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PRINCES OF PERSIA

Iran rime souvent avec nucléaire, moins avec football. Pourtant, la Team Melli s’impose depuis plusieurs années comme la meilleure équipe d’Asie. La semaine prochaine, face à l’Ouzbékistan, elle peut même arracher son billet pour le Mondial en Russie.

Le  » clap  » fait trembler les murs de l’enceinte et les rues avoisinantes. Les cris et la liesse qui l’accompagnent s’occupent du reste. Pour 90 minutes, le temps s’arrête. Le pays a les yeux rivés sur le pré. Plus de 100.000 fous du ballon rond s’entassent autour. Deux coaches de renom abattent leurs cartes. Non, il ne s’agit pas du dernier Clasico. À Téhéran, dans son Azadi Stadium, l’Iran de Carlos Queiroz reçoit la Chine de Marcello Lippi.

Ce 28 mars dernier, la Team Melli ( » l’équipe nationale  » en VF), peut prendre une sérieuse option pour le prochain Mondial. L’Iran est leader de son groupe avec quatre points d’avance sur la Corée du Sud, qui accueille la Syrie de son côté. Mais si, sur le terrain, les deux font le job (victoires 1-0), c’est la ferveur dans la capitale iranienne qui frappe le plus.

Pour l’occasion, la Fédération de Football de la Ré- publique Islamique d’Iran (FFIRI) distribue les tickets d’entrée… gratuitement. La capacité d’accueil du stade, théoriquement de 78.000 places, explose logiquement. Les supporters – que des hommes, ou presque (voir ca- dre) – s’installent partout. Sur le haut des tribunes et jusque sur l’estrade où trônent les portraits de l’ancien Guide Suprême Rouhollah Khomeini et de l’actuel, Ali Khamenei. C’est que, souvent, le football en Iran est une af- faire d’Etat.

128.000 spectateurs en 1997

La situation devient presque banale pour un stade Azadi habitué aux larges assistances. Sorti de terre en 1971, huit ans avant la Révolution, c’est l’antre des deux entités de la capitale : Esteghlal et Persepolis, qui vient tout juste d’être sacré. Leur derby, le Surkhabi, est le plus chaud d’Asie, l’un des plus suivis dans le monde, dans l’une des arènes les plus intimidantes qui soit.

Jusqu’à la Révolution de 79, ses contemporains l’appellent  » Aryamehr Stadium « .  » Azadi  » signifie  » liberté  » en persan et  » Aryamehr « ,  » la lumière des Aryens « . Le terme tourne péjoratif via une utilisation barbare des Nazis, mais définit initialement le peuple à l’origine de l’Iran ainsi que sa base étymologique. Si Frank Sinatra y chante en 1975, l’endroit, rénové depuis, affiche son record d’affluence en 1997.

128.000 personnes s’y retrouvent pour assister à la rencontre qui oppose la Team Melli à l’Australie. Dans ce barrage aller, les deux équipes s’arrachent la dernière place pour le Mondial français de 98. L’enjeu est de taille puisque chacune n’en a connu qu’un seul, en 78 pour les premiers, quatre ans plus tôt pour les seconds. L’Australie est sur un record de 14 victoires d’affilée, l’Iran a galvaudé sa campagne et part naturellement challenger.

 » On est sortis pour l’échauffement et plusieurs d’entre nous disaient : ‘C’est pour ça qu’on joue, c’est pour ces moments-là « , rembobine le capitaine aussie Alex Tobin pour la TV locale, SBS, avant de tempérer le chaudron.  » Ce n’était pas vraiment une foule effrayante. Mais ils étaient évidemment très passionnés, comme beaucoup d’autres.  »

Il suffit de 19 minutes et d’un gamin de 19 printemps pour instaurer le silence. Harry Kewell déflore le marquoir pour les Socceroos.  » Je pense qu’à l’exception de deux supporters, qui étaient peut-être australiens, le reste était iranien. Donc, d’un coup, il n’y avait plus trop de bruit…  »

Mais Khodadad Azizi ne l’entend pas de cette oreille et remet tout le monde sur un pied d’égalité à la 39e (1-1). Les 128.000 spectateurs exultent.  » C’est le genre de rugissement que vous n’entendez qu’une fois dans votre vie « , assure Mark Bosnich, le keeper australien. Le score en reste là. Au retour, alors que les Socceroos mènent 2-0, Azizi ressort son costume de héros pour refaire le retard des Lions de Perse à Melbourne (2-2).

En quatre minutes. Bosnich évoque  » la plus grande déception de sa carrière. Les Iraniens étaient des guerriers. Ils ne voulaient rien lâcher. La plupart des équipes auraient laissé filé la rencontre… Pas eux.  »

Classée historique par la FIFA, la double confrontation est destructrice pour l’Australie, fondatrice pour l’Iran, qui se qualifie à la faveur des buts à l’extérieur.  » Je me suis assis et j’ai prié « , explique à FIFA.com le sélectionneur brésilien Valdeir Vieira, qui joue les grands seigneurs.  » Je suis vraiment désolé pour les Australiens et je sais que les enfants australiens qui aiment le football souffrent actuellement. Les Australiens auraient dû sortir vainqueurs aujourd’hui.  »

5 morts et une quarantaine de blessés

Depuis, la Team Melli dispute une Coupe du Monde sur deux. En France, elle échoue d’entrée contre la Yougoslavie (1-0), mais parvient à un succès sur les Etats-Unis (2-1), son seul dans la compétition jusqu’ici. Une victoire tout aussi héroïque qu’historique, compte tenu du contexte politique de l’époque. La qualification australienne laisse en effet des traces. Dans les rues de Téhéran, les célébrations se transforment rapidement en manifestations et en affrontements violents contre les Gardes de la Révolution.

Le récit du football iranien se conjugue à tous les temps avec le pouvoir en place au pays. En mars 2005, la défaite infligée à domicile au Japon (2-1), qui permet à l’Iran de passer en tête de son groupe de qualification, se mue une nouvelle fois en une vague de protestations anti-gouvernement. Avec un résultat plus grave encore qu’en 1997 : 5 morts et une quarantaine de blessés, dont plusieurs dans un état critique.

En 2001, la sélection échoue dans sa course au Mondial après un revers surprise essuyé contre Bahreïn (3-1). Un match largement à sa portée, qui pousse de nombreux supporters à crier au scandale. Ils pensent que l’Etat iranien a fait pression sur les joueurs afin qu’ils perdent et n’entraînent pas de débordements. Cinq ans plus tard, pour un petit mois, la FIFA suspend l’Iran de toutes compétitions internationales. L’organisation estime que le gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad  » interfère  » trop dans les affaires de la FFIRI.

Il faut dire que le président iranien (2005-2013) semble avoir un faible pour le ballon rond. En 2010, son pays ne connaît pas les joies du vuvuzela sud-africain, mais il peste tout de même contre Paul le Poulpe,  » symbole de décadence  » et de  » la propagande occidentale  » censé prédire les résultats du tournoi :  » Ceux qui croient à ce genre de choses ne peuvent pas diriger les nations du monde qui, comme l’Iran, aspirent à la perfection humaine basée sur l’amour de valeurs sacrées « . Ahmadinejad a d’ailleurs été écarté de la course aux présidentielles, qui se sont déroulées le 19 mai dernier, par le Conseil des Gardiens de la Révolution.

C’est justement pour protester contre sa réélection (à 62,6%), considérée frauduleuse par l’opposition, que sept joueurs de la Team Melli, dont les légendes Javad Nekounam et Ali Karimi, portent un brassard vert lors d’une rencontre à Séoul, en 2009. Tous bannis de l’équipe, ils soutiennent le green movement, un soulèvement post-électoral. Nekounam, plus capé de l’histoire (140 sélections), voit aussi son transfuge vers les émiratis de Sharjah bloqué en 2014 par la FFIRI, pour des raisons en apparence sémantiques. La fédération iranienne, dont le championnat porte le nom de  » Coupe du golfe Persique « , reproche aux Emirats arabes unis d’avoir baptisé le leur  » Ligue du golfe arabique « .

Autre forme de protestation : des supporters iraniens, qui se rendent au Brésil pour la dernière Coupe du Monde, postent des photos sur les réseaux sociaux avec leurs homologues américains. D’autres s’affichent à Tel-Aviv avec des Israéliens, ennemis de la République Islamique d’Iran, où Facebook et Twitter sont proscrits.

QUEIROZ LE PRAGMATIQUE

L’IRIB, équivalent local de la RTBF, diffuse le championnat national sans payer de droits télés. Et les clubs ne bénéficient que très peu de la vente de leurs produits. Au Mondial brésilien, la FFIRI avait d’ailleurs interdit aux joueurs de la sélection d’échanger leurs maillots pour éviter tout gaspillage.

Pendant le tournoi, les joueurs se plaignent même de leur équipementier, accusé de fournir des chaussettes qui rétrécissent au lavage. La solution proposée par la fédération ? Les laver à l’eau froide.

 » Pour couvrir toutes ses dépenses, le football iranien doit avoir une source de revenus « , dit Mahmoud Eslamian, aussi bien à la tête du système de pensions que dans le board de la FFIRI, pour The Financial Tribune.  » Ces problèmes vont finir par pousser les clubs à la banqueroute.  »

Le héros de Melbourne, Azizi, prévient dès 2010, au micro de la FIFA :  » Le football est extrêmement populaire en Iran et nous avons toujours eu des joueurs talentueux. Cela dit, nous devons suivre un programme de développement à long terme et être cohérents et réguliers au niveau organisationnel. La réussite passe par là.  »

Son message passe. Car s’il y a bien sur un point sur lequel les voix s’unissent et les hommes convergent, c’est vers la nomination au poste de sélectionneur du Portugais Carlos Queiroz, en avril 2011.

La même année, l’Iran gagne déjà 21 places au ranking FIFA pour se classer 45e. Le 6 avril dernier, la Team Melli pointe à la 28e, bien au chaud devant la Suède, les Pays-Bas ou le Cameroun.  » Carlos Queiroz réalise une performance de haut vol « , juge Eslamian.  » Son modèle de management peut être adapté à l’économie. Il s’occupe seulement du talent des joueurs et non de leur nom, ni des clubs pour lesquels ils ont joué. Queiroz a créé une discipline équilibrée pour l’équipe nationale.  »

L’ex-adjoint d’Alex Ferguson à Manchester United s’appuie sur une base de joueurs du cru, une nouvelle génération de talents expatriés et s’ouvre à la diaspora. Parmi elle, l’ancien rouche Reza Ghoochannejhad vient des Pays-Bas, où son nom s’écrit en haut du classement des buteurs. Steven Beitashour débarque des Etats-Unis, Omid Nazari de Suède et Ashkan Dejagah d’Allemagne.

Un pays qui entretient longtemps une relation étroite avec l’Iran et qui a coutume d’accueillir ses ressortissants en Bundesliga. Ali Daei et Ali Karimi portent ainsi les couleurs du Bayern Munich, quand Azizi effectue un passage moins remarqué à Cologne.

 » Depuis que je suis ici, on a plus de joueurs qui évoluent en Europe, plus que ça ne l’a jamais été. On est aussi l’équipe numéro un en Asie depuis plus de quatre ans « , souligne Queiroz, pas peu fier, dans le South China Morning Post.  » On a très bien fait notre travail pour être dans la position qui est la nôtre actuellement.  »

LE MESSI ET LE ZLATAN IRANIENS

Le credo du technicien lusitanien est clair : s’appuyer sur une défense de fer et tirer profit au maximum des coups de génie de ses artistes. Une stratégie qui rappelle celle mise en oeuvre par son compatriote Fernando Santos lors du dernier Euro. En clair, la Team Melli préfère le pragmatisme à l’esthétisme.

Un jeu en contradiction avec ses traditions mais qui s’avère chirurgical. En tête du Groupe A du troisième tour dans la zone Asie, l’Iran est invaincu avec cinq succès et deux partages, mais surtout six petits buts marqués pour zéro encaissé.

Pour son troisième Mondial à la tête d’une sélection, après le Portugal et l’Afrique du Sud, Queiroz signe au Brésil la première clean sheet iranienne dans la compétition, contre le Nigéria (0-0). Face à une Argentine sans idée, ses hommes sont proches de mener, avant de s’incliner à la 91e devant Leo Messi (1-0). Une seconde défaite, infligée par la Bosnie (3-1), ne les empêche pas de quitter l’épreuve la tête haute.

Le seul but vient des pieds de Ghoochannejhad, devenu une véritable star en Iran depuis qu’il a choisi d’évoluer pour son pays d’origine, en 2012. C’est déjà lui qui avait permis aux siens de rallier le Brésil, grâce à un but épique contre le Qatar (2-0), dans le temps additionnel.

L’ancien Trudonnaire est d’ailleurs devenu le premier Iranien à inscrire un triplé dans une D1 européenne, avec Heerenveen. Mais Reza risque de se faire voler la vedette par Sardar Azmoun, surnommé de manière triviale le  » Messi iranien  » (il mesure 1m86 et est droitier).

Originaire de la minorité turkmène, il évolue en Russie depuis sa majorité et intéresse plusieurs clubs anglais, dont Liverpool. Avec Rostov, il fait le break au Parc Astrid cet été (0-2) avant de scorer contre l’Atlético et le Bayern, mettant fin à onze ans de disette pour un Iranien en C1.

Sur la route de la Russie, il plante 8 banderilles en 12 joutes. Mehdi Taremi, buteur contre la Chine, le suit de près avec 7 buts en 13 rencontres et est considéré comme le  » Zlatan iranien « . Comme quoi, la Team Melli n’a presque rien à envier à personne.

 » L’Iran n’a pas subi une seule défaite et n’a même pas concédé le moindre but. Cela montre que c’est une très bonne équipe qui sait tirer les avantages d’un bon coach « , analyse sobrement Marcello Lippi, bon perdant après son revers avec la Chine. Dans un Azadi Stadium de nouveau comble, les Princes of Persia peuvent définitivement valider leur ticket le 13 juin prochain, s’ils viennent à bout de l’Ouzbékistan.

 » J’ai regardé les matches de l’Iran avant qu’on les affronte. Et je pense que les gens devraient plutôt s’attarder sur leur qualité et leur niveau de jeu que sur leurs supporters.  » Si IlMister le dit…

par nicolas taiana – photos belgaimage

La sélection iranienne, surnommée ‘Team Melli’ pointe à la 28e place mondiale devant la Suède, les Pays-Bas et le Cameroun.

Le Surkhabi, derby de Téhéran entre Esteghlal et Persepolis, est le plus chaud d’Asie.

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