PRÊT POUR L’OUVERTURE

Ce petit pays d’Amérique centrale est très fier de donner le coup d’envoi de la Coupe du Monde face à l’Allemagne.

Le siège de la fédération de football du Costa Rica, par rapport à la Maison de Verre de l’Union Belge, c’est un peu la cabane du pêcheur : une maison en bois située à la lisière du grand parc de La Sabana, à l’entrée de San José, la capitale. Au centre du parc, on trouve le stade national, qui n’abrite plus que les sélections de jeunes, car l’équipe nationale A dispute désormais la plupart de ses matches en périphérie, dans l’enceinte du Deportivo Saprissa, club champion de la Concacaf (Confédération d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes).

Ce petit pays de 4 millions d’habitants qui a choisi de vivre sans armée au c£ur d’une région traditionnellement instable, disputera dans un mois la troisième Coupe du Monde de son histoire. Il aura même l’honneur d’ouvrir les hostilités, le 9 juin, face à l’Allemagne, et le président HermesNavarro n’en est pas peu fier.  » C’est la consécration du projet Gol entamé en 1999 avec des jeunes de toutes les régions du pays, âgés de 9 à 13 ans « , explique-t-il.  » Des régions, jusque-là quasiment inexplorées sur le plan footballistique en raison de leur éloignement ou de leur difficulté d’accès, ont été passées au peigne fin. On y a découvert de grands talents, alors qu’avant cela, on recrutait principalement les joueurs dans la capitale et le centre du pays. Ces jeunes ont bénéficié d’un programme d’allocations et de formation, qui leur a permis de poursuivre à la fois leurs études et leur développement sportif. Arrivés à maturité, ils ont ensuite formé la base des sélections -15 ans, -17 ans et -20 ans pour, finalement, déboucher sur l’équipe nationale A. Actuellement, les joueurs qui doivent constituer l’ossature de l’équipe nationale -17 ans de 2007 travaillent déjà ensemble depuis un an et demi. Et on prépare déjà celle de 2009 « .

Et le président nous montre fièrement la maquette du centre de formation créé aux abords de l’aéroport de San José et financé, en partie, par l’argent reçu de la FIFA.  » Nous avons reçu 400.000 dollars de la fédération internationale. C’est peu pour un projet qui coûtera, dans sa totalité, 14 millions de dollars, mais c’est déjà une aide appréciable. Le gouvernement a offert le terrain et quelques sponsors privés ont également apporté leur écot « .

De la pêche au football

L’idée a surgi dans l’esprit de Navarro lorsqu’il était le président du club de Puntarenas, un port de pêche situé sur la côte Pacifique.  » Personnellement, je suis originaire de San José, mais je gérais dans cette région une entreprise de pêche, spécialisée dans la crevette et le thon. Mon entreprise fonctionnait bien, mais je l’ai vendue au moment opportun et aujourd’hui, je suis président de la fédération à temps plein… mais sans salaire ! C’est un peu mon hobby « .

A l’issue du tirage au sort de Leipzig, en décembre, Navarro était l’homme le plus heureux du monde. D’abord, parce que le Costa Rica était présent pour la troisième fois à ce niveau.  » C’est la preuve que le football se développe dans le pays. Et plus le football sera développé, moins il y aura de problèmes de délinquance, de drogue ou d’alcoolisme « . Ensuite, parce que le hasard a désigné le Costa Rica comme adversaire de l’Allemagne pour le match d’ouverture.  » C’est une chance inespérée, car les regards du monde entier seront braqués sur le Costa Rica, ce jour-là. C’est important pour l’image du pays et c’est aussi une source de motivation supplémentaire pour les joueurs, pour autant que ceux-ci en avaient besoin. Et puis : il y a souvent des surprises dans les matches d’ouverture. Alors, qui sait ?  »

Un homme a vécu toutes les Coupes du Monde du Costa Rica : AlexandreGuimaraes était joueur en 1990 et sélectionneur en 2002. Il sera encore sur le banc en Allemagne, en juin prochain.  » Il a été très important dans nos succès « , reconnaît Navarro.  » Il connaît le football costaricien sur le bout des doigts, est capable déceler très rapidement les qualités et défauts de chacun de ses joueurs, et en tire un rendement maximum en les intégrant dans l’équipe en un temps record « .

Fils d’un médecin brésilien

Curieusement, cet homme qui symbolise le football costaricien est né… Brésilien.  » Je suis né à Maceio, dans le nord du Brésil « , explique-t-il d’un ton posé et réfléchi.  » Alors que je n’avais encore qu’un an, mes parents ont émigré à Rio de Janeiro. Les souvenirs que j’ai conservés de mes 11 années au Brésil sont donc tous liés à Rio. Comme tous les enfants brésiliens, j’ai joué au football sur la plage et dans les rues. Mon père, qui travaillait à l’Organisation Mondiale de la Santé, a ensuite émigré au Costa Rica en qualité de médecin, sous contrat avec le gouvernement costaricien. Mes parents sont restés six ans, puis ils sont rentrés au Brésil… sans moi. J’avais 17 ans, j’ai continué mes études en éducation physique à l’université de San José et j’ai combiné la pratique du football et du basket, avant d’opter définitivement pour le football. Après avoir débuté dans un club de D2 en 1979, j’ai commencé ma carrière en D1 en 1980 dans un club dénommé Puntarenas. Eh oui, le club que dirigeait Hermes Navarro, l’actuel président de la fédération ! Après deux ans à Puntarenas, j’ai joué dix ans au Deportivo Saprissa, l’un des plus grands clubs du Costa Rica. J’ai obtenu ma naturalisation en 1985 et j’ai débuté en équipe nationale lors de la phase qualificative pour la Coupe du Monde 1986, ici, au stade national de San José, contre le Canada. Je jouais en milieu de terrain. Quatre ans plus tard, j’ai eu la chance de participer à la première qualification du Costa Rica pour une Coupe du Monde. On a éliminé le Salvador. C’était de la folie à San José. Cette première qualification a ouvert la voie du professionnalisme à toutes les générations qui allaient venir par la suite. Des joueurs ont commencé à recevoir des offres de l’étranger. Elle plaçait aussi le Costa Rica sur la carte du football mondial, alors qu’auparavant, personne n’avait jamais entendu parler de ce petit pays sur le plan footballistique. Plus globalement, la fédération s’est rendu compte de l’importance que recelait une participation à une Coupe du Monde : pour les participants eux-mêmes, mais aussi pour le pays tout entier. Une prise de conscience a vu le jour. On a défini des priorités, on a commencé à mieux travailler avec les jeunes. Ce fut, en quelque sorte, l’éveil footballistique du Costa Rica. De la Coupe du Monde proprement dite, je retiens essentiellement deux choses. D’abord, mon échauffement avant de monter sur la pelouse pour affronter le Brésil. Ce fut, pour moi, un moment d’intense émotion, car j’allais affronter mon pays d’origine. Certains m’ont demandé si, avec mes qualités footballistiques, j’aurais pu évoluer dans l’autre camp. Je ne me suis jamais posé la question : j’ai opté pour le Costa Rica et je ne l’ai pas regretté. Mon deuxième souvenir est lié à la passe que j’ai adressée contre la Suède et qui allait déboucher sur le but victorieux. Celui de la qualification pour le deuxième tour ! Un véritable exploit pour un petit pays sans aucune expérience. Après cela, j’ai terminé ma carrière de joueur pendant six mois, en 1992, dans un petit club de la côte Atlantique dénommé Turrialba. J’ai suivi les cours d’entraîneur et j’ai débuté dans le métier en 1994 « .

Le drapeau est planté

Sept ans plus tard, Guimaraes est devenu le sélectionneur du Costa Rica. Un nouveau coup dans le mille.  » J’ai coaché mon premier match le 6 janvier 2001 « , se souvient-il.  » C’était lors d’un test-match contre le Guatemala, à Miami, qui devait désigner lequel des deux pays pouvait participer à la dernière phase de qualification en vue de la Coupe du Monde 2002. On l’a gagné, et sur notre lancée, on s’est qualifié pour le Japon et la Corée du Sud. Cette deuxième qualification fut également célébrée avec beaucoup d’enthousiasme dans le pays. Les gens avaient goûté au festin en 1990 et voulaient en reprendre, mais ils ont dû attendre 12 ans et leur estomac commençait à crier famine. En débarquant au Japon en 2002, c’était comme une prise de possession du territoire. On avait l’impression de planter le drapeau en clamant : – Cetteterre, quiréunitles32meilleurspaysdelaplanèteauniveaufootballistique, nousappartient ! « .

Hasard du tirage au sort : comme en 1990, le Costa Rica a de nouveau croisé la route du Brésil.  » Mais le sentiment que j’ai éprouvé était différent comme sélectionneur que comme joueur. Au niveau du football développé, le Costa Rica a disputé une très belle Coupe du Monde en 2002, mais contrairement à 1990, on n’est pas parvenu à franchir le premier tour. On a échoué à la différence de buts face à la Turquie, qui allait finalement remporter la médaille de bronze. Après cette élimination, j’ai décidé de quitter la fédération. J’ai travaillé dans des clubs mexicains de D1, j’ai donné des conférences, j’ai même poursuivi mes études « . Mais l’équipe nationale du Costa Rica ne peut décidément pas se passer de Guimaraes. En avril 2005, le président Navarro l’a rappelé à son chevet.  » Cette troisième qualification fut accueillie avec satisfaction mais sans le délire qui avait présidé aux succès précédents. Elle était plus attendue, c’était presque devenu de la routine « .

Ce qu’espère Guimaraes de la Coupe du Monde 2006 ?  » Combiner l’application tactique de 1990 avec la brillance de 2002. C’est-à-dire, franchir le premier tour, mais avec la manière, qui n’était pas nécessairement présente il y a 16 ans. Je suis optimiste, car la colonne vertébrale de l’équipe est déjà bien en place et tout le monde a gagné en expérience. Que ce soit les joueurs, les dirigeants ou… l’entraîneur « .

Peu de joueurs costariciens évoluent à l’étranger, mais pour Guimaraes, ce n’est pas nécessairement un inconvénient.  » Certes, ce serait bien que l’un ou l’autre joueur évolue dans un grand club européen, mais à tout prendre, je préfère les voir jouer au Costa Rica plutôt que les voir cirer le banc en Europe « .

Les ingrédients d’un bon Mondial

Cette fois, il n’y aura pas le Brésil sur le chemin du Costa Rica, mais l’Allemagne, pays organisateur.  » On doit, de toute façon, affronter un grand pays de football, quel que soit le groupe dans lequel on est versé. A la différence de nos deux participations précédentes, on affrontera cette fois le ténor lors du match d’ouverture, ce qui peut constituer un avantage. Après, on affrontera l’Equateur, un pays qu’on connaît bien, et on terminera par la Pologne : un match qui pourrait décider de l’accession aux huitièmes de finale « .

Guimaraes s’attend à une bonne Coupe du Monde.  » Techniquement, on devrait voir de belles choses. La FIFA a pris une excellente initiative en exigeant que tous les championnats nationaux se terminent le week-end des 13 et 14 mai. Les joueurs pourront bénéficier de quelques jours de repos et aborderont la compétition dans un meilleur état de fraîcheur. Les sélections auront un temps de préparation supérieur. En outre, en Allemagne, les distances à parcourir entre les différentes villes ne sont pas énormes. Et la chaleur sera moins accablante qu’en Asie « .

Un favori ?  » Comme tout le monde, je répondrai le Brésil. C’est l’équipe qui possède le plus de talent. Il y a des surprises lors de chaque Coupe du Monde, mais au bout du compte, ce sont toujours les nations les plus puissantes que l’on retrouve au stade ultime de l’épreuve. 2002 a constitué, à ce niveau-là, l’exception qui confirme la règle « .

Guimaraes a-t-il un modèle comme entraîneur ?  » Je n’en ai pas eu comme joueur et je n’en ai pas comme entraîneur, mais j’ai toujours beaucoup apprécié la ligne de conduite néerlandaise, car c’est un football technique basé sur l’offensive « .

DANIEL DEVOS, ENVOYÉ SPÉCIAL À SAN JOSÉ

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