« Preud’homme me veut à tout prix »

Pierre Bilic

Le vigneron bordelais mettra-t-il ses ambitions en bouteille au Château Slessin? Un monologue.

Marc Wilmots : « L’équipe nationale passait avant tout la semaine dernière,… mais on ne cessait de me parler du Standard. Si cela continue, ce sera comme l’année passée et je n’aurai pas droit à mes trois semaines de vacances. Or, j’en ai bien besoin car la saison a été très longue. Au départ, je ne suis pas demandeur dans cette affaire même si, tactiquement uniquement, j’ai un petit problème à Bordeaux. Mais ça ne m’a pas du tout empêché de jouer presque tous les matches des Girondins, que ce soit en Coupe de France, en championnat ou lors de nos rendez-vous européens.

Le président de Bordeaux à récemment dit à la presse qu’il était content de moi. Il n’a pas du tout envie que je parte, au contraire. Pour lui, je suis même indispensable dans le groupe car Bordeaux a toujours beaucoup de pain sur la planche.

Le problème se situe ailleurs : je ne joue pas à la place pour laquelle Bordeaux m’a acheté à Schalke 04. Et ce ne fut pas pour rien pour un joueur largement trentenaire : cent vingt millions de francs belges et un excellent contrat. Je mérite ce salaire car j’ai tout donné au football. Si rien ne change, je resterai encore deux ans à Bordeaux. La région me plaît, j’ai trouvé mes marques et la vie y est agréable. Je pourrais même y passer deux ans sans jouer, me contenter de mon contrat. Deux ans de vacances au soleil, ce ne serait pas mal.

Mais tout va vite en football et il n’est pas impossible que la campagne des transferts me convienne et qu’il y ait finalement une ouverture à Bordeaux.

Pauleta a cassé la baraque et j’aimerais tourner autour de lui. Les Girondins vont peut-être se séparer de l’un ou l’autre attaquant. Il a été question du départ de Lilian Laslandes et cela me permettait de jouer un peu plus dans l’axe. Une chose est bien ancrée dans ma tête : si c’est pour jouer sur le flanc droit, il ne faut plus compter sur moi, c’est non, cent fois, non. Bordeaux et Elie Baup ont un gros souci, moi pas. On m’a promis une place qui n’existera jamais avec Baup. A eux de résoudre ce problème car, moi, je n’en veux plus. On me juge finalement à une place qui n’est pas la mienne et cela ne peut pas continuer ainsi. Le public des Girondins de Bordeaux m’aime bien, je le sais, mais je peux lui apporter bien plus si on utilisait mieux mes atouts ».

Le Standard évoque mon retour.

« On sait ce qui me lie à ce club mais ce n’est pas à moi de régler ce problème, c’est aux deux clubs de trancher et de s’arranger entre eux. Moi, je veux garder les mêmes acquis que maintenant. Il n’y a aucune raison que j’y renonce, d’autant plus que, si je le voulais vraiment, une piste me mènerait directement vers l’Angleterre.

J’ai rencontré Luciano D’Onofrio et Michel Preud’homme à Liège avant les deux derniers matches de l’équipe nationale. Ils ont envie que je revienne au Standard. Tous deux savent qu’Elie Baup ne quittera pas Bordeaux, alors qu’on parlait de lui à Monaco… et que ma place n’existe pas dans son schéma tactique.

C’était déjà le cas cette saison et j’ai joué en position médiane excentrée sur la droite alors que je suis un joueur d’axe. Michel Preud’homme m’a dit et répété qu’il avait besoin d’un patron dans ce secteur de jeu. Je le comprends et mon ami Michel a toujours une réponse à tout car il a soigneusement préparé ses dossiers. Preud’homme sait où il va et gère bien ses arguments. Je n’ai jamais eu peur des défis mais je sais aussi que rien ne serait facile à Sclessin. Le club a franchi un pas, c’est bien, et il en faudra plus. Dès lors, si cela tournait mal, le ciel me tomberait sur la tête à Sclessin et ce serait bonjour les dégâts et la pression. Or, j’ai déjà beaucoup donné. La tête suit mais il y a le corps qui a déjà beaucoup été sollicité.

Je ne peux pas continuer à le soumettre à un tel régime durant dix ans. Tout va vite et je ne tiens pas à terminer usé, sur les rotules ou avoir sans cesse des béquilles près de la main pour me déplacer. Trop d’anciens joueurs doivent se refaire les hanches et même Enzo Scifo en parle. Or, que je sache, il y a encore une vie après le foot. C’est un élément de réflexion très important pour moi. Je ne suis pas cuit mais le plus gros de ma carrière est dans le rétro et il faut être prudent avec son potentiel physique qui n’est plus le même qu’à vingt-cinq ans.

J’ai vécu pas mal de drames de joueurs détruit à cet âge-là alors vous pensez bien qu’il faut être dix fois plus prudent en fin de parcours. A Malines, Ruud Krol imposa de longues séances de multi-bonds au petit et doué Paul De Mesmaeker. Le bilan fut catastrophique pour ce joueur qui était venu du RWDM et qui était considéré comme un grand espoir du footbal belge : le dos en compote, blessure sur blessure et même une carrière réduite en cendres finalement ».

Bordeaux me ménage.

« Si je tourne à un bon régime pour le moment, je le dois aussi en partie au préparateur physique de Bordeaux : Eric Bédouet. Avec l’accord de l’entraîneur, Elie Baup, il m’a concocté un programme spécifique. On analyse tous les paramètres qui me concernent et je ne m’entraîne pas comme un gamin: on tient compte de mes années de service, de mes cicatrices et de mes blessures de guerre, comme dit Robert Waseige. A Bordeaux, c’est parfait à ce niveau. Je suis ménagé mais cela ne signifie pas que je travaille moins, c’est différent et je n’avais jamais connu un tel degré de professionnalisme dans la préparation physique. Tout est individualisé quand c’est nécessaire.

Les grands succès français sur la scène internationale s’expliquent aussi par ce souci de bien faire les choses. C’est nécessaire car le jeu est de plus en plus engagé en championnat de France. Michel Preud’homme connaît le problème et il m’a dit que j’aurai également droit à un programme physique et d’entraînement adapté avec soin au Standard. Preud’homme me veut à tout prix. Si je viens au Standard, ce sera pour courir, pour marquer, pour me battre mais j’éviterai les séances de bonds car je n’en ai plus besoin. La presse ne cesse de me suggérer des tas de solutions. Je ne suis pas du tout au courant. Je tombe un peu des nues. Il a d’abord été question, selon les journalistes, d’un contrat de dix ans.

Si j’en crois tout ce qu’on me dit, j’intégrerai le staff technique à la fin de ma carrière de joueur. Ce thème se retrouvera peut-être un jour sur la table de discussion mais il n’en a jamais été question avec le Standard jusqu’à présent. On évoque aussi un échange avec Mornar. Premières nouvelles et que je sache, Ivica se sent bien à Liège et n’a peut-être pas envie de se retrouver dans le Bordelais la saison prochaine. Tout le monde n’aime pas forcément le vin. J’ai également lu quelque part que Frédéric Pierre était cité à Bordeaux. Je n’en sais rien du tout.

Je ne suis évidemment pas réticent à l’idée de revenir au Standard car c’est le club de mon coeur mais cela ne se décide pas en une seconde. Il y a beaucoup d’intérêts en jeu pour tout le monde et je veux réussir les deux dernières saisons de ma carrière. C’est important. Pour moi, pour ma famille. Cela peut se faire très calmement à Bordeaux où, si je reste, on me fera peut-être jouer à la carte ».

Au Standard, le stress sera important.

« Je le sais car je connais ce club. Quand je prends une décision, même un cheval de trait ne me retiendrait pas. J’avais décidé d’aller prendre l’air à Schalke et il aurait fallu me tuer pour me retenir. Je crois que je réexaminerai le problème avec Michel Preud’homme et Luciano D’Onofrio après le retour de St-Marin. Il sera alors temps de bien réfléchir mais rien ne dit que le transfert se fera tout de suite : la donne a changé en football, il y a plus de mouvements à tout moment que dans le temps. En Angleterre, cela n’a jamais posé de problèmes et cette habitude s’étend au continent. J’ai le temps et si les deux clubs sont pressés, c’est plus leur souci que le mien.

Moi, après trois semaines de repos, je serai prêt à reprendre le travail que ce soit à Bordeaux, au Standard ou en Angleterre. Si une solution devait se dessiner en faveur de Sclessin, je n’aurais évidemment pas le plus petit problème d’adaptation.

En équipe nationale, l’envie de progresser ensemble est énorme et c’est beau. Il y a un an, après l’EURO 2000, les observateurs ont parfois été pessimistes. Ils avaient tort car quelque chose brûlait dans le coeur de ce groupe. Ce feu nous a permis de repartir tout de suite du bon pied.

Il y a un an que l’équipe nationale n’a plus été vaincue et ce n’est pas un hasard. Nous y puisons tous une fameuse force morale. Cet esprit positif est à mettre à l’actif de Robert Waseige. Il trouve toujours les mots justes. Si complémentarités il y a, c’est parce que les hommes ont été choisis avec soin. J’ai mon passé et ça peut évidemment compter aux yeux des plus jeunes. Je refuse cependant de m’isoler dans le rôle de capitaine. C’est d’ailleurs beaucoup trop complexe pour un seul homme. Tout le monde est concerné. A Glasgow, la Belgique a été menée 2-0 et ce fut rapidement mal embarqué. Il y a avait le feu mais tout le monde a réagi ensemble, l’équipe, ceux qui ont assumé des remplacements, le banc: sans ça, la Belgique n’aurait pas pu redresser la tête. Je me bats afin de préserver cet esprit qui sera indispensable jusqu’au bout.

J’ai envie d’aller au Japon et en Corée. Ce serait une sixième qualification consécutive pour un petit pays comme le nôtre, de quoi être fier. Pour en arriver là, il faudra être appliqués jusqu’au bout. Je savais que nos deux rendez-vous de juin ne seraient pas faciles à négocier. La saison a été longue et il faut se dépasser, repousser la fatigue, se préparer avec soin pour ne rien lâcher. Il n’y a plus de petites équipes et la Lettonie l’a prouvé en mettant le pied dans les duels, surtout en deuxième mi-temps. Leurs meilleurs internationaux jouent désormais en Angleterre.

Je craignais un peu les séquelles d’une fatigue mentale. Elle a été visible mais nous l’avons bien gérée. Il y a eu des absences, des blessés, des suspendus face à la Lettonie mais Waseige a trouvé les bonnes solutions. Je ne suis plus un joueur de pointe mais j’ai servi le groupe en me postant près d’ Emile Mpenza avec qui j’aime bien jouer. En Ecosse, je me suis retrouvé sur le flanc droit en deuxième mi-temps ».

Il faut absolument se qualifier pour l’Asie.

« Cela ferait un bien fou à tout le football belge. Le respect à notre égard est à nouveau perceptible à l’étranger. Les exploits d’Anderlecht en Ligue des Champions y sont aussi pour quelque chose.

La Belgique n’a pas franchi le premier tour de l’EURO 2000 mais elle a été audacieuse et les scouts des grands clubs ne l’ont pas oublié. Nos internationaux ont la cote à l’étranger. Il y aussi eu un rajeunissement de cadres. La Belgique avait une vieille équipe en France, il y a trois ans. La moyenne d’âge n’est plus la même et c’est une bonne chose. L’avenir est assuré mais pour que tout soit parfait, nous devons nous qualifier pour la phase finale de la Coupe du Monde. Ce sont des expériences tellement fabuleuses. Après, je pourrai envisager ma retraite ».

Dia 1

Pierre Bilic

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