» PRIORITÉ À UNE POLITIQUE DE JEUNES « 

Quels accents le champion veut-il placer cette saison ? Ivan de Witte, le président de Gand, a rendu visite à notre rédaction et a exposé ses objectifs.

Quelque part sur un de nos sept océans, un bateau-cargo, baptisé Buffalo Hunter, sous la bannière de Hong Kong. Taille : 294 mètres sur 32. La semaine dernière, il a quitté l’Egypte pour New York, en passant par Gibraltar et les Canaries. Sa proue est ornée d’un Buffalo gantois. Le bateau appartient à des armateurs belges, supporters des Buffalos.

Ailleurs, sur la terre ferme cette fois, dans une des rues de Gand, une Smart bleu et blanc, aux couleurs de Gand elle aussi. Ivan De Witte, le président du club champion, aimerait associer ces deux images : la Smart à côté du tanker. Tous Buffalos ! Dans quatre ans, il renoncera à la présidence.

 » J’aurai occupé le poste vingt ans, ça suffit. Toutefois, je dois achever mon travail. J’avais promis le titre endéans les cinq ans après le stade, il est venu en deux ans. C’est une boutade mais il nous en faut un autre d’ici trois ans.  »

La présidence vous a-t-elle changé ?

Ivan De Witte : J’ai toujours été une locomotive. A Gand, dans mon entreprise, à la Pro League. En foot, un jury vous observe au quotidien et il est impitoyable. Avant, nous n’étions pas toujours un club sympathique. Le stade mais aussi notre mentalité ont changé ce reflet.

Vous avez voulu impliquer Michel Louwagie dans la fête du titre mais une partie du public l’a conspué.

De Witte : Si je l’avais su, je ne l’aurais pas fait. Nous avons été stupéfaits. Michel a autant de mérite que moi mais il a le rôle du mauvais. Nous nous partageons les rôles dans les négociations. Il dit non jusqu’au bout puis j’interviens et je fais des concessions. Mais ça marque les personnes concernées. Reste que Michel est des plus précieux pour le club. Il mérite du respect pour sa valeur et son engagement.

À L’AJAX

Comment s’est déroulée votre jeunesse ?

De Witte : Ma mère tenait la boucherie d’un petit village, à Moortsele. Mon père s’occupait de la vente en gros de viande. Il choisissait les animaux, les abattait, les découpait et les vendait aux boucheries du pays. J’ai grandi au sein d’une famille qui travaillait beaucoup et avait peu de temps. Je suis allé en internat très jeune, d’abord à Bottelaere, puis à Gand. J’ai ensuite fait des études de psychologie à la RUG.

Vous avez été sprinter.

De Witte : Oui. J’étais affilié à l’Ajax Gand, comme l’ancien recteur de l’université de Gand, et je participais à des petites compétitions. Lors d’une course sur le terrain de football de Moortsele, on m’a chronométré en 10.30 sur 100 mètres, un temps fantastique. Je continue à penser qu’il n’était pas correct car c’était phénoménal.

En avez-vous gardé un faible pour les footballeurs rapides ?

De Witte : J’aime les joueurs qui apportent un plus. La vitesse est un facteur très important mais la vista et le don de soi sont encore plus cruciaux.

A quel stade d’un transfert faites-vous votre apparition ?

De Witte : Je suis très présent dans le choix des postes. Je trouve qu’on s’en occupe trop peu. Un six n’est pas le même dans tous les systèmes, par exemple. Evidemment, l’avis de l’entraîneur est déterminant. Je ne m’implique pas dans le processus de recherche : je reviens dans la phase ultime, quand il ne reste que deux ou trois candidats. Mais c’est Michel qui s’occupe des modalités financières.

Vous arrive-t-il de dire non ?

De Witte : Parfois. Il y a deux semaines, encore. Je m’appuie sur mes informations ou les antécédents du joueur : s’il a souvent changé de club en trois ans, je dirai plus vite non, même s’il répond aux autres critères.

PEUR DE L’ÉCHEC

Gand a parfois recruté des caractères spéciaux, des joueurs qui ne filaient pas toujours droit mais qui pouvaient faire la différence. Qu’est-ce qui prime : le talent ou le caractère ?

De Witte : Vous oubliez un troisième facteur : la phase dans laquelle se situe le club. Nous n’avons pas toujours eu le luxe de pouvoir enrôler un homme susceptible de faire la différence tout en s’intégrant à notre culture. Maintenant, nous ne transférerions plus de tels footballeurs. Ou rarement ;

Vous optez pour la continuité. Vous avez dédaigné deux transferts intéressants. Etes-vous assez ambitieux pour un club qui perçoit 18 millions pour sa participation à la Ligue des Champions et a le plus gros budget de Belgique ?

De Witte : La contribution de l’UEFA doit encore être établie. Rien ne dit qu’il en ira de 18 millions au total. Et ce ne sera jamais qu’un one-shot. Pour s’inscrire dans la durée, à l’échelon financier, il faut reconduire notre titre. C’est possible sans être notre ambition. Pour Bruges, c’est quasi une obligation cette saison, pour Anderlecht un objectif plus que souhaitable et, pour nous, du domaine du possible. La période des transferts n’est pas achevée. Deux positions ne sont pas suffisamment occupées. Ce sera fait, très vite même pour le défenseur central gaucher.

Avez-vous eu peur, en fin de saison, de louper le coche ? A la mi-mai, vous disiez que le titre ne serait pas pour vous…

De Witte : Prenons les faits. Nous marquons à trois minutes du terme au Club et le soir, Anderlecht perd deux points contre le Standard. La porte s’ouvrait, d’un coup… Jusque-là, je ne pensais pas au titre. Même le jour du match contre le Standard, j’ai craint que mes joueurs ne soient paralysés par le stress et la peur de l’échec. Je n’ai pas regardé le penalty de Neto, qui a fait 2-0 !

Vous attendiez-vous à pareille fête ?

De Witte : Personne. Nous pensions que 40.000 personnes assisteraient à notre promenade en bateau. Certains nous prenaient pour des fous. Or, les gens étaient trois fois plus nombreux.

UNE FEMME DÉSIRABLE

Avez-vous remercié l’entraîneur d’avoir tant insisté pour que la fête se déroule en ville ?

De Witte : Oui. Nous le souhaitions aussi mais la Ville jugeait qu’une fête dans le stade serait plus facile à contrôler. Nous avons toujours eu de bons rapports avec la Ville, nous ne voulions pas entacher la qualité de notre collaboration mais Hein est revenu à la charge à trois reprises. J’ai finalement contacté le bourgmestre. Il n’osait pas demander ça à sa police le vendredi pour le dimanche. Je l’ai fait. Nous nous sommes réunis le samedi. Gand est une ville très structurée grâce aux Fêtes gantoises. Sans ça, nous n’y serions jamais parvenus.

Avez-vous donné du bonheur aux Gantois ?

De Witte : Plutôt de la fierté. Sans vouloir exagérer.

L’embauche de Hein Vanhaezebrouck a finalement été cruciale, pour le titre comme pour la fête. N’étiez-vous pas fâché qu’il vous ait dit non à deux reprises, dans le passé ?

De Witte : Non. C’est un peu comme une belle femme qui se dérobe.

Deux fois !

De Witte : Comme ma femme !

Qu’est-ce qui vous charme en lui ?

De Witte : Un, son parcours. Je n’ai jamais pris en considération son faux-pas à Genk. Il a réussi à Courtrai. Deux, dans nos entretiens, il nous a convaincus grâce à son projet. La composition du noyau, le mental. Pas trop de nationalités de même origine, pour ne pas encourager les clans…

Et faire jouer la moitié d’un sous-groupe, pour qu’elle entraîne les autres dans son sillage…

De Witte : En effet. Hein pense à tout. Notre premier entretien a duré trois heures et il a été suivi de deux autres. Nous devions opérer les bons choix. Trond Sollied pensait aussi en termes de systèmes mais Hein va plus loin : il voit aussi l’homme, l’importance de la psychologie, la mentalité…

GAND PAS À VENDRE

C’est vous qui avez recommandé la psy.

De Witte : De commun accord.

Vous voyez-vous souvent ?

De Witte : Une fois par semaine, pendant trois heures, autour d’une bonne table, comme avec les autres entraîneurs.

Avez-vous convenu à ces occasions de fustiger le noyau ?

De Witte : Il nous en a informés sans demander la permission ni fixer de délai. Hein est indépendant. Il veut remettre tout le monde les pieds sur terre, pas seulement les joueurs. Ça prend du temps mais nous approchons du but.

Il a parfois du mal à communiquer des décisions ennuyeuses, sous ses airs confiants. N’est-ce pas bizarre ?

De Witte : Hein est soucieux de son noyau et très loyal. Il veut rester celui auquel on peut s’adresser. Ce ne serait pas un bon signe que les joueurs se tournent vers moi ou Michel. Sollied était plus cool. C’est permis quand la machine tourne.

Le RC Genk a aussi connu une période de succès, suivie d’une rechute. Ne craignez-vous pas de subir le même sort ?

De Witte : Non. La ville est beaucoup plus grande. L’histoire devrait donc tourner autrement pour nous que pour Genk. Le Racing, c’est une belle histoire dans un environnement de 70 à 80.000 personnes. Gand en abrite 250.000, avec plus de possibilités financières.

Vous êtes donc une fiancée attrayante.

De Witte : Un intermédiaire a demandé si Gand était à vendre. Non. Le club doit rester proche de son biotope. Ce n’est pas un hasard si le football se joue entre des villes. Saragosse, Reims, Barcelone. Le cyclisme est une compétition de sponsors, pas le football qui est un sport de villes. Céder un club à d’autres, du pays ou non, influence son caractère. Bien sûr, il y a ces flots d’argent en provenance de Russie, d’Arabie… Courtrai est en mains malaisiennes, Mouscron table aussi sur des investisseurs étrangers… Mais à mes yeux, c’est un peu en rupture avec l’authenticité du sport professionnel.

TROIS ANNÉES DÉTERMINANTES

Peut-on contenir cette tendance ?

De Witte : Sans doute que non. On doit essayer de la réguler pour ne pas s’aliéner. Je me demande ce qui va arriver à Courtrai et à Mouscron. Ce qui s’est produit l’année dernière avec la tentative de transmission du matricule de Zulte Waregem à Anvers confine à la folie.

Le tirage au sort des poules de la Ligue des Champions se déroule la semaine prochaine. Espérez-vous Messi ?

De Witte : Je ne suis pas sur la même longueur d’ondes que mon entraîneur mais chacun est libre de ses rêves. Hein espère plutôt une poule accessible alors que moi, j’aimerais de belles affiches et une troisième carte jouable. Nous n’allons pas participer pour le seul plaisir. Nous allons essayer de réussir quelque chose.

Les soirées européennes de Gand vont devenir des événements plutôt exclusifs. N’auriez-vous pas dû opter pour un élargissement ?

De Witte : Ces six millions étaient-ils le meilleur investissement à ce moment ? Je ne pense pas. Je préfère opter pour les jeunes et le long terme. C’est très clairement notre priorité. Evidemment, la formation des jeunes est une entreprise très complexe, très coûteuse. Elle a des répercussions profondes. Nous sommes disposés à nous investir dans ce projet. Sans fastes mais avec des bases solides. Terrains, entraîneurs, kinésithérapeutes, diagnostic… Nous avons pris du retard. Si on donne un huit sur dix à Anderlecht et au Club Bruges, Gand ne mérite pas plus de cinq.

Mais vous investissez six millions dans les jeunes !

De Witte : En les échelonnant ou en y attribuant un montant conséquent, disons. L’élargissement du stade dépend des résultats dans les trois années qui viennent.

PAR GEERT FOUTRÉ, JACQUES SYS & PETER T’KINT – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Le cyclisme est une compétition pour sponsors ; le foot un sport de villes.  » IVAN DE WITTE

 » Le titre est une obligation pour Bruges, un souhait pour Anderlecht et une possibilité pour Gand.  » IVAN DE WITTE

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