives, non, mais ça veut dire que, si c’est le cas, l’adversaire est plus fort. C’est alors la loi du sport devant laquelle on s’incline tous, et pas la conséquence d’un choix délibéré, la nuance est tout à fait importante.

Il y a donc des volontés et je veux que les Loups produisent du jeu. Notre groupe est tout à fait réceptif quant à cette obligation. Cela passe à mon avis par une conception tactique avec trois attaquants. Cela leur impose une grosse charge de responsabilités et de travail. Offensivement, ils doivent créer le danger, imposer une pression évidente sur les défenseurs adverses mais, lors des pertes de balle, ils sont dans l’obligation de bien se replacer et d’aider tous leurs équipiers dans le boulot de récupération. Il faut être très appliqué dans tous les secteurs de l’équipe. Devant, Yves Buelinckx, Ante Simundza et Fred Tilmant ont des atouts et si je ne prétends pas que tout est parfait, je sais que nous pouvons être sérieux.

Avez-vous les hommes pour aller au bout de vos idées?

On verra mais le groupe est sensible et je vois que tout le monde progresse, c’est essentiel. J’y vois l’expression d’une ambition. Je veux toujours plus. On ne peut pas se contenter de la joie ou du succès d’un moment. Nous ne pouvons pas nous offrir la moindre forme de dilettantisme. Il y a des libérations individuelles et cela fait forcément du bien. Je songe à Domenico Olivieri qui est de plus en plus présent derrière. Il a trouvé ses bases et son métier y est très utile. Son influence bonifie forcément les autres. « Nico » couvre bien Onder Turaci, un jeune plein d’avenir. J’adore travailler avec les jeunes mais il vaut mieux parfois ne pas trop en parler afin de les protéger, donc de ne pas les griser dans leur éclosion. Onder Turaci a évidemment beaucoup d’avenir. Il retiendra les leçons de son erreur sur le but de St-Trond en début de match. Nous avons partout des joueurs intéressants. Alexandre Bryssinck est jeune, Rudy Moury a du métier, Thierry Siquet en a vu d’autres, etc.

Mais vous n’avez qu’un patron : Benoît Thans. N’est-ce pas trop peu?

Benoît Thans est le guide, le leader, le patron. Un joueur de ce type ne suffit pas et s’il y a vraiment une super-ambiance, les Loups manquent probablement de grandes personnalités. Elles peuvent se révéler dans les moments délicats que nous traversons. Un groupe a besoin de plusieurs points de référence, de gars qui doivent proposer des solutions, suggérer ce qui doit être fait sur le terrain et dans la vie au quotidien. Ce sont des phares. Le jour où Benoît Thans ne sera pas là, il faudra que d’autres prennent le relais.

Thans a cet impact et, sur la pelouse, il assume un grand rôle. Il brille aussi bien dans le jeu court que dans l’art de sortir une transversale qui éclaire le jeu. Il propose des solutions mais le problème est de ne pas en rester là. Avant d’influencer une phase de jeu, Benoît Thans doit avoir trois ou quatre solutions autour de lui. La ligne médiane doit lui en proposer mais les trois attaquants peuvent également en suggérer et Thans décidera de les exploiter ou d’inventer une autre solution. Personne ne peut être figé ou attendre. Quand Jean-Jacques Missé-Missé monte au jeu, contre Alost, et est décisif, c’est bien la preuve que la mentalité globale est bonne.

Harelbeke traverse plus ou moins la même situation que La Louvière et mise sur une philosophie plus défensive : pourriez-vous adopter le même profil?

Non, je l’ai déjà dit mais à chacun de faire ses choix. Notre désir de base est offensif et, avant de nous rendre à St-Trond dimanche passé, nos récentes statistiques (cinq points sur neuf, quatre buts marqués, un encaissé) étaient intéressantes. Je ne dis pas que La Louvière marquera trois buts tous les week-ends mais il faut des chiffres positifs pour en sortir. Dans ce contexte de survie en D1, le voyage à St-Trond m’excitait. On m’a parlé de ce petit stade brûlant, de cette ambiance particulière, du retour de ce club vers son jeu traditionnel fait de jeunesse, de vitesse et de gros engagement physique : nous y avons dominé le match tout au long de la deuxième mi-temps, c’est bien. Des clubs tentent parfois de changer leur fusil d’épaule. En France, Nantes joue à la nantaise, c’est un beau label de qualité et d’originalité. Tout repreneur commettrait une lourde erreur en modifiant cette approche car c’est l’histoire et presque la raison de vivre de ce club.

Comment situez-vous les principaux clubs belges par rapport au championnat de France?

Je découvre des équipes bien organisées et très sérieuses où il manque parfois les joueurs qui font la différence. Je me suis fait un plaisir d’analyser Bruges. Elle dispose d’un très gros arsenal athlétique, certainement dans sa division offensive. Il y a une solide culture tactique, un bon esprit de corps : c’est du bon matériel. Mais, par rapport à cela, ça manque un peu de fantaisie et de surprise. Bruges tiendrait une place bien en vue dans le championnat de France, à condition cependant d’avoir plus de rythme dans son jeu. Il faut plus de créativité afin de ne pas se baser uniquement sur tous ses schémas traditionnels. Anderlecht a franchi ce cap en mariant la discipline des joueurs et le talent de ceux qui font la différence balle au pied : Walter Baseggio, Alin Stoica, Bart Goor. C’est l’oxygène d’une équipe.

En France, il y a souvent trois ou quatre joueurs décisifs par équipe. A Lyon, Jacques Santini a dans ce registre des éléments comme Vikash Dhorasoo, Sonny Anderson, Steve Marlet, Sidney Gouvou. Je peux citer Ali Benarbia, Augustine Okocha, Nicolas Anelka au PSG, Pauleta et d’autres à Bordeaux, etc. Ce sont des joueurs qui font la différence. Bruges ne dispose pas d’une telle créativité. Il y a Robert Prosinecki au Standard et un petit joueur que j’aime bien à Westerlo. Il a pas mal d’atouts ce Lucas Zelenka…

Il a été loué à Westerlo mais appartient encore et toujours à Anderlecht…

Cela signifie beaucoup. Il apporte sans cesse de la créativité au centre du terrain.

Le capital physique de La Louvière était-il bon lors de votre arrivé au Tivoli?

Oui. Mais c’est aussi dans la tête que cela se passe. La peur tétanise et je me souviens avoir demandé à mes joueurs de ne pas se cacher, de se montrer, d’oser. Nous parlons beaucoup car tout le monde en a besoin.

Lors de vos premiers jours passés au Tivoli, vous m’aviez fait part d’un étonnement : les joueurs habitent parfois à plus de cent kilomètres du stade…

Chaque pays a ses habitudes. En Angleterre, tout est différent par rapport au Continent. Il y a une tradition que j’aime bien en Belgique : le plaisir de prendre son café ensemble le matin. Cela dit, passer deux ou trois heures tous les jours dans une voiture n’est pas ce qu’il y a de meilleur pour un sportif de haut niveau. Musculairement et mentalement, cela laisse des traces et il y a probablement quelques pertes d’influx. En France, l’entraînement commence vers neuf heures trente et après le travail du matin et les soins, les joueurs rentrent chez eux afin de manger à la maison, se reposent et reviennent au stade vers quinze ou seize heures. Si La Louvière veut franchir un cap de plus et accentuer le degré de professionnalisme, il faudra tenir compte des réalités belges et avoir des salles et des lits afin que les joueurs puissent se reposer au stade entre les entraînements. En France, les joueurs se retrouvent les uns chez les autres pour une soirée télé, pas pour une fête, et cela crée des liens. Mais, cela dit, il n’y a pas de problème et le joueur belge s’adapte bien à ses obligations.

La presse est-elle aussi présente qu’en France?

Oui. Elle a été très active lors de mon arrivée ici. A ce propos, il y a eu un malentendu. En semaine, je suis évidemment à la disposition des journalistes qui demandent à me voir après un entraînement. Mais mon dernier point presse a lieu la veille du match. Après cela, je me consacre entièrement à mon groupe. Je trouve que la presse belge est sympathique, a un ton bien à elle et je la trouve même étonnante dans ses affirmations. Elle ne manie pas la langue de bois comme en France.

Vous êtes un homme de médias : gardez-vous votre place dans le staff des consultants de Canal+ France?

Oui, j’aime bien participer à la présentation tactique et technique d’un match et revenir sur les conclusions d’un verdict sportif. Je reste à la disposition de Canal + en fonction de mes obligations à La Louvière, bien sûr.

La famille est importante pour vous : est-ce le havre de paix?

Oui, j’ai évidemment besoin d’eux. Ma passion pour le foot leur a imposé beaucoup de choses. Alors, quand je rentre à la maison, je veux être entièrement disponible pour eux. J’ai deux filles, une de 24 ans qui prépare son mémoire d’anglais, l’autre a 28 ans et est institutrice dans la région du Touquet.

Un manager, Alain Tirloit, ancien joueur de Lens, vous a mis en contact avec La Louvière : l’avenir, c’est quoi quand on a tout vécu avec Lens?

C’est tout faire pour sauver les Loups et, avec tout le club, travailler pour rester en D1, c’est tout.

L’argent ne sera-t-il pas le cancer du football français?

Peut-être. Quand des joueurs gagnent un million de francs belges par mois, qu’est-ce qu’on peut leur dire? Les agents de joueurs se sont jetés sur les clubs et ils créent les mouvements à leur profit. A Lens, j’amais bien Eloi Wagneau qui avait réalisé de bonnes choses en Ligue des Champions. Monaco était intéressé par ce joueur mais je lui avais conseillé de rester un an de plus chez nous. Il me promit de le faire, je lui accordais ma confiance, et il se rendit à Monaco par simple mesure de politesse. Le lendemain, un journaliste m’a demandé ce que je pensais du fait qu’Eloi avait signé à Monaco. Je n’en revenais pas et le joueur m’expliqua plus tard qu’il n’avait pas pu résister à l’offre financière. Difficile de travailler à long terme terme dans de telles conditions. Tous les managers ne pensent pas à l’argent et certains se soucient d’abord de gérer la carrière de leurs joueurs mais…

La Louvière n’intéresse heureusement pas les managers peu scrupuleux.

Mais, attention, il suffit de quelques bons résultats résultats pour qu’ils débarquent.

Pierre Bilic

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