« Prendre mon pied »

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Après Daniel Leclercq, voici un deuxième champion de France chez les Loups.

La Louvière n’a déniché son nouvel attaquant qu’à quelques jours de l’ouverture du championnat, mais tout indique que ce fut une bonne chose d’attendre, de prendre le temps de choisir. Cité à Anderlecht il y a douze mois, Nicolas Ouédec n’a que 29 ans et est donc toujours en pleine force de l’âge. Et pour marquer près d’une centaine de buts dans les championnats de France et d’Espagne, il faut de sacrées qualités. Son palmarès a de l’allure: un titre de champion avec Nantes, une demi-finale de Ligue des Champions, un quart de finale de Coupe de l’UEFA, un trophée de meilleur buteur du championnat de France et une présence dans la présélection des Bleus à quelques mois de la Coupe du Monde 98.

Depuis un an et demi, il avait perdu le plaisir du jeu à Montpellier. Ce club a retrouvé la D1 en fin de saison dernière, mais Ouédec n’entrait plus dans les plans de l’entraîneur, Michel Mézy. Quand La Louvière s’est manifestée, cela a fait tilt chez le Breton: La Louvière, c’est Leclercq.

Nicolas Ouédec: Depuis qu’il est ici, les Français savent que La Louvière dispute le championnat de D1. Ce qu’il a réussi la saison dernière a fort marqué les esprits dans mon pays. Sa présence a été un argument déterminant quand on m’a parlé de ce club.

Comment avez-vous vécu vos premiers jours chez nous?

L’accueil que j’ai reçu tranche fameusement avec tout ce que j’ai connu dans le passé. Que ce soit à l’Espanyol Barcelone, au PSG ou à Montpellier, je n’avais pas trouvé autant de chaleur. Depuis que je suis arrivé, tout le monde est aux petits soins pour moi: quand il faut me guider dans le choix d’une maison, si j’ai besoin qu’on me véhicule à gauche ou à droite, s’il faut aller chercher ma compagne et mes enfants à l’aéroport, etc. Je ne dois même rien demander; on me le propose spontanément. Dans les environnements que j’ai côtoyés auparavant, je devais me débrouiller.

Avec quel état d’esprit arrivez-vous en Belgique? Pour prendre une revanche par rapport à votre expérience ratée à Montpellier?

Je ne parlerais pas de revanche. Plutôt d’une envie de reprendre du plaisir sur un terrain de football. Donner le meilleur de moi-même au milieu d’une bande de copains, c’est un bonheur que j’ai un peu oublié. Je veux retrouver du plaisir et de la sérénité. Prendre mon pied en étant efficace.

« Tout est allé trop vite »

Vous déclarez sur votre site Internet officiel (www.nicolasouédec.com): « J’ai commencé ma carrière très vite et très fort, et je veux la terminer de la même manière ».

A 17 ans, je faisais mes débuts en D1 avec Nantes. A 22 ans, j’étais sacré meilleur buteur du championnat de France et on m’appelait en équipe de France A. Deux ans plus tard, j’obtenais un beau transfert à l’Espanyol. Et j’ai réussi deux excellentes saisons en Liga. Entre 17 et 26 ans, je n’ai pas vu le temps passer. Tout est allé très vite. Sans doute trop vite. Ma carrière a connu un sérieux coup de frein dès que je suis revenu en France, au PSG. Quand la vie vous donne trop pendant une période, elle vous reprend par la suite.

Comment expliquez-vous cette régression?

Elle a plusieurs raisons. Je n’ai pas tout fait pour que mon rêve continue. J’ai fait de mauvais choix de clubs parce que j’ai écouté des gens que j’aurais mieux fait d’ignorer. Je me suis cru arrivé, aussi. Et je n’ai plus su faire tous les efforts indispensables. Inconsciemment, on se relâche un peu quand tout va trop bien. A l’entraînement, en match. Presque tous les footballeurs connaissent ce phénomène. Seules les grandes stars ne traversent pas une ou deux moins bonnes saisons sur l’ensemble de leur carrière. Mais tout peut aller très vite dans les deux sens: je peux redevenir le meilleur Ouédec en quelques mois.

Pourquoi étiez-vous revenu au PSG alors que vous étiez devenu une valeur sûre en Espagne?

L’appel de Paris était trop fort. J’avais l’occasion de revenir dans mon pays, à des conditions financières qui ne se refusent pas. Dans le plus grand club français. Le plus médiatisé, aussi. Mais au PSG, je me suis retrouvé dans un club très froid. Il n’y avait pas, entre les joueurs, ce petit plus qui entretient un esprit d’équipe et le plaisir d’être ensemble. C’était chacun pour soi. Aujourd’hui, Luis Fernandez essaye d’installer une certaine convivialité, mais je lui donne très peu de chances de réussir car le PSG n’a jamais été un club convivial et ne le sera sans doute jamais.

Là-bas, les supporters mettent en plus une pression énorme. Il faut être costaud pour réussir. Si un attaquant rate une occasion, le public commence à le siffler. Des sifflets, je n’ai connu que ça au Parc des Princes. Je suis vite devenu la tête de Turc des supporters. Ils ne me pardonnaient rien. C’est terrible de devoir jouer dans un club où on n’est pas aimé. Dès que je mettais un pied sur la pelouse, tout le stade me huait. J’étais le vilain petit canard.

Si j’avais été brésilien, tout aurait été beaucoup plus facile. Les supporters du PSG ne jurent que par les joueurs de ce pays. Ils estiment que c’est automatiquement synonyme de foot-champagne. Ils sont toujours nostalgiques de la grande période de Rai, Ricardo et Valdo. Christian n’a marqué qu’un but lors de ses six premiers mois là-bas, mais on lui pardonnait ses occasions ratées. On lui a laissé le temps de s’acclimater et il a fini par s’imposer. Moi, je n’ai pas eu cette chance. J’allais à l’entraînement à reculons… En plus de l’allergie des supporters, il y avait les problèmes sportifs de toute l’équipe. Alain Giresse a été remplacé par Artur Jorge dès le mois d’octobre, mais le PSG ne parvenait pas à se reprendre. J’y ai connu les six mois les plus difficiles de ma carrière. Je n’avais qu’une envie: sortir de là. Et je suis parti à Montpellier à la trêve.

« Montpellier, encore une erreur de ma part… »

Vous n’y avez pas été plus heureux qu’à Paris!

Effectivement. Là encore, je me suis trompé dans mon choix. Je pouvais retourner en Espagne, mais le défi de Montpellier m’intéressait car ce club jouait le haut du tableau. Nous nous sommes qualifiés pour l’Intertoto, puis nous sommes descendus en D2 l’année suivante. La saison dernière, je l’ai très mal vécue. La cicatrice n’est toujours pas refermée.

Montpellier avait transféré plusieurs anciens Nantais après la qualification pour l’Intertoto: Peydros, Loko, Decroix, Gourvennec et moi. Nous savions que nous n’avions pas le droit à l’erreur. Si ça marchait, ce serait grâce à nous. Si ça foirait, ce serait de notre faute. On ne nous a pas ratés quand le club est descendu. Le club est remonté en fin de saison dernière, mais on ne comptait plus sur moi. Et, de mon côté, je ne comptais plus du tout sur Montpellier. Le président Nicollin ne m’a pas mis de bâtons dans les roues quand La Louvière s’est manifestée. C’est un bon vivant, un gueulard qui peut froisser, mais aussi un homme de parole.

Pendant que vous galériez à Montpellier, Nantes redevenait champion de France. Des regrets?

Nantes restera toujours Nantes: un club dont le centre de formation produit des joueurs extraordinaires. Dans l’équipe-type qui a conquis le titre la saison dernière, il n’y avait que deux joueurs n’ayant pas été formés sur place. Tous les trois ou quatre ans, Nantes sort une génération formidable. Ces joueurs débutent en D1 à 18 ou 19 ans. Quand ils ont 22 ou 23 ans, ils sont toujours jeunes mais ont déjà une petite centaine de matches de D1 dans les jambes. Ils savent ce qu’est la pression, se connaissent parfaitement pour avoir fait leurs classes ensemble et parlent le même langage sur le terrain et en dehors.

Le titre gagné en 94-95 avec Jean-Claude Suaudeau reste évidemment le plus beau souvenir de ma carrière. Dans chaque interview que je donne, on m’en reparle. Nous avions aligné 32 matches sans défaite et terminé avec la meilleure attaque, la meilleure défense et le meilleur buteur: Loko. Notre foot offensif faisait l’unanimité. Pour beaucoup de spécialistes, ce titre reste le plus beau de toute l’histoire du championnat de France! C’était une illustration parfaite de la culture nantaise de A à Z: un foot rapide en une touche de balle, des déplacements perpétuels, une multitude de une-deux.

Je n’ai jamais regretté d’avoir quitté Nantes car j’estimais que j’avais fait le tour de la question là-bas. J’y avais passé sept saisons en équipe Première. J’avais gagné un titre et j’étais devenu meilleur buteur du championnat. Nantes n’avait pas assez de moyens financiers pour poursuivre son ascension, et moi, je voulais découvrir autre chose. J’avais peur, aussi, de faire l’année de trop dans ce club. Je me sentais mûr pour l’étranger et l’offre de l’Espanyol est tombée à point nommé. J’ai connu deux saisons fabuleuses à Barcelone. J’ai marqué 22 buts. Des derbies contre le Barça dans un Nou Camp plein à craquer, ça ne s’oublie pas. Ça ne se décrit même pas: ça se vit. Pendant les trois semaines qui précédaient ces derbies, la presse ne parlait que de ça. L’Espanyol ne comptait que 25.000 abonnés, pour 80.000 au Barça, mais la passion était identique des deux côtés. Chaque quartier, chaque bar, chaque restaurant de la ville affichait les couleurs de l’un des deux clubs. Et pas question pour un joueur de l’Espanyol de s’afficher dans un quartier propre au Barça! Le risque était trop grand. Toute la ville respire la rivalité entre l’Espanyol et le Barça. En Espagne, j’ai accumulé des images très fortes pour toute ma vie.

Pierre Danvoye

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