Prince Nabil

Un artiste marocain de Bruxelles est à Monaco parce que la 93e fortune du monde le voulait à tout prix et a dépensé 7,5 millions.

Soleil, mer, yachts, grosses bagnoles, millionnaires et beautiful people. Nabil Dirar (25 ans) croise désormais tout ça au quotidien. Et le foot dans l’histoire ? Euh… Pour le moment, son nouveau club va mal. L’AS Monaco, repris en décembre par le milliardaire russe Dimitri Rybolovlev navigue dans le fond du classement de la Ligue 2. Dirar a-t-il fait un choix stupide en quittant Bruges fin janvier ?  » Alors là, je savais très bien ce que je faisais « , lance le dribbleur.  » Ce n’était pas une décision irréfléchie. Ici, les ambitions sont énormes. Les moyens aussi.  » Rencontre sympa le long du port, juste une semaine après son arrivée.

Tu es maintenant le plus gros transfert de l’histoire de Bruges !

Nabil Dirar : Ah bon ? Honnêtement, je ne savais pas.

Le Club a vendu des Daniel Amokachi, des Mario Stanic, des Robert Spehar pour beaucoup moins d’argent !

Oui, et il y a aussi eu Ivan Perisic, l’été passé.

Il a terminé meilleur buteur du championnat, il est international croate et il a rapporté moins d’argent que toi : tu trouves ça normal ?

L’explication, c’est que le président de Monaco me voulait à tout prix. J’étais sa priorité absolue. Il a participé lui-même aux négociations. Pour Monaco, il y avait lui et Filips Dhondt, le directeur qui a travaillé à Bruges. Pour le Club, Vincent Mannaert et Bart Verhaeghe avaient fait le déplacement ici : la grosse artillerie. Monaco faisait des offres, Mannaert et Verhaeghe demandaient toujours un peu plus. Et c’est comme ça que Monaco a finalement lâché plus de 7 millions. Hé, j’ai coûté aussi cher que Mbark Boussoufa quand il a quitté Anderlecht pour la Russie ! Je n’y crois toujours pas ! Je suis trop fier de moi…

Ton transfert restera historique pour Bruges. Tu penses que tu as marqué son histoire ?

Je ne crois pas, non. J’en vois dans le noyau qui pourraient rapporter encore plus d’argent que moi, demain ou après-demain. Suis bien Maxime Lestienne. Depuis que je ne suis plus là, il est plus libéré, ça se voit. Il y a aussi Thomas Meunier. Ils sont très bons. Et jeunes en plus. Moi, je vais avoir 26 ans.

 » Bruges me demandait de faire la différence, je ne savais plus gérer « 

Depuis le début de cette saison, on ne te reconnaissait plus. Tu étais très bon et surtout très calme.

Ah là, je me suis bien rattrapé, hein ! J’ai complètement changé mon image. D’un fouteur de merde, je suis devenu un gars totalement discipliné. Je suis content de moi. Et je tenais à partir avec une bonne image. Cette saison, il n’y a pas eu un seul incident avec moi. Je n’ai même pas pris une seule carte rouge.

Avant les play-offs de la saison dernière, le Club voulait te chasser.

Exactement. C’était au moment de tous mes problèmes, quand j’avais pété les plombs avec Vadis Odjidja et tout ça. J’étais mal dans ma peau, Bruges ne voulait plus de moi et moi aussi je voulais changer d’air. La direction a fixé un prix : un million et demi. J’ai trouvé des opportunités, notamment en Turquie. Puis, le prix a subitement augmenté et j’ai dû rester.

D’un million et demi, c’est passé à sept millions et demi : tu pensais que tu serais vendu un jour pour une somme pareille ?

Non, évidemment. Je te rappelle que je ne suis plus tout jeune.

Tu t’es calmé définitivement ou il y aura toujours un risque de rechute ?

Non, là c’est bon, maintenant je sais me contrôler. Toutes les séances avec le coach mental, ça n’a pas été inutile.

Je t’imagine mal sur le divan d’un psy.

Ce n’était pas un psy. Le type venait parler à tout le groupe de Bruges, on faisait des petits jeux et tout ça. C’était sympa.

Tu as été un gars agité dans tous les vestiaires où tu es passé . Il était comment, le petit Nabil ? Un chahuteur ? Un emmerdeur ? Un gamin de merde ?

J’étais un petit marrant, je ne me prenais pas la tête. Je ne pensais qu’à m’amuser. Je pense que ça se voit sur le terrain. Mais à Bruges, forcément, c’était agité la saison dernière. Le Club veut des résultats, des trophées. Tout le temps. Alors, quand ça ne marche pas, tout le monde s’énerve et le vestiaire ne peut pas être calme. Les joueurs ressentent une grosse pression. Je me suis énervé un peu plus que les autres, parce que j’ai mon caractère et aussi, sans doute, parce que je suis un joueur offensif. On me demandait de faire la différence. Ça ne marchait pas et je n’arrivais plus à gérer le truc.

Message à Koster :  » Pardon « 

Tu n’as pas de regrets par rapport à l’enfer que tu as fait vivre à Adrie Koster ?

J’ai un très gros regret, oui. Mon clash avec lui après un match contre Lokeren. Je mets une semelle à Tiko, j’aurais pu le blesser gravement, je ne prends heureusement qu’une jaune. Après le match, dans le vestiaire, Koster revient avec ça. En anglais, et mon anglais n’est pas terrible. Je comprends qu’il veut m’abaisser devant tout le monde, alors je pète un câble. Je me redresse, j’élève la voix, je me fâche, je commence à être à la limite agressif. Koster m’envoie alors en Réserve pour un mois. Après coup, on m’a expliqué ce qu’il avait dit exactement : il voulait me féliciter devant tout le monde parce que j’avais su me contrôler après ma carte jaune…

Tu ne trouves pas que Koster a payé très cher pour les erreurs commises par les joueurs ?

Je trouve, oui. Il a plein de qualités, il a fait sortir le meilleur de son groupe, il a permis de montrer une bonne image de Bruges, qui jouait le plus beau football de Belgique. Mais quand la direction a décidé d’intervenir, on l’a fait passer pour le seul coupable et on l’a éjecté. C’est plutôt des joueurs qu’il fallait remballer. Il y en a qui n’avaient pas le niveau du Club. On marquait beaucoup de buts mais on n’avait plus de défense. Koster, le pauvre, il devait faire jouer des gamins, à cause des blessures de titulaires. Anderlecht a un gros noyau. Si un pilier de sa défense est indisponible, il y a un gars comme Denis Odoi pour le remplacer. A Bruges, le banc n’était pas assez solide, c’était frappant.

Koster aurait pu redresser l’équipe comme Christoph Daum l’a fait ?

Je crois, oui. Le pauvre, on ne lui a pas laissé assez de temps.

Le travail est fort différent avec Daum, c’est plus dur et donc le groupe n’apprécie pas…

Il ne faut pas voir les choses comme ça. On travaillait super bien avec Koster. Techniquement et tactiquement, c’était très chouette. Ses entraînements étaient amusants, on ne s’ennuyait jamais. Avec Daum, c’est clair qu’il faut plus bouter. Physiquement, c’est très costaud. Quand tu as fait des petits matches à deux contre deux sur presque tout le terrain, tu n’as qu’une envie au moment où tu rentres à la maison : aller faire une bonne sieste !

Toi aussi, tu ressentais un manque de plaisir pendant les matches ?

Non. Je comprends qu’un Vadis Odjidja se plaigne. Quand il jouait avec Victor Vazquez dans l’entrejeu, il devait souvent rester derrière pour couvrir parce que Vazquez partait continuellement vers l’avant. Vadis aime bien aussi se retrouver plus haut, et comme il ne pouvait plus le faire, ça le faisait chier. Mon cas était différent. Je devais aussi défendre de temps en temps mais je conservais beaucoup de liberté parce que j’étais toujours couvert, par Vadis ou par Carl Hoefkens. Non, franchement, ça me plaisait bien avec Daum. On gagnait des matches, les primes rentraient. Tout le monde était fatigué à la fin des matches, il y avait parfois des crampes, mais beaucoup de gars étaient contents.

20e au Soulier d’Or :  » Je rigole « 

Tu sais ce que Daum a dit après ton départ ?

Non. Je sais qu’il était déçu. Je n’ai même pas eu le courage de l’appeler…

Il a dit qu’il avait perdu son meilleur joueur.

Ça ne m’étonne pas… Je n’avais jamais été aussi bon depuis mon arrivée à Bruges. Tactiquement, j’étais bien. Mes stats étaient bonnes. Et dans la tête, j’étais enfin devenu un pro. J’aurais déjà pu donner autant il y a trois ou quatre ans, mais j’étais mal entouré. Je voyais beaucoup mes potes, j’aimais sortir comme les jeunes. Ça peut s’expliquer : tu as 20 ans, tu es pro, tu as une grosse bagnole, tu attrapes facilement la grosse tête. A l’époque, je pensais que je pouvais jouer partout, je ne voyais pas de limite, je m’imaginais très vite dans une grosse équipe d’un tout gros championnat.

Daum reconnaît que le Club ne pouvait pas refuser l’argent de Monaco, mais lui, il aurait tout fait pour te conserver. Quitte à ce que tu fasses la tête pendant quelques semaines. Il est certain que tu serais vite revenu les pieds sur terre.

Mais c’est le Club qui m’a laissé partir sans demander l’avis de son coach ! Qui m’a poussé à m’en aller, même. Et quand on m’a dit ce que je pouvais gagner ici, je n’étais pas contre. Qu’ils s’arrangent… Moi, quelques jours plus tôt, je m’imaginais encore à Bruges pour longtemps. En fin de saison passée, j’avais prolongé jusqu’en 2016, je venais de déménager, on avait préparé la chambre pour la petite qui va bientôt venir. C’est l’offre subite de Monaco qui a tout chamboulé.

Tu ne souffrais pas d’un manque de reconnaissance en Belgique ? Tu connais ton classement au Soulier d’Or ?

Non.

Tu as fini vingtième.

Vingtième ? Non ! Alors là, c’est n’importe quoi. Si le vingtième ramène plus de 7 millions à son club, le vainqueur vaut combien sur le marché ? Je rigole quand je vois des trucs pareils.

 » Si le président de Monaco veut Eto’o, il l’aura « 

Monaco commence à s’intéresser à toi à quel moment ?

Très tard, le mercato était presque fermé. La veille de Mons-Bruges, j’apprends qu’ils ont contacté le Club. Ils voulaient rencontrer les patrons très vite. Au moment où le Club refuse la première offre, le président russe dit : -Pas de problème, je veux tellement Dirar que je peux donner encore beaucoup plus. Le lundi matin, Mannaert et Verhaeghe descendent ici. Dans la journée, ils m’appellent : -Viens vite, sois là ce soir, tu verras ainsi le match contre Lens. Il ne restait qu’un peu plus de 24 heures avant la fermeture du mercato. En fin de soirée, nous sommes tous allés dans un endroit sympa, ils m’ont montré la proposition de contrat, j’ai accepté, je passais les tests médicaux et je signais le lendemain.

La veille du match à Mons, tu as envoyé un certificat médical au Club, via ton avocat ! Tu étais vraiment blessé ?

J’avais un petit problème à la hanche, je l’ai toujours. Et j’étais grippé. D’ailleurs, j’ai pris un sirop dont Monaco a retrouvé des traces dans mes urines…

Ta première réaction quand tu as vu le classement de Monaco ?

Honnêtement, je n’ai même pas regardé.

Tu savais quand même que l’équipe était très mal classée ?

Non, je savais seulement qu’elle était en Ligue 2. Je n’ai pas eu le temps de m’intéresser à son classement…

Aujourd’hui, tu n’es pas un peu effrayé ?

Effrayé ? Et pourquoi ? Tu n’imagines pas à quel point c’est pro ici. Il y a des objectifs gigantesques. Le président vient de transférer une dizaine de joueurs, il a dépensé près de 20 millions : ça veut tout dire. Il est blindé, il peut transférer tous les joueurs qu’il veut. Même Samuel Eto’o, s’il en a envie. Le plan est très clair : on se sauve en fin de saison, on joue le titre l’année prochaine. Hé, je ne suis pas venu ici pour jouer toute ma vie en Ligue 2 !

Pour le moment, Monaco est plus proche de la D3 que de la D1. Nabil en National, ça ferait cloche…

Nabil n’ira pas en National. Impossible. Et basculer avec une équipe comme on a, c’est inimaginable.

 » Je ne me retrouve pas dans un vieux bled « 

Comment tu as pris ta décision ? Tu as donné à 90 % la priorité à l’aspect financier, et à 10 % au côté sportif ?

Hé, non ! J’ai signé dans un grand club. Et je ne me retrouve pas dans un vieux bled. Je suis super bien. Et je bosse avec des gars qui ont joué au top. Ludovic Giuly a fait une terrible carrière : Lyon, Barcelone, AS Rome, PSG, c’est pas bien ça ? C’est le boss du vestiaire, il est à Monaco ce que Carl Hoefkens est à Bruges. Et mon coach, Marco Simone : des titres en Italie et en France, des Ligues des Champions, près de 10 ans à Milan,…

Tu touches un million net par an ?

Je ne sais pas… (Il rigole). C’est sûr que je gagne beaucoup.

Ici, comment on explique le classement catastrophique ?

On ne stresse pas, tout le monde est tranquille, on s’amuse à l’entraînement, on sait qu’on va se sauver et viser le titre l’année prochaine.

Il y a eu près de 10 transferts en janvier et il y a près de 35 joueurs dans le groupe !

Tout le monde va batailler pour avoir sa place, c’est ça qui va nous faire gagner des matches. C’est clair que la concurrence va être plus sévère qu’à Bruges.

Il y a par exemple 12 médians et sept attaquants…

Normal, on veut marquer plein de buts. (Il se marre).

Tes potes Mbark Boussoufa et Mehdi Carcela ont choisi la Russie : ça ne te tentait pas d’y aller ? Au moins, là-bas, tu aurais combiné gros salaire et foot de bon niveau.

Il ne faut pas non plus dénigrer la Ligue 2. Où est-ce que beaucoup de clubs belges ont déjà fait leurs courses ? En National et en CFA. Osasuna va chercher Roland Lamah en Ligue 2. Et pour la Russie, j’ai eu des offres mais ça me faisait peur. A Monaco, j’ai l’argent, le soleil et la belle vie. Je me promène, je ne dois pas calculer, personne ne va me faire chier. En Russie, c’est autre chose. Pas du tout sécurisant. Lors d’un match de Grozny, un joueur qui venait de se faire exclure a été tabassé en quittant le terrain : ça fait peur.

Tu sais que Monaco n’attire que 4.000 spectateurs en moyenne quand il joue à domicile ? C’est quand même plus sympa de jouer dans des stades où il y a plein de monde !

Au moins, tu n’es pas stressé, personne ne t’engueule, t’es tranquille… (Il éclate de rire). Mais ce n’est pas non plus Dubaï ou le Qatar, hein ! Là-bas, ils doivent mettre des stewards et des émirs dans les tribunes pour donner l’impression qu’il y a un peu de monde… Ces pays-là, j’y penserai après 30 ans.

Qu’est-ce que tu sais de Dimitri Rybolovlev. Ton nouveau président…

Qu’il est russe et qu’il a beaucoup d’argent.

Il fait partie des 100 plus grosses fortunes mondiales, il a un yacht, un avion privé. Et il a racheté la villa de Donald Trump à Palm Beach !

On m’a aussi dit que sa fille avait l’appartement le plus cher du monde.

PAR PIERRE DANVOYE, À MONACO – PHOTOS : IMAGEGLOBE / THIEBAUT

 » Seulement 4.000 spectateurs à domicile ? Au moins, tu n’es pas stressé, personne ne t’engueule…  »  » Koster a été éjecté mais c’est plutôt des joueurs qu’il fallait remballer. « 

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